– Quitter le Louvre! dit Marguerite en regardant avec étonnement le jeune homme, qui baissait les yeux; mais c’est impossible. Vous ne pouvez pas marcher; vous êtes pâle et sans force, on voit trembler vos genoux. Ce matin, votre blessure de l’épaule a saigné encore.
– Madame, répondit le jeune homme, autant j’ai rendu grâce à Votre Majesté de m’avoir donné asile hier au soir, autant je la supplie de vouloir bien me permettre de partir aujourd’hui.
– Mais, dit Marguerite étonnée, je ne sais comment qualifier une si folle résolution: c’est pire que de l’ingratitude.
– Oh! madame! s’écria La Mole en joignant les mains, croyez que, loin d’être ingrat, il y a dans mon cœur un sentiment de reconnaissance qui durera toute ma vie.
– Il ne durera pas longtemps, alors! dit Marguerite émue à cet accent, qui ne laissait pas de doute sur la sincérité des paroles; car, ou vos blessures se rouvriront et vous mourrez de la perte du sang, ou l’on vous reconnaîtra comme huguenot et vous ne ferez pas cent pas dans la rue sans qu’on vous achève.
– Il faut pourtant que je quitte le Louvre, murmura La Mole.
– Il faut! dit Marguerite en le regardant de son regard limpide et profond; puis pâlissant légèrement: Oh, oui! je comprends! dit-elle, pardon, monsieur! Il y a sans doute, hors du Louvre, une personne à qui votre absence donne de cruelles inquiétudes. C’est juste, monsieur de la Mole, c’est naturel, et je comprends cela. Que ne l’avez-vous dit tout de suite, ou plutôt comment n’y ai-je pas songé moi-même! C’est un devoir, quand on exerce l’hospitalité, de protéger les affections de son hôte comme on panse des blessures, et de soigner l’âme comme on soigne le corps.
– Hélas! madame, répondit La Mole, vous vous trompez étrangement. Je suis presque seul au monde et tout à fait seul à Paris, où personne ne me connaît. Mon assassin est le premier homme à qui j’aie parlé dans cette ville, et Votre Majesté est la première femme qui m’y ait adressé la parole.
– Alors, dit Marguerite surprise, pourquoi voulez-vous donc vous en aller?
– Parce que, dit La Mole, la nuit passée, Votre Majesté n’a pris aucun repos, et que cette nuit… Marguerite rougit.
– Gillonne, dit-elle, voici la nuit venue, je crois qu’il est temps que tu ailles porter la clef. Gillonne sourit et se retira.
– Mais, continua Marguerite, si vous êtes seul à Paris, sans amis, comment ferez-vous?
– Madame, j’en aurai beaucoup; car, tandis que j’étais poursuivi, j’ai pensé à ma mère, qui était catholique; il m’a semblé que je la voyais glisser devant moi sur le chemin du Louvre, une croix à la main, et j’ai fait vœu, si Dieu me conservait la vie, d’embrasser la religion de ma mère. Dieu a fait plus que de me conserver la vie, madame; il m’a envoyé un de ses anges pour me la faire aimer.
– Mais vous ne pourrez marcher; avant d’avoir fait cent pas vous tomberez évanoui.
– Madame, je me suis essayé aujourd’hui dans le cabinet; je marche lentement et avec souffrance, c’est vrai; mais que j’aille seulement jusqu’à la place du Louvre; une fois dehors, il arrivera ce qu’il pourra.
Marguerite appuya sa tête sur sa main et réfléchit profondément.
– Et le roi de Navarre, dit-elle avec intention, vous ne m’en parlez plus. En changeant de religion, avez-vous donc perdu le désir d’entrer à son service?
– Madame, répondit La Mole en pâlissant, vous venez de toucher à la véritable cause de mon départ… Je sais que le roi de Navarre court les plus grands dangers et que tout le crédit de Votre Majesté comme fille de France suffira à peine à sauver sa tête.
– Comment, monsieur? demanda Marguerite; que voulez-vous dire et de quels dangers me parlez-vous?
– Madame, répondit La Mole en hésitant, on entend tout du cabinet où je suis placé.
– C’est vrai, murmura Marguerite pour elle seule, M. de Guise me l’avait déjà dit. Puis tout haut:
– Eh bien, ajouta-t-elle, qu’avez-vous donc entendu?
– Mais d’abord la conversation que Votre Majesté a eue ce matin avec son frère.
– Avec François? s’écria Marguerite en rougissant.
– Avec le duc d’Alençon, oui, madame; puis ensuite, après votre départ, celle de mademoiselle Gillonne avec madame de Sauve.
– Et ce sont ces deux conversations…?
– Oui, madame. Mariée depuis huit jours à peine, vous aimez votre époux. Votre époux viendra à son tour comme sont venus M. le duc d’Alençon et madame de Sauve. Il vous entretiendra de ses secrets. Eh bien, je ne dois pas les entendre; je serais indiscret… et je ne puis pas… je ne dois pas… surtout je ne veux pas l’être!
Au ton que La Mole mit à prononcer ces derniers mots, au trouble de sa voix, à l’embarras de sa contenance, Marguerite fut illuminée d’une révélation subite.
– Ah! dit-elle, vous avez entendu de ce cabinet tout ce qui a été dit dans cette chambre jusqu’à présent?
– Oui, madame. Ces mots furent soupirés à peine.
– Et vous voulez partir cette nuit, ce soir, pour n’en pas entendre davantage?
– À l’instant même, madame! s’il plaît à Votre Majesté de me le permettre.
– Pauvre enfant! dit Marguerite avec un singulier accent de douce pitié.
Étonné d’une réponse si douce lorsqu’il s’attendait à quelque brusque riposte, La Mole leva timidement la tête; son regard rencontra celui de Marguerite et demeura rivé comme par une puissance magnétique sur le limpide et profond regard de la reine.
– Vous vous sentez donc incapable de garder un secret, monsieur de la Mole? dit doucement Marguerite, qui, penchée sur le dossier de son siège, à moitié cachée par l’ombre d’une tapisserie épaisse, jouissait du bonheur de lire couramment dans cette âme en restant impénétrable elle-même.
– Madame, dit La Mole, je suis une misérable nature, je me défie de moi même, et le bonheur d’autrui me fait mal.
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