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– Tes papiers, hurlait celui qui savait causer.

– Tes papiers, hurlait celui qui savait pas.

– Tapage nocturne, surhurlèrent à ce moment de nouveaux flics complétés, eux, par un panier à salade. Chahut lunaire, boucan somnivore, médianoche gueulante, ah ça mais c'est que…

Avec un flair parfait, ils subodorèrent les responsables et sans hésiter embarquèrent Trouscaillon et les deux hanvélos. Le tout disparut en un instant.

– Y a tout de même une justice, dit Gabriel. La veuve Mouaque, elle, se lamentait.

– Faut pas pleurer, lui dit Gabriel. Il était un peu faux jeton sur les bords votre jules. Et puis on en avait mare, de sa filature. Allez, venez donc vous taper une soupe à l'oignon avec nous. La soupe à l'oignon qui berce et qui console.

XVII

Une larme tomba sur un croûton brûlant et s'y volatilisa.

– Allez allez, dit Gabriel à la veuve Mouaque, reprenez vos esprits. Un de perdu, dix de retrouvés. Moche comme vous êtes, vous n'aurez pas de mal à redécrocher un coquin.

Elle soupire, incertaine. Le croûton glisse dans la cuiller et la veuve se le projette, fumant, dans l'œsophage. Elle en souffre.

– Appelez les pompiers, lui dit Gabriel.

Et il lui remplit de nouveau son verre. Chaque bouchée mouaquienne est ainsi arrosée de muscadet sévère.

Zazie a rejoint Laverdure dans la somnie. Gridoux et Turandot se débattent en silence avec les fils du râpé.

– Fameuse hein, que leur dit Gabriel, cette soupe à l'oignon. On dirait que toi (geste) tu y as mis des semelles de bottes et toi (geste) que tu leur as refilé ton eau de vaisselle. Mais c'est ça que j'aime: la bonne franquette, le naturel. La pureté,

quoi.

Les autres approuvent, mais sans commentaires.

– Eh bien, Zazie, tu manges pas ta soupe?

– Laissez-la dormir, dit la veuve Mouaque d'une voix effondrée. Laissez-la rêver.

Zazie ouvre un œil.

– Tiens, qu'elle dit, elle est encore là, la vieille taupe.

– Faut avoir pitié des malheureux, dit Gabriel.

– Vzêtes bien bon, dit la veuve Mouaque. C'est pas comme elle (geste). Les enfants, c'est bien connu: ça n'a pas de cœur.

Elle vida son glasse et fit signe à Gabriel qu'elle souhaitait vivement qu'il le remplît de nouveau.

– Ce qu'elle peut déconner, dit Zazie faiblement.

– Peuh, dit Gabriel. Quelle importance? N'est-ce pas, vieille soucoupe? ajouta-t-il à l'intention de la principale intéressée.

– Ah vzêtes bon, vous, dit celle-ci. C'est pas comme elle. Les enfants, c'est bien connu. Ça n'a pas de cœur.

– Elle va nous les casser encore longtemps comme ça? demanda Turandot à Gabriel en profitant d'une déglutition réussie.

– Vous êtes dur, vous alors, dit Gabriel. Il a quand même du chagrin, ce vieux débris.

– Merci, dit la veuve Mouaque avec effusion.

– De rien, dit Gabriel. Et, pour revenir à cette soupe à l'oignon, il faut reconnaître que c'est une invention bien remarquable.

– Celle-ci, demanda Gridoux qui, au terme de sa consommation, raclait avec énergie le fond de son assiette pour faire un sort au gruyère qui adhérait encore à la faïence, celle-ci en particulier ou la soupe à l'oignon en général?

– En général, répondit Gabriel avec décision. Je ne parle jamais qu'en général. Je ne fais pas de demi-mesures.

– T'as raison, dit Turandot qui avait également achevé sa pâtée, faut pas chercher midi à quatorze heures. Egzemple: le muscadet se fait rare, c'est la vieille qui siffle tout.

– C'est qu'il n'est pas sale, dit la veuve Mouaque en souriant béatement. Moi aussi, je parle en général quand je veux.

– Tu causes, tu causes, dit Laverdure réveillé en sursaut pour un motif inconnu de tous et de lui-même, c'est tout ce que tu sais faire.

– J'en ai assez, dit Zazie en repoussant sa portion.

