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A
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D'abord et avant toute chose, il lui fait entendre le battement de ce coeur invisible.

Le son est réglé assez fort et ça résonne dans toute la pièce: boum-boum-boum-boum-boum-boum

Cette idiote, elle a déjà les larmes aux yeux. Et puis il lui montre le bébé.

Un tout petit bonhomme qui bouge ses bras et ses jambes. Dix centimètres et quarante-cinq grammes. On voit très bien sa colonne vertébrale, on pourrait même compter les vertèbres.

Elle doit avoir la bouche grande ouverte mais elle ne dit rien.

Le docteur plaisante. Il dit: ha, j'en étais sûr, ça fait taire même les plus bavardes!

Tandis qu'elle se rhabille, il prépare un petit dossier avec des photos qui sont sorties de la machine. Et tout à l'heure, quand elle sera dans sa voiture, avant de démarrer, elle regardera longtemps ces photos et pendant qu'elle les apprendra par coeur, on n'entendra pas le bruit de sa respiration.

Les semaines ont filé et son ventre a grossi. Ses seins aussi. Maintenant, elle met du 95 C. Impensable.

Elle est allée dans une boutique de future maman acheter des vêtements à sa taille. Elle a fait une folie. Elle a choisi une robe très jolie et assez chère pour le mariage de sa cousine fin août. Une robe en lin avec des petits boutons de nacre tout du long. Elle a longtemps hésité parce qu'elle n'est pas sûre d'avoir un autre enfant après. Alors évidemment, ça fait un peu chérot…

Elle cogite dans la cabine d'essayage, elle s'emberlificote dans ses comptes. Quand elle en ressort, avec la robe au bras et l'hésitation au visage, la vendeuse lui dit: mais faites-vous plaisir! D'accord, ça ne sert pas longtemps mais quel bonheur… En plus, une femme enceinte ne doit pas subir de contrariétés. Elle dit ça sur le ton de la plaisanterie mais n'empêche, c'est une bonne vendeuse.

Elle y pense alors qu'elle est dans la rue avec ce grand sac déraisonnable à la main. Elle a très envie de faire pipi. Normal.

En plus, c'est un mariage important pour elle parce que son fils est garçon d'honneur. C'est idiot mais ça lui fait drôlement plaisir.

Un autre motif de tergiversations à l'infini c'est le sexe de l'enfant.

Faut-il, oui ou non, demander si c'est une fille ou un garçon?

C'est que le cinquième mois approche avec sa deuxième échographie, celle qui dit tout.

Dans le cadre de son boulot, elle a beaucoup de problèmes embêtants à régler et des décisions à prendre toutes les deux minutes. Elle les prend. Elle est payée pour ça.

Mais là… elle ne sait pas.

Pour le premier, elle avait demandé à savoir, d'accord. Mais là, elle s'en fiche tellement que ce soit une fille ou un garçon. Tellement.

Allez, elle ne demandera pas.

"Vous êtes sûre?" a dit le docteur. Elle ne sait plus. "Ecoutez, je ne vous dis rien et on verra bien si vous voyez quelque chose par vous-même."

Il promène lentement la sonde sur son ventre plein de gel. Quelquefois, il s'arrête, il prend des mesures, il commente, quelquefois il passe vite en souriant. Enfin il dit: ça va, vous pouvez vous relever.

"Alors?" il demande.

Elle dit qu'elle a bien un doute mais elle n'est pas sûre. "C'est quoi ce doute?" Ben… elle a bien cru voir une preuve de petit garçon non…?

"Ah, je ne sais pas" répond-il la moue gourmande.

Elle a envie de l'attraper par la blouse et de le secouer pour qu'il le dise, mais non. C'est la surprise.

L'été, un gros ventre, ça tient chaud. Sans parler des nuits. On dort si mal, aucune position n'est confortable. Mais bon.

La date du mariage approche. La tension monte dans la famille. Elle dit qu'elle se chargera des bouquets. C'est un travail parfait pour un cétacé de son espèce. On l'installera au milieu, les garçons lui apporteront ce dont elle aura besoin et elle embellira tout ce qui peut l'être.

