Литмир - Электронная Библиотека
A
A

– Et la Sainte-Chapelle?

– Ah ah, dit Gabriel et il fit un grand geste.

– Il va parler, dit la dame polyglotte à ses congénères en leur idiome natif.

D'aucuns, encouragés, montèrent sur les banquettes pour ne rien perdre et du discours et de la mimique. Gabriel toussota pour se donner de l'assurance. Mais Zazie recommença.

– Aouïe, dit Gabriel distinctement,

– Le pauvre homme, s'écria la dame.

– Ptite vache, murmura Gabriel en se frottant la cuisse.

– Moi, lui souffla Zazie dans le cornet de l'oreille, je me tire au prochain feu rouge. Alors, tonton, tu vois ce qui te reste à faire.

– Mais après, comment on fera pour rentrer? dit Gabriel en gémissant.

– Puisque je te dis que j'ai pas envie de rentrer.

– Mais ils vont nous suivre…

– Si on descend pas, dit Zazie avec férocité, je leur dis que t'es un hormosessuel.

– D'abord, dit paisiblement Gabriel, c'est pas vrai et, deuzio, i comprendront pas.

– Alors, si c'est pas vrai, pourquoi le satyre t'a dit ça?

– Ah pardon (geste). Il est pas du tout démontré que ça eille été un satyre.

– Bin qu'est-ce qu'i te faut.

– Ce qu'il me faut? Des faits!

Et il fit de nouveau un grand geste d'un air illuminé qui impressionna fortement les voyageurs fascinés par le mystère de cette conversation qui joignait à la difficulté du vocabulaire tant d'associations d'idées exotiques.

– D'ailleurs, ajouta Gabriel, quand tu l'as amené, tu nous as dit que c'était un flic.

– Oui, mais maintenant je dis que c'était un satyre. Et puis, tu n'y connais rien.

– Oh pardon (geste), je sais ce que c'est.

– Tu sais ce que c'est?

– Parfaitement, répondit Gabriel vexé, j'ai eu souvent à repousser les assauts de ces gens-là. Ça t'étonne?

Zazie s'esclaffa.

– Ça ne m'étonne pas du tout, dit la dame francophone qui comprenait vaguement qu'on était sur le chapitre des complexes. Oh! mais!! pas du tout!!!

Et elle biglait le colosse avec une certaine langueur.

Gabriel rougit et resserra le nœud de sa cravate après avoir vérifié d'un doigt preste et discret que sa braguette était bien close.

– Tiens, dit Zazie qui en avait assez de rire, tu es un vrai tonton des familles. Alors, on se tire?

Elle le pinça de nouveau sévèrement. Gabriel fit un petit saut en criant aouïe. Bien sûr qu'il aurait pu lui foutre une tarte qui lui aurait fait sauter deux ou trois dents, à la mouflette, mais qu'auraient dit ses admirateurs? Il préférait disparaître du champ de leur vision que de leur laisser l'image pustuleuse et répréhensible d'un bourreau d'enfant. Un encombrement appréciable s'étant offert, Gabriel, suivi de Zazie, descendit tranquillement tout en faisant aux voyageurs déconcertés de petits signes de connivence, hypocrite manœuvre en vue de les duper. Effectivement, les dits voyageurs repartirent avant d'avoir pu prendre de mesures adéquates. Quant à Fédor Balanovitch, les allées et venues de Gabriella le laissaient tout à fait indifférent et il ne se souciait que de mener ses agneaux en lieu voulu avant l'heure où les gardiens de musée vont boire, une telle faille dans le programme n'étant pas réparable car le lendemain les voyageurs partaient pour Gibraltar aux anciens parapets. Tel était leur itinéraire.

Après les avoir regardés s'éloigner, Zazie eut un petit rire, puis, par une habitude rapidement prise, elle saisit à travers l'étoffe du pantalon un bout de chair de cuisse de l'oncle entre ses ongles et lui imprime un mouvement hélicoïdal.

– Merde à la fin, gueula Gabriel, c'est pas drôle quoi merde ce petit jeu-là, t'as pas encore compris?

– Tonton Gabriel, dit Zazie paisiblement, tu m'as pas encore espliqué si tu étais un hormosessuel ou pas, primo, et deuzio où t'avais été pêcher toutes les belles choses en langue forestière que tu dégoisais tout à l'heure? Réponds.

– T'en as dla suite dans les idées pour une mouflette, observa Gabriel languissamment.

