Литмир - Электронная Библиотека

– Eh! qui vient là? s’écria Coconnas. Un homme sans pourpoint et sans écharpe.

– C’en est un qui se sauve, dit Maurevel.

– À vous, à vous! à vous qui avez des arquebuses, s’écria Coconnas.

– Ma foi, non, dit Maurevel; je garde ma poudre pour meilleur gibier.

– À vous, La Hurière.

– Attendez, attendez, dit l’aubergiste en ajustant.

– Ah! oui, attendez, s’écria Coconnas; et en attendant il va se sauver.

Et il s’élança à la poursuite du malheureux qu’il eut bientôt rejoint, car il était déjà blessé. Mais au moment où, pour ne pas le frapper par derrière, il lui criait: «Tourne, mais tourne donc! » un coup d’arquebuse retentit, une balle siffla aux oreilles de Coconnas, et le fugitif roula comme un lièvre atteint dans sa course la plus rapide par le plomb du chasseur.

Un cri de triomphe se fit entendre derrière Coconnas; le Piémontais se retourna, et vit La Hurière agitant son arme.

– Ah! cette fois, s’écria-t-il, j’ai étrenné au moins.

– Oui, mais vous avez manqué me percer d’outre en outre, moi.

– Prenez garde, mon gentilhomme, prenez garde, cria La Hurière.

Coconnas fit un bond en arrière. Le blessé s’était relevé sur un genou; et, tout entier à la vengeance, il allait percer Coconnas de son poignard au moment même où l’avertissement de son hôte avait prévenu le Piémontais.

– Ah! vipère! s’écria Coconnas.

Et, se jetant sur le blessé, il lui enfonça trois fois son épée jusqu’à la garde dans la poitrine.

– Et maintenant, s’écria Coconnas laissant le huguenot se débattre dans les convulsions de l’agonie, chez l’amiral! chez l’amiral!

– Ah! ah! mon gentilhomme, dit Maurevel, il paraît que vous y mordez.

– Ma foi, oui, dit Coconnas. Je ne sais pas si c’est l’odeur de la poudre qui me grise ou la vue du sang qui m’excite, mais, mordi! je prends goût à la tuerie. C’est comme qui dirait une battue à l’homme. Je n’ai encore fait que des battues à l’ours ou au loup, et sur mon honneur la battue à l’homme me paraît plus divertissante.

Et tous trois reprirent leur course.

VIII. Les massacrés

L’hôtel qu’habitait l’amiral était, comme nous l’avons dit, situé rue de Béthisy. C’était une grande maison s’élevant au fond d’une cour avec deux ailes en retour sur la rue. Un mur ouvert par une grande porte et par deux petites grilles donnait entrée dans cette cour.

Lorsque nos trois guisards atteignirent l’extrémité de la rue de Béthisy, qui fait suite à la rue des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois, ils virent l’hôtel entouré de Suisses, de soldats et de bourgeois en armes; tous tenaient à la main droite ou des épées, ou des piques, ou des arquebuses, et quelques-uns, à la main gauche, des flambeaux qui répandaient sur cette scène un jour funèbre et vacillant, lequel, suivant le mouvement imprimé, s’épandait sur le pavé, montait le long des murailles ou flamboyait sur cette mer vivante où chaque arme jetait son éclair. Tout autour de l’hôtel et dans les rues Tirechappe, Étienne et Bertin-Poirée, l’œuvre terrible s’accomplissait. De longs cris se faisaient entendre, la mousqueterie pétillait, et de temps en temps quelque malheureux, à moitié nu, pâle, ensanglanté, passait, bondissant comme un daim poursuivi, dans un cercle de lumière funèbre où semblait s’agiter un monde de démons.

En un instant, Coconnas, Maurevel et La Hurière, signalés de loin par leurs croix blanches et accueillis par des cris de bienvenue, furent au plus épais de cette foule haletante et pressée comme une meute. Sans doute ils n’eussent pas pu passer; mais quelques-uns reconnurent Maurevel et lui firent faire place. Coconnas et La Hurière se glissèrent à sa suite; tous trois parvinrent donc à se glisser dans la cour.

Au centre de cette cour, dont les trois portes étaient enfoncées, un homme, autour duquel les assassins laissaient un vide respectueux, se tenait debout, appuyé sur une rapière nue, et les yeux fixés sur un balcon élevé de quinze pieds à peu près et s’étendant devant la fenêtre principale de l’hôtel. Cet homme frappait du pied avec impatience, et de temps en temps se retournait pour interroger ceux qui se trouvaient les plus proches de lui.