En attendant elle court les marchands de chaussures pour trouver des "sandales blanches fermées". C'est la mariée qui aimerait bien les voir tous chaussés pareil. Tu parles d'un pratique. Impossible de trouver des sandales blanches fin août. "Mais madame, on prépare la rentrée des classes maintenant." Finalement elle a trouvé un truc pas très jojo et une taille au-dessus.

Elle regarde son grand petit garçon qui fait le fier devant les miroirs de la boutique avec son épée de bois coincée dans un passant de son bermuda et ses chaussures neuves. Pour lui ce sont des bottes intergalactiques à boucles laser, ça ne fait pas l'ombre d'un doute. Elle le trouve magnifique avec ses horribles sandales.

Soudain, elle reçoit un bon coup dans le ventre.

Un coup de l'intérieur.

Elle percevait des secousses, des à-coups, des trucs en dedans mais là, pour la première fois, c'est clair et net.

– … Madame? Madame?… Ce sera tout?…

– Oui, oui bien sûr, excusez-moi.

– Mais il n'y a pas de mal, madame. Tu veux un ballon mon bichon?

Le dimanche son mari bricole. Il aménage une petite chambre dans la pièce qui leur tenait lieu de lingerie. Souvent, il demande à son frère de lui donner un coup de main. Elle a acheté des bières et elle est toujours en train de houspiller le petit pour qu'il ne traîne pas dans leurs pattes.

Avant de se coucher il lui arrive de feuilleter des magazines de décoration pour trouver des idées. De toute façon, on n'est pas pressé.

Ils ne parlent pas du prénom parce qu'ils ne sont pas vraiment d'accord et comme ils savent très bien que c'est elle qui aura le dernier mot… à quoi bon?

Le jeudi 20 août, elle doit aller à la visite du sixième mois. La barbe.

Ca n'est vraiment pas le moment avec les préparatifs de la fête. Surtout que les fiancés sont allés le matin même à Rungis et ont rapporté des montagnes de fleurs. On a réquisitionné les deux baignoires et la piscine en plastique des enfants pour l'occasion.

Vers deux heures de l'après-midi, elle pose son sécateur, elle enlève son tablier et elle leur dit que le petit dort dans la chambre jaune. S'il se réveille avant son retour, est-ce que vous pouvez lui donner son goûter? Non, non, elle n'oublie pas de rapporter du pain, de la Super glu et du raphia.

Après avoir pris une douche, elle glisse son gros ventre derrière le volant de sa voiture.

Elle appuie sur le bouton de l'autoradio et se dit que finalement, ça n'est pas si mal cette pause parce que beaucoup de femmes assises autour d'une table avec les mains occupées, ça en fait des histoires. Des grandes et des petites aussi.

Dans la salle d'attente, il y a déjà deux autres dames. Le grand jeu dans ce cas-là, c'est d'essayer de deviner d'après la forme de leur ventre à quel mois elles en sont.

Elle lit un Paris Match du temps de Moïse, quand Johnny Hallyday était encore avec Adeline.

Quand elle entre, c'est la poignée de main, vous allez bien? Oui merci et vous? Elle pose son sac et s'assied. Il pianote son nom sur l'ordinateur. Il sait maintenant à combien de semaines d'aménorrhée elle est et tout ce qui s'ensuit.

Après elle se déshabille. Il déroule du papier sur la table pendant qu'elle se pèse puis va prendre sa tension. Il va faire une écho rapide "de contrôle" pour voir le coeur. Une fois l'examen terminé, il retournera devant son ordinateur pour ajouter des trucs.

Les gynécologues ont un truc à eux. Quand la femme a calé ses talons dans les étriers, ils posent tout un tas de questions inattendues pour qu'elle oublie, ne serait-ce qu'un instant, cette position si impudique.

Quelquefois ça marche un petit peu, le plus souvent, non.

Là, il lui demande si elle le sent bouger, elle commence à répondre avant oui mais maintenant moins souvent, elle ne va pas jusqu'au bout de sa phrase parce qu'elle voit bien qu'il ne l'écoute pas. Evidemment lui, il a déjà compris. Il tripote tous les boutons de son appareil pour donner le change mais il a déjà compris.

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