– Attends, dit Gabriel en attirant vivement l'assiette devant lui, je vais te terminer ça. Et qu'on nous envoie deux bouteilles de muscadet, et une de grenadine ajouta-t-il à l'intention d'un garçon qui circulait dans les parages. Et lui (geste), on l'oublie. Peut-être qu'il croquerait bien quelque chose?

– Hé Laverdure, dit Turandot, tu as faim?

– Tu causes, tu causes, dit Laverdure, c'est tout ce que tu sais faire.

– Ça, dit Gridoux, ça veut dire oui.

– C'est pas toi qui vas m'apprendre à comprendre ce qu'il raconte, dit Turandot avec hauteur.

– Je me permettrais pas, dit Gridoux.

– N'empêche qu'il l'a fait, dit la veuve Mouaque.

– Envenimez pas la situation, dit Gabriel.

– Tu comprends, dit Turandot à Gridoux, je comprends ce que tu comprends aussi bien que toi. Je suis pas plus con qu'un autre.

– Si tu comprends autant que moi, dit Gridoux, alors c'est que t'es moins con que t'en as l'air.

– Et pour en avoir l'air, dit la veuve Mouaque, il en a l'air.

– Elle est culottée, celle-là, dit Turandot. La vlà qui m'agonise maintenant.

– Voilà ce que c'est quand on n'a pas de prestige, dit Gridoux. Le moindre gougnafîer vous crache alors en pleine gueule. C'est pas avec moi qu'elle oserait.

– Tous les gens sont des cons, dit la veuve Mouaque avec une énergie soudaine. Vous compris, ajouta-t-elle pour Gridoux.

Elle reçut immédiatement une bonne calotte. Elle la rendit non moins prestement. Mais Gridoux en avait une autre en réserve qui retentit sur le visage mouaquien.

– Palsambleu, hurla Turandot.

Et il se mit à sautiller entre les tables, en essayant vaguement d'imiter Gabriella dans son numéro de La Mort du cygne.

Zazie, de nouveau, dormait. Laverdure, sans doute dans un esprit de vengeance, essayait de projeter un excrément frais hors de sa cage.

Cependant les gifles allaient bon train entre Gridoux et la veuve Mouaque et Gabriel s'esclaffait en voyant Turandot essayer de friser la jambe.

Mais tout ceci n'était pas du goût des loufiats d'Aux Nyctalopes. Deux d'entre eux spécialisés dans ce genre d'exploit saisirent subitement Turandot chacun sous un bras et, l'encadrant allègrement, ils eurent tôt fait de l'emmener hors pour le projeter sur l'asphalte de la chaussée, interrompant ainsi la maraude de quelques taxis moroses dans l'air grisâtre et rafraîchi du tout petit matin.

– Alors ça, dit Gabriel. Alors ça: non!

Il se leva et, attrapant les deux loufiats qui s'en retournaient satisfaits vers leurs occupations ménagères, il leur fait sonner le cassis l'un contre l'autre de telle force et belle façon que les deux farauds s'effondrent fondus.

– Bravo! s'écrient en chœur Gridoux et la veuve Mouaque qui, d'un commun accord, ont interrompu leur échange de correspondance.

Un tiers loufiat qui s'y connaissait en matière de bagarre, voulut remporter une victoire éclair. Prenant en main un siphon, il se proposait d'en faire résonner la masse contre le crâne de Gabriel. Mais Gridoux avait prévu la contre-offensive. Un autre siphon, non moins compact, balancé par ses soins, s'en vint, au terme de sa trajectoire, faire des dégâts sur la petite tête de l'astucieux.

– Palsambleu! hurle Turandot qui, ayant repris son équilibre sur la chaussée aux dépens des freins de quelques chars nocturnes particulièrement matineux, pénétrait de nouveau dans la brasserie en manifestant un fier désir de combats.

C'était maintenant des troupeaux de loufiats qui surgissaient de toutes parts. Jamais on upu croire qu'il y en u tant. Ils sortaient des cuisines, des caves, des offices, des soutes. Leur masse serrée absorba Gridoux puis Turandot aventuré parmi eux. Mais ils n'arrivaient pas à réduire Gabriel aussi facilement. Tel le coléoptère attaqué par une colonne myrmidonne, tel le bœuf assailli par un banc hirudinaire, Gabriel se secouait, s'ébrouait, s'ébattait, projetant dans des directions variées des projectiles humains qui s'en allaient briser tables et chaises ou rouler entre les pieds des clients.

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