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– Barbouze de chez Fior.

– Tout juste, dit Gabriel, en remettant son mouchoir dans sa poche. Un parfum d'homme.

– Ça c'est vrai, dit la veuve.

Et à Zazie:

– Tu n'as rien deviné du tout.

Zazie, horriblement vexée, se tourne vers Gabriel:

– Alors pourquoi que le type t'a accusé de ça?

– Quel type? demanda la dame.

– Il t'accusait bien de faire le tapin, répliqua Gabriel à l'intention de Zazie.

– Quel tapin? demanda la dame.

– Aouïe, cria Gabriel.

– N'egzagère pas, ma petite, dit la dame avec une indulgence factice.

– Pas besoin de vos conseils.

Et Zazie pinça de nouveau Gabriel.

– C'est vraiment charmant les gosses, murmura distraitement Gabriel en assumant son martyre.

– Si vous aimez pas les enfants, dit là bourgeoise, on se demande pourquoi vous vous chargez de leur éducation.

– Ça, dit Gabriel, c'est toute une histoire.

– Racontez-la-moi, dit la dame.

– Merci, dit Zazie, je la connais.

– Mais moi, dit la veuve, je ne la connais pas.

– Ça, on s'en fout. Alors tonton, et cette réponse?

– Puisque je t'ai dit non, non et non.

– Elle a de la suite dans les idées, fît observer la dame qui croyait le jugement original.

– Une vraie petite mule, dit Gabriel avec attendrissement.

La dame fit ensuite cette remarque non moins judicieuse que la précédente:

– Vous ne semblez pas très bien la connaître, cette enfant. On dirait que vous êtes en train de découvrir ses différentes qualités.

Elle roula le mot qualités entre des guillemets.

– Qualités mon cul, grommela Zazie.

– Vzêtes une fine mouche, dit Gabriel. En fait je nl'ai sur les bras que depuis hier.

– Je vois.

– Elle voit quoi? demanda Zazie aigrement.

– Est-ce qu'elle sait? dit Gabriel en haussant les épaules.

Négligeant cette parenthèse plutôt péjorative, la veuve ajouta:

– Et c'est votre nièce?

– Gzactement, répondit Gabriel.

– Et lui, c'est ma tante, ajouta Zazie qui croyait la plaisanterie assez neuve ce qu'on escusa étant donné son jeune âge.

– Hello! s'écrièrent des gens qui descendaient d'un taxi.

Les plus mordus d'entre les voyageurs, la dame francophone en tête, revenus de leur surprise, pourchassaient leur archiguide à travers le dédale lutécien et le magma des encombrements et venaient avec un pot d'enfer de remettre la main dssus. Ils manifestaient une grande joie, car ils étaient sans rancune au point de ne pas même soupçonner qu'ils avaient des raisons d'en avoir. Se saisissant de Gabriel aux cris de Montjoie Sainte-Chapelle! ils le traînèrent jusqu'à leur véhicule, l'insérèrent dedans non sans habileté et s'entassèrent dessus pour qu'il ne s'envolât point avant qu'il leur eût montré leur monument favori dans tous ses détails. Ils ne se soucièrent point d'emmener Zazie avec eux. La dame francophone lui fit simplement un petit signe amical et d'une ironique pseudoconnivence tandis que le bahut démarrait, cependant que l'autre dame, non moins francophone d'ailleurs mais veuve, faisait des petits sauts sur place en poussant des clameurs. Les citoyens et citoyennes qui se trouvaient dans lcoin asteure se replièrent sur des positions moins esposées au tintouin.

– Si vous continuez à gueuler comme ça, bougonna Zazie, y a un flic qu'est capable de se ramener.

– Petit être stupide, dit la veuve, c'est bien pour ça que je crie: aux guidenappeurs, aux guidenappeurs.

Enfin se présente un flicard alerté par les bêlements de la rombière.

– Y a kèkchose qui se passe? qu'il demande.

– On vous a pas sonné, dit Zazie.

– Vous faites pourtant un de ces ramdams, dit le flicard.

– Y a un homme qui vient de se faire enlever, dit la dame haletante. Un bel homme même.

– Crénom, murmura le flicard mis en appétit.

– C'est ma tante, dit Zazie.

– Et lui? demanda le flicard.

