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– Et qui était ce Georges?

– Un charcutier. Tout rose. Le coquin de maman. C'est lui qui avait refilé la hache (silence) pour couper son bois (léger rire).

Elle s'envoie une petite lampée de bière, avec distinction, tout juste si elle ne lève pas l'auriculaire.

– Et c'est pas tout, qu'elle ajoute, moi, que vous voyez là devant vous, eh bien, j'ai déposé au procès, et à huis clos encore.

Le type ne réagit pas.

– Vous me croyez pas?

– Bien sûr que non. C'est pas légal un enfant qui dépose contre ses parents.

– D'abord, des parents y en avait plus qu'un, primo, et ensuite vous y connaissez rien. Vous auriez qu'à venir chez nous à Saint-Montron et je vous montrerais un cahier où j'ai collé tous les articles de journaux où il est question de moi. Même que Georges, pendant que maman était en tôle, pour mon petit Noël, il m'a abonnée à l'Argus de la Presse. Vous connaissez ça l'Argus de la Presse?

– Non, dit le type.

– Minable. Et ça veut discuter avec moi.

– Pourquoi aurais-tu témoigné à huis clos?

– Ça vous intéresse, hein?

– Pas spécialement.

– Ce que vous pouvez être sournois.

Et elle s'envoie une petite lampée de bière, avec distinction, tout juste si elle ne lève pas l'auriculaire. Le type ne bronche pas (silence).

– Allons, finit par dire Zazie, faut pas bouder comme ça. Je vais vous la raconter, mon histoire.

– J'écoute.

– Voilà. Faut vous dire que maman pouvait pas blairer papa, alors papa, ça l'avait rendu triste et il s'était mis à picoler. Qu'est-ce qu'il descendait comme litrons. Alors, quand il était dans ces états-là, fallait se garer de lui, parce que le chat lui-même y aurait passé. Comme dans la chanson. Vous connaissez?

– Je vois, dit le type.

– Tant mieux. Alors je continue: un jour, un dimanche, je rentrais de voir un match de foute, y avait le Stade Sanctimontronais contre l'Étoile-Rouge de Neuflize, en division d'honneur c'est pas rien. Vous vous intéressez au sport, vous?

– Oui. Au catch.

Considérant le gabarit médiocre du bonhomme, Zazie ricane.

– Dans la catégorie spectateurs, qu'elle dit.

– C'est une astuce qui traîne partout, réplique le type froidement.

De rage, Zazie assèche son demi, puis elle la boucle.

– Allons, dit le type, faut pas bouder comme ça. Continue donc ton histoire.

– Elle vous intéresse, mon histoire?

– Oui.

– Alors, vous mentiez tout à l'heure?

– Continue donc.

– Vous énervez pas. Vous seriez plus en état de l'apprécier, mon histoire.

V

Ltipstu et Zazie reprit son discours en ces termes:

– Papa, il était donc tout seul à la maison, tout seul qu'il attendait, il attendait rien de spécial, il attendait tout de même, et il était tout seul, ou plutôt iï se croyait tout seul, attendez, vous allez comprendre. Je rentre donc, faut dire qu'il était noir comme une vache, papa, il commence donc à m'embrasser ce qu'était normal puisque c'était mon papa, mais voilà qu'il se met à me faire des papouilles zozées, alors je dis ah non parce que je comprenais où c'est qu'il voulait en arriver le salaud, mais quand je lui ai dit ah non ça jamais, lui il saute sur la porte et il la ferme à clé et il met la clé dans sa poche et il roule les yeux en faisant ah ah ah tout à fait comme au cinéma, c'était du tonnerre. Tu y passeras à la casserole qu'il déclamait, tu y passeras à la casserole, il bavait même un peu quand il proférait ces immondes menaces et finalement immbondit dssus. J'ai pas de mal à l'éviter. Comme il était rétamé, il se fout la gueule par terre. Isrelève. Ircommence à me courser, enfin bref, une vraie corrida. Et voilà qu'il finit par m'attraper. Et les papouilles zozées de recommencer. Mais, à ce moment, la porte s'ouvre tout doucement, parce qu'il faut vous dire que maman elle lui avait dit comme ça, je sors, je vais acheter des spaghetti et des côtes de porc, mais c'était pas vrai, c'était pour le feinter, elle s'était planquée dans la buanderie où c'est que c'est qu'elle avait garé la hache et elle s'était ramenée en douce et naturellement elle avait avec elle son trousseau de clés. Pas bête la guêpe, hein?

