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— Bon sang, dit Bob. Nous aurions dû le prévoir. Il a une voiture. Qu'est-ce qu'on fait?

— Tu te sens capable de conduire?

— Mais je n'ai pas de permis.

— Il s'agit de ton père!

— Bon, j'essaie, fit Bob. Mais ça va mal finir!

Le moteur partit au premier coup de démarreur. Ils le laissèrent chauffer pendant que l'inconnu traversait le jardin en direction du parking. Il ouvrit la portière d'une Austin et s'installa au volant.

— Commence à reculer… doucement, ordonna François. C'est très bien. Tu manœuvres comme un grand… Tu le vois, maintenant?… Tâche de le suivre de près. Avec cette pluie, sa vitre arrière est sûrement couverte de buée. Il ne s'apercevra de rien.

L'Austin, au moment de virer dans l'avenue, faillit accrocher une camionnette.

— Il ne conduit pas mieux que moi, dit Bob.

— C'est un étranger, observa François après quelques instants. Il n'a pas l'habitude de conduire à gauche.

Et, en effet, l'Austin avait tendance à rouler au milieu de la chaussée, ce qui provoqua, au premier carrefour, plusieurs coups d'avertisseurs.

— Tu sais dans quelle direction on va? demanda François.

— Pas la moindre idée. J'ai déjà assez de mal à ne pas perdre notre type de vue, tu sais. Je ne peux pas être à la fois pilote et navigateur… Quand tu apercevras un bus, signale-moi son numéro.

L'homme, en dépit de sa maladresse, roulait vite, dès que la circulation devenait moins dense, et Bob le suivait à grand-peine. Si, par malheur, un feu rouge venait à s'interposer, c'en serait fini de la filature. François, crispé, surveillait la rue, essayait de repérer un monument, et il devait, sans cesse, avec son mouchoir, essuyer le pare-brise qui s'embrumait. Les bus à impériale passaient, comme de grandes ombres; impossible de les identifier.

— On est sur un pont. Il y a des lignes de chemins de fer.

Bob ne répondit pas. Il s'appliquait tellement que la sueur perlait à la racine de ses cheveux. L'Austin doubla un camion. Bob voulut la suivre, mais une voiture survint et il se rabattit, se trompa dans ses vitesses, jura, repartit dans un hurlement de moteur surmené. Presque à l'aveuglette, dans la poussière d'eau soulevée par le camion, il passa, fit une queue de poisson qui provoqua, derrière, un puissant grincement de freins.

— Je le vois! cria François.

Les maisons étaient moins hautes. Les jardins faisaient leur apparition. On arrivait dans une banlieue, mais laquelle? L'Austin filait toujours bon train. Le ciel était devenu si sombre que les voitures allumaient leurs veilleuses. Les feux de position de l'Austin brillaient, maintenant, à trente mètres. Bob considérait sa jauge d'essence avec inquiétude.

— Je me demande, dit-il, si on ne va pas tomber en panne sèche. Papa ne songe jamais à prendre de l'essence.

— Espérons que le type n'habite pas trop loin… Combien a-t-on fait de kilomètres?

— Je n'ai pas songé à regarder le compteur, au départ. Mais pas plus de sept ou huit, à mon avis.

Ils longeaient maintenant des entrepôts, des murs d'usine, puis ils traversèrent un quartier tranquille de petites maisons à un étage, toutes semblables.

— J'ai beau habiter Londres, dit Bob. Je ne reconnais pas le coin. On doit être dans la banlieue nord.

L'Austin tourna brusquement à gauche. Bob, surpris, freina en oubliant de débrayer. Le moteur cala. Le temps de le remettre en marche, de manœuvrer, l'Austin n'était plus en vue. Mais la petite route qu'ils suivaient maintenant filait toute droite, sans aucun embranchement, entre des vergers, des jardins, par endroits des terrains vagues. Bob accéléra. François, contracté, crispait ses mains au tableau de bord. Il n'osait pas conseiller à Bob d'aller moins vite, mais il savait que, si un obstacle se présentait, avec cette route détrempée, ce serait l'inévitable dérapage. C'est ce qui faillit se produire, quelques minutes plus tard, quand l'Austin apparut, stoppée sur le bas-côté. Bob freina brutalement. La voiture se mit à tanguer, partit sur la droite, revint à gauche. Bob se cramponnait au volant, les yeux lui sortaient de la tête. Il rasa le mur d'une propriété, changea de vitesse en faisant craquer horriblement les pignons et la vieille Morris consentit enfin à stopper, presque en travers du chemin. Les deux garçons se regardèrent. Ils étaient plus blêmes l'un que l'autre.

— Evidemment, dit Bob d'un air piteux; ça ressemble un peu trop à du rodéo. Je crois que j'ai eu un peu peur.

— Moi aussi, avoua François.

Bob, avec précaution, rangea la voiture, puis, bien encapuchonnés, ils sortirent dans le vent et la pluie. Il n'y avait plus personne dans l'Austin. L'homme avait dû entrer dans un petit parc au fond duquel on distinguait confusément une maison à un étage. François souleva le loquet d'une porte grillagée. La porte s'ouvrit.

— Pas besoin d'entrer à deux, chuchota-t-il. Attends-moi dans l'auto et tiens-toi prêt à démarrer. Moi, je vais jeter un coup d'œil.

Le projet était un peu fou et François ne l'ignorait pas. Il avait affaire à un homme décidé, qui n'avait pas hésité à tirer sur M. Skinner. La prudence aurait voulu que… Mais François ne s'appartenait plus. C'était Sans-Atout, désormais, qui menait le jeu. Et Sans-Atout pénétra hardiment dans le parc, passant rapidement d'un arbre à l'autre, et surveillant la maison silencieuse à travers les hachures de la pluie. Elle semblait abandonnée. Pourtant, l'homme était là, sans aucun doute. Sans-Atout regarda l'heure à son poignet: presque midi. Sur la pointe des pieds, il franchit en courant l'espace qui s'étendait devant le perron.

La demeure ressemblait beaucoup à celle de M. Skinner. L'entrée de l'office devait se trouver de l'autre côté. Sautant entre les flaques, il contourna le petit hôtel et découvrit tout de suite la porte de la cuisine, qui était entrouverte. Peut-être l'homme était-il en train de déjeuner? Rasant le mur, le visage trempé, Sans-Atout s'approcha. La cuisine était vide.

Il entra. La pièce était meublée sommairement. Il n'y avait même pas de frigidaire. Et l'on ne devait pas balayer souvent! Une autre porte ouvrait sur le hall. Sans-Atout écouta. Un bruit rassurant le renseigna: quelqu'un, au premier, tapait à la machine. L'ennemi était localisé. Tant qu'il taperait, Sans-Atout ne courrait aucun risque, car, de toute évidence, il n'y avait pas de domestiques. La maison était trop mal tenue!

Sans-Atout commença sa visite, avec des précautions de Peau-Rouge. La salle à manger, banale à pleurer, avec son buffet imitation Régence et ses gravures bon marché représentant des chasses à courre; le salon, qui sentait le moisi et l'abandon, et enfin un petit bureau… Coup au cœur! La valise était là, sur la table, entre le téléphone et un annuaire. C'était sûrement elle, mallette plus que valise, et juste assez plate pour passer entre les barreaux d'une grille. Il l'ouvrit. C'était bien cela. La main de marbre, les pistolets, le poignard, l'éléphant… pêle-mêle, comme des objets hâtivement réunis. Sans-Atout l'empoigna sans hésiter. Avec cette mallette, il allait pouvoir… Quoi? Confondre Miss Mary? Il ne savait pas encore. Il était trop bouleversé. La complicité de la jeune femme était évidente, puisque l'homme qui tapait à la machine était, vraisemblablement, le bandit qui avait blessé M. Skinner. Mais il faudrait peut-être attendre…

Les idées se bousculaient dans sa tête. Vite! S'en aller, d'abord. Et aviser, plus tard. Il revint dans le hall, et ce fut le drame, au moment où il se dirigeait vers la cuisine. Il avait laissé derrière lui toutes les portes ouvertes, pour battre en retraite plus facilement. Mais un brusque courant d'air se produisit, qui fit violemment claquer, quelque part, une fenêtre. Le bruit de la machine à écrire s'arrêta. Un pas lourd retentit.

Sans-Atout se lança, à corps perdu, dans le jardin. Il courait maladroitement, avec cette mallette qui le déséquilibrait. L'autre allait surgir, sans doute tirer, comme il avait tiré sur M. Skinner.

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