– Réponds donc, et elle lui foutit un bon coup de pied sur la cheville.

Gabriel se mit à sauter à cloche-pied en faisant des simagrées.

– Houille, qu'il disait, houïe là là aouïe.

– Réponds, dit Zazie.

Une bourgeoise qui maraudait dans le coin s'approcha de l'enfant pour lui dire ces mots:

– Mais, voyons, ma petite chérie, tu lui fais du mal à ce pauvre meussieu. Il ne faut pas brutaliser comme ça les grandes personnes.

– Grandes personnes mon cul, répliqua Zazie. Il veut pas répondre à mes questions.

– Ce n'est pas une raison valable. La violence, ma petite chérie, doit toujours être évitée dans les rapports humains. Elle est éminemment condamnable.

– Condamnable mon cul, répliqua Zazie, je ne vous demande pas l'heure qu'il est.

– Seize heures quinze, dit la bourgeoise.

– Vous n'allez pas laisser cette petite tranquille, dit Gabriel qui s'était assis sur un banc.

– Vous m'avez encore l'air d'être un drôle d'éducateur, vous, dit la dame.

– Éducateur mon cul, tel fut le commentaire de Zazie.

– La preuve, vous n'avez qu'à l'écouter parler (geste), elle est d'une grossièreté, dit la dame en manifestant tous les signes d'un vif dégoût.

– Occupez-vous de vos fesses à la fin, dit Gabriel. Moi j'ai mes idées sur l'éducation.

– Lesquelles? demanda la dame en posant les siennes sur le banc à côté de Gabriel.

– D'abord, primo, la compréhension.

Zazie s'assit de l'autre côté de Gabriel et le pinça rien qu'un petit peu.

– Et ma question à moi? demanda-t-elle mignardement. On y répond pas?

– Je peux tout de même pas la jeter dans la Seine, murmura Gabriel en se frottant la cuisse.

– Soyez compréhensif, dit la bourgeoise avec son plus charmant sourire.

Zazie se pencha pour lui dire:

– Vous avez fini de lui faire du plat à mon tonton? Vous savez qu'il est marié.

– Mademoiselle, vos insinuations ne sont pas de celles que l'on subtruque à une dame dans l'état de veuvage.

– Si je pouvais me tirer, murmura Gabriel.

– Tu répondras avant, dit Zazie.

Gabriel regardait le bleu du ciel en mimant le désintérêt le plus total.

– Il n'a pas l'air de vouloir, remarqua la dame veuve objectivement.

– Faudra bien.

Et Zazie fit semblant de vouloir le pincer. Le tonton bondit avant même d'être touché. Les deux personnes du sexe féminin s'en réjouirent grandement. La plus âgée, modérant les soubresauts de son rire, formula la question suivante:

– Et qu'est-ce que tu voudrais qu'il te dise?

– S'il est hormosessuel ou pas.

– Lui? demanda la bourgeoise (un temps). Y a pas de doute.

– Pas de doute: quoi? demanda Gabriel d'un ton assez menaçant.

– Que vous en êtes une.

Elle trouvait ça tellement drôle qu'elle en gloussait.

– Non mais dites donc, dit Gabriel en lui donnant une petite tape dans le dos qui lui fit lâcher son sac à main.

– Il n'y a pas moyen de causer avec vous, dit la veuve en ramassant différents objets éparpillés sur l'asphalte.

– T'es pas gentil avec la dame, dit Zazïe.

– Et ce n'est pas en évitant de répondre aux questions d'une enfant que l'on fait son éducation, ajouta la veuve en revenant s'asseoir à côté de lui.

– Faut être plus compréhensif, ajouta Zazie hypocritement.

Gabriel grinça des dents.

– Allez, dites-le, si vous en êtes ou si vous en êtes pas.

– Non non et non, répondit Gabriel avec fermeté.

– Elles disent toutes ça, remarqua la dame pas convaincue du tout.

– Au fond, dit Zazie, je voudrais bien savoir ce xé.

– Quoi?

– Ce xé qu'un hormosessuel.

– Parce que tu ne le sais pas?

– Je devine bien, mais je voudrais bien qu'il me le dise.

– Et qu'est-ce que tu devines?

– Tonton, sors un peu voir ta pochette.

Gabriel, soupirant, obéit. Toute la rue embauma.

– Vzavez compris? demanda Zazie finement à la veuve qui remarque à mi-voix:

17
{"b":"100608","o":1}