– C'est lui qu'est ma tante, eh lourdingue.

– Et elle alors?

Il désignait la veuve.

– Elle? c'est rien.

Le policemane se tut pour assimiler le zest de la situation. La dame, stimulée par l'épithète zazique, sur-le-champ conçut un audacieux projet.

– Courons sus aux guidenappeurs, qu'elle dit, et à la Sainte-Chapelle nous le délivrerons.

– Ça fait une trotte, remarqua le sergent de ville bourgeoisement. Je suis pas champion de cross, moi.

– Vous ne voudriez tout de même pas qu'on prenne un taxi et que je le paye, moi.

– Elle a raison, dit Zazie qui était près de ses sous. Elle est moins conne que je ne croyais.

– Je vous remercie, dit la dame enchantée.

– Y a pas de quoi, répliqua Zazie.

– Tout de même c'est gentil, insista la dame.

– Ça va ça va, dit Zazie modestement.

– Quand vous aurez fini tous vos salamalecs, dit le flicard.

– On ne vous demande rien, dit la dame.

– Ça c'est bien les femmes, s'esclama le sergent de ville. Comment ça, vous ne me demandez rien? Vous me demandez tout simplement de me foutre un point de côté, oui. Si c'est pas rien, ça, alors je comprends plus rien à rien.

Il ajouta d'un air nostalgique:

– Les mots n'ont plus le même sens qu'autrefois.

Et il soupirait en regardant l'extrémité de ses tatanes.

– Tout ça ne me rend pas mon tonton, dit Zazie. On va encore dire que j'ai voulu faire une fugue et ce sera pas vrai.

– Ne vous inquiétez pas, mon enfant, dit la veuve. Je serai là pour témoigner de votre bonne volonté et de votre innocence.

– Quand on l'est vraiment, innocent, dit le sergent de ville, on a besoin de personne.

– Le salaud, dit Zazie, je le vois venir avec ses gros yéyés. I sont tous pareils.

– Vous les connaissez donc tant que ça, ma pauvre enfant?

– M'en parlez pas, ma pauvre dame, répond Zazie en minaudant. Figurez-vous que maman elle a fendu le crâne à mon papa à la hache. Alors des flics après ça, vous parlez si j'en ai vu, ma chère.

– Ça alors, dit le sergent de ville.

– C'est encore rien les flics, dit Zazie. Mais c'est les juges. Alors ceux-là…

– Tous des vaches, dit le sergent de ville avec impartialité.

– Eh bien, les flics comme les juges, dit Zazie, je les eus. Comme ça (geste).

La veuve la regardait émerveillée.

– Et moi, dit le sergent de ville, comment vas-tu t'y prendre pour m'avoir?

Zazie l'examina.

– Vous, qu'elle dit, j'ai déjà vu votre tête quelque part.

– Ça m'étonnerait, dit le flicmane.

– Et pourquoi ça? Pourquoi que je vous aurais pas déjà vu quelque part?

– En effet, dit la veuve. Elle a raison, cette petite.

– Je vous remercie, madame, dit Zazie.

– Il n'y a pas de quoi.

– Mais si mais si.

– Elles se foutent de moi, murmura le sergent de ville.

– Alors? dit la veuve. C'est tout ce que vous savez faire? Mais remuez-vous donc un peu.

– Moi, dit Zazie, je sais sûre de l'avoir vu quelque part.

Mais la veuve avait brusquement reporté son admiration sur le flic.

– Montrez-nous vos talents, qu'elle lui dit en accompagnant ces mots d'une œillade aphrodisiaque et vulcanisante. Un bel agent de police comme vous, ça doit en connaître des trucs. Dans les limites de la légalité, bien sûr.

– C'est un veau, dit Zazie.

– Mais non, dit la dame. Faut l'encourager. Faut être compréhensive.

Et de nouveau elle le regarda d'un œil humide et thermogène.

– Attendez, dit le flicmane soudain mis en mouvement, vzallez voir ce que vzallez voir. Vzallez voir ce dont est capable Trouscaillon.

– Il s'appelle Trouscaillon! s'écria Zazie enthousiasmée.

– Eh bien moi, dit la veuve en rougissant un tantinet, je m'appelle madame Mouaque. Comme tout le monde, qu'elle ajouta.

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