– Eh oui, dit le type.

– Alors donc elle ouvre la porte en douce et elle entre tout tranquillement, papa lui il pensait à autre chose le pauvre mec, il faisait pas attention quoi, et c'est comme ça qu'il a eu le crâne fendu. Faut reconnaître, maman elle avait mis la bonne mesure. C'était pas beau à voir. Dégueulasse même. De quoi mdonner des complexes. Et c'est comme ça qu'elle a été acquittée. J'ai eu beau dire que c'était Georges qui lui avait refilé la hache, ça n'a rien fait, ils ont dit que quand on a un mari qu'est un salaud de skalibre, y a qu'une chose à faire, qu'à lbousiller. Jvous ai dit, même qu'on l'a félicitée. Un comble, vous trouvez pas?

– Les gens… dit le type… (geste).

– Après, elle a râlé contre moi, elle m'a dit, sacrée conarde, qu'est-ce que t'avais besoin de raconter cette histoire de hache? Bin quoi jlui ai répondu, c'était pas la vérité? Sacrée connarde, qu'elle a répété et elle voulait me dérouiller, dans la joie générale. Mais Georges l’a calmée et puis elle était si fière d'avoir été applaudie par des gens qu'elle connaissait pas qu'elle pouvait plus penser à autre chose. Pendant un bout de temps, en tout cas.

– Et après? demanda le type.

– Bin après c'est Georges qui s'est mis à tourner autour de moi. Alors maman a dit comme ça qu'elle pouvait tout de même pas les tuer tous quand même, ça finirait par avoir l'air drôle, alors elle l'a foutu à la porte, elle s'est privée de son jules à cause de moi. C'est pas bien, ça? C'est pas une bonne mère?

– Ça oui, dit le type conciliant.

– Seulement, y a pas bien longtemps elle en a retrouvé un autre et c'est ce qui l'a amenée à Paris, elle lui court après, mais moi, pour pas me laisser seule en proie à tous les satyres, et y en a, et y en a, elle m'a confiée à mon tonton Gabriel. Il paraît qu'avec lui, j'ai rien à craindre.

– Et pourquoi?

– Ça j'en sais rien. Je suis arrivée seulement hier et j'ai pas eu le temps de me rendre compte.

– Et qu'est-ce qu'il fait, le tonton Gabriel?

– Il est veilleur de nuit, il se lève jamais avant midi une heure.

– Et tu t'es tirée pendant qu'il roupillait encore.

– Voilà.

– Et où habites-tu?

– Par là (geste).

– Et pourquoi pleurais-tu tout à l'heure sur le banc?

Zazie répond pas. Il commence à l'emmerder, ce type.

– Tu es perdue, hein?

Zazie hausse les épaules. C'est vraiment un sale type.

– Tu saurais me dire l'adresse du tonton Gabriel?

Zazie se tient des grands discours avec sa petite voix intérieure: non mais, de quoi je me mêle, qu'est-ce qu'i s'imagine, il l'aura pas volé, ce qui va lui arriver.

Brusquement, elle se lève, s'empare du paquet et se carapate. Elle se jette dans la foule, se glisse entre les gens et les éventaires, file droit devant elle en zigzag, puis vire sec tantôt à droite, tantôt à gauche, elle court puis elle marche, se hâte puis ralentit, reprend le petit trot, fait des tours et des détours.

Elle allait commencer à rire du bonhomme et de la tête qu'il devait faire lorsqu'elle comprit qu'elle se félicitait trop tôt. Quelqu'un marchait à côté d'elle. Pas besoin de lever les yeux pour savoir que c'était le type, cependant elle les leva, on sait jamais, c'en était peut-être un autre, mais non c'était bien le même, il n'avait pas l'air de trouver qu'il se soit passé quoi que ce soit d'anormal, il marchait comme ça, tout tranquillement.

Zazie ne dit rien. Le regard en dessous, elle egzamina le voisinage. On était sorti de la cohue, on se trouvait maintenant dans une rue de moyenne largeur fréquentée par de braves gens avec des têtes de cons, des pères de famille, des retraités, des bonnes femmes qui baladaient leurs mômes, un public en or, quoi. C'est du tout cuit, se dit Zazie avec sa petite voix intérieure. Elle prit sa respiration et ouvrit la bouche pour pousser son cri de guerre: au satyre! Mais le type était pas tombé de la dernière pluie. Lui arrachant le paquet méchamment, il se mit à la secouer en proférant avec énergie les paroles suivantes:

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