– Rien encore, murmura-t-il. Personne… Il aura été prévenu, il aura fui. Qu’en pensez-vous, Du Gast?

– Impossible, Monseigneur.

– Pourquoi pas? Ne m’avez-vous pas dit qu’un instant avant que nous arrivassions, un homme sans chapeau, l’épée nue à la main et courant comme s’il était poursuivi, était venu frapper à la porte, et qu’on lui avait ouvert?

– Oui, Monseigneur; mais presque aussitôt M. de Besme est arrivé, les portes ont été enfoncées, l’hôtel cerné. L’homme est bien entré, mais à coup sûr il n’a pu sortir.

– Eh! mais, dit Coconnas à La Hurière, est-ce que je me trompe, ou n’est-ce pas M. de Guise que je vois là?

– Lui-même, mon gentilhomme. Oui, c’est le grand Henri de Guise en personne, qui attend sans doute que l’amiral sorte pour lui en faire autant que l’amiral en a fait à son père. Chacun a son tour, mon gentilhomme, et, Dieu merci! c’est aujourd’hui le nôtre.

– Holà! Besme! holà! cria le duc de sa voix puissante, n’est-ce donc point encore fini? Et, de la pointe de son épée impatiente comme lui, il faisait jaillir des étincelles du pavé.

En ce moment, on entendit comme des cris dans l’hôtel, puis des coups de feu, puis un grand mouvement de pieds et un bruit d’armes heurtées, auquel succéda un nouveau silence.

Le duc fit un mouvement pour se précipiter dans la maison.

– Monseigneur, Monseigneur, lui dit Du Gast en se rapprochant de lui et en l’arrêtant, votre dignité vous commande de demeurer et d’attendre.

– Tu as raison, Du Gast; merci! j’attendrai. Mais, en vérité, je meurs d’impatience et d’inquiétude. Ah! s’il m’échappait!

Tout à coup le bruit des pas se rapprocha… les vitres du premier étage s’illuminèrent de reflets pareils à ceux d’un incendie.

La fenêtre, sur laquelle le duc avait tant de fois levé les yeux, s’ouvrit ou plutôt vola en éclats; et un homme, au visage pâle et au cou blanc tout souillé de sang, apparut sur le balcon.

– Besme! cria le duc; enfin c’est toi! Eh bien? eh bien?

– Foilà, foilà! répondit froidement l’Allemand, qui, se baissant, se releva presque aussitôt en paraissant soulever un poids considérable.

– Mais les autres, demanda impatiemment le duc, les autres, où sont-ils?

– Les autres, ils achèfent les autres.

– Et toi, toi! qu’as-tu fait?

– Moi, fous allez foir; regulez-vous un beu. Le duc fit un pas en arrière. En ce moment on put distinguer l’objet que Besme attirait à lui d’un si puissant effort.

C’était le cadavre d’un vieillard.

Il le souleva au-dessus du balcon, le balança un instant dans le vide, et le jeta aux pieds de son maître. Le bruit sourd de la chute, les flots de sang qui jaillirent du corps et diaprèrent au loin le pavé, frappèrent d’épouvante jusqu’au duc lui-même; mais ce sentiment dura peu, et la curiosité fit que chacun s’avança de quelques pas, et que la lueur d’un flambeau vint trembler sur la victime. On distingua alors une barbe blanche, un visage vénérable, et des mains raidies par la mort.

– L’amiral, s’écrièrent ensemble vingt voix qui ensemble se turent aussitôt.

– Oui, l’amiral. C’est bien lui, dit le duc en se rapprochant du cadavre pour le contempler avec une joie silencieuse.

– L’amiral! l’amiral! répétèrent à demi-voix tous les témoins de cette terrible scène, se serrant les uns contre les autres, et se rapprochant timidement de ce grand vieillard abattu.

– Ah! te voilà donc, Gaspard! dit le duc de Guise triomphant; tu as fait assassiner mon père, je le venge! Et il osa poser le pied sur la poitrine du héros protestant.

Mais aussitôt les yeux du mourant s’ouvrirent avec effort, sa main sanglante et mutilée se crispa une dernière fois, et l’amiral, sans sortir de son immobilité, dit au sacrilège d’une voix sépulcrale:

22
{"b":"125130","o":1}