Литмир - Электронная Библиотека

Je dis cela si mollement que Rosette, pour toute réponse, laissa tomber sa mante de batiste et ses pantoufles, et se glissa dans mon lit comme une couleuvre dans une jatte de lait