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— Papa!

— Doucement, dit le docteur. Et pas plus de quelques minutes.

Miss Mary se pencha au-dessus de M. Skinner et l'embrassa sur le front, tandis que Bob lui tenait la main, bien décidé à ne pas la lâcher. M. Skinner, très pâle, ferma les yeux puis les rouvrit, et s'adressa à François:

— Mon pauvre ami, murmura-t-il. Je crois bien que je vais gâcher vos vacances. Mais, vous savez, je reviens de loin… Au fond, j'ai eu tort de me débattre, quand cet homme s'est jeté sur moi; je n'aurais pas dû chercher à m'enfuir. Il ne m'aurait pas tiré dessus.

— Comment était-il, cet homme? ne put s'empêcher de demander François.

— Je ne sais pas. Il faisait trop noir, et tout cela a été si rapide!.. J'aurais dû…

Le médecin se rapprocha du lit.

— Ne vous agitez pas, monsieur Skinner. Mais le blessé fit encore un effort et tourna la tête vers Bob.

— Il a tout pris, n'est-ce pas?

— Non. Seulement le classeur rouge.

— C'est la même chose… M. Merrill va m'en vouloir!..

— Ne pensez plus à M. Merrill, chuchota la jeune femme. Plus vite vous oublierez vos affaires et plus vite vous serez guéri… N'est-ce pas, docteur?

— C'est évident, dit celui-ci. Maintenant, nous allons vous laisser reposer… Il a pris un calmant et je pense qu'il va dormir.

Miss Mary passa doucement sa main gantée sur la joue déjà barbue du blessé.

— Faites-moi confiance, dit-elle. Je m'installe à la maison. Tout ira bien… Et je suis sûre que vous ne tarderez pas à nous revenir… Bob, venez!

A regret, Bob lâcha la main de son père. Il s'éloigna à reculons, puis, gravement, il dit au docteur:

— Si vous avez besoin de sang pour une transfusion, je suis là. J'y tiens.

Le docteur sourit.

— Bon, bon. Nous verrons. Mais nous avons tout ce qu'il faut. Ne vous inquiétez pas. Sur le seuil, Bob se retourna. Miss Mary le saisit par le bras et ferma la porte.

— Courage, mon petit Bob. Puisqu'on nous assure qu'il n'est pas en danger… Répétez-le-lui, docteur.

Celui-ci donna, encore une fois, les assurances les plus formelles et prit congé.

Ils se retrouvèrent tous les trois dans la cour de l'hôpital et Miss Mary, pour distraire les garçons, proposa d'aller déjeuner au «Sherlock Holmes».

Il était encore un peu tôt. Ils se promenèrent sur le Strand, firent quelques achats et, à midi, descendirent vers la Tamise.

— Et si on ne peut pas extraire la balle? dit Bob.

— Oh, Bob! fit la jeune femme. Croyez-vous que je ne suis pas inquiète, moi aussi? Mais Jonathan est entre des mains sûres. Alors à quoi bon imaginer le pire. Esseyons d'oublier, pendant une heure.

Le pub, bas de plafond, était peu éclairé, mais des reflets jouaient de tous côtés sur des boiseries anciennes. Le bar, massif et confortable, partageait la salle en deux et de nombreux buveurs, juchés sur de très hauts tabourets, bavardaient tranquillement, devant des verres de bière. Aux murs, étaient accrochés des revolvers, du temps de Sherlock Holmes, et des reproductions de lettres, signées Watson. La redoutable tête du chien des Baskerville ornait un panneau.

Miss Mary s'engagea la première dans l'étroit escalier à vis qui conduisait au premier étage, et soudain François découvrit le musée. En vérité, c'était moins un musée qu'un cabinet de travail, mais François reconnut au premier coup d'œil, derrière des vitres qui tenaient les visiteurs à distance, le célèbre bureau de Sherlock Holmes, minutieusement reconstitué. Ici, la babouche persane où Sherlock gardait son tabac, et la pipe recourbée, compagne des heures de méditation ardue. Là, le mannequin qu'il avait utilisé dans sa lutte contre le professeur Moriarty; sur un guéridon, reposait son violon. Il y avait tant d'objets variés dans cette pièce que François ne savait où jeter ses regards: la célèbre coiffure à double visière, la bibliothèque, des armes encore, des fioles pour des analyses chimiques, des postiches et, enveloppant le tout, une atmosphère surannée, irréelle et troublante. Le front contre la vitre, François contemplait le monde de son enfance. Ah! La bande mouchetée, Le pouce de l'ingénieur… et Sherlock Holmes disant: «Elémentaire, mon cher Watson!» Tant de souvenirs! Tant d'émotions! François avait oublié l'affaire Skinner. Et il eut l'impression de se réveiller, quand Miss Mary le tira par la manche.

— A table!

Ce fut un étrange repas. François faisait face à ce petit appartement de Baker Street où tant de mystères impénétrables avaient trouvé leur dénouement rapide, simple, logique. Et lui, est-ce qu'il saurait dénouer le mystère Skinner? Entre chaque bouchée, il relevait la tête et regardait, et cherchait conseil auprès du fantôme qui habitait invisible ce bureau encombré.

— C'est intéressant, n'est-ce pas? dit Miss Mary.

Intéressant! Le mot était bien faible! C'était captivant. C'était prodigieux. François ne savait plus ce qu'il mangeait et son silence devenait de plus en plus impoli. Son corps était d'un côté de la vitre et son esprit de l'autre. En pensée, il se tenait devant le fauteuil du Maître; il exposait son problème. Et le docteur Watson approuvait. Et Sherlock Holmes, les yeux mi-clos, réfléchissait, réunissant les éléments d'une série d'éblouissantes déductions.

— Tu préfères une glace au chocolat, à la fraise ou à la vanille? demanda Bob.

François parut si ahuri qu'en dépit de leurs soucis Miss Mary et Bob éclatèrent de rire. Bob s'adressa à la jeune femme:

— Ce n'est pas François qui est avec nous.

C'est Sans-Atout. Ah mais, c'est qu'il joue au détective, à ses heures! Vous ne savez pas qui est Sans-Atout? Je vais vous le dire.

Et il expliqua pourquoi on avait donné ce surnom à François. Miss Mary écoutait avec indulgence ces histoires de gosses, et François en fut secrètement dépité. Mais il devait bien s'avouer que, jusqu'à présent, il n'avait fait que jouer aux gendarmes et aux voleurs et qu'il était complètement perdu dans une affaire où le sang avait coulé. Ramené sur terre, il cessa de tourner les yeux vers ce qui n'était, en somme, qu'une petite salle poussiéreuse abritant des vieilleries et des rêves puérils.

La vérité, la vraie, il la découvrit une heure plus tard, en franchissant le seuil de Scotland Yard, devant un gigantesque policeman. Ici, on ne s'amusait plus. On pénétrait dans le royaume ténébreux de l'Enquête criminelle. Pourtant, les gens qu'on croisait n'avaient pas l'air bien redoutable. L'immeuble non plus n'imposait guère. Cela tenait plus de la Sécurité sociale que de la Maison de la police. Il y avait des bureaux, beaucoup trop de bureaux, des secrétaires qui passaient avec des dossiers sous le bras, des machines à écrire tapant derrière des portes closes, et des couloirs à n'en plus finir. Miss Mary, toujours à l'aise, demanda l'inspecteur Morrisson à un homme qui devait être quelque chose comme un huissier. Ils montèrent un escalier, et arrivèrent dans une espèce de salle d'attente où l'inspecteur vint presque aussitôt les chercher. Il les introduisit dans un nouveau bureau — encore un — meublé sans élégance d'un matériel métallique verdâtre, et attaqua d'emblée, car il semblait pressé:

— J'ai fait descendre le fichier. Approchez-vous.

Les deux garçons obéirent, tandis que l'inspecteur avançait une chaise pour Miss Mary.

— Vous d'abord, dit-il à François. Je préfère que vous ne vous influenciez pas l'un l'autre.

Et François vit soudain défiler devant ses yeux une interminable série de visages, plus ou moins barbus, plus ou moins jeunes, plus ou moins patibulaires. Il passa bientôt la main sur ses paupières.

— Ils ne sont pas très beaux à voir, admit Morrisson. Mais n'oublions pas que l'homme se trouve peut-être là…

Et il passait devant François une nouvelle photographie, face et profil, un nouveau visage figé dans sa violence secrète, par le flash.

— Non, répétait François.

Nouvelle photographie…, nouvelle figure…, le plus souvent marquée par une vie d'aventures. Mais le visiteur mystérieux n'était pas fiché par la police, ou du moins François ne l'avait pas reconnu. Bob prit sa place, et le défilé recommença, sans plus de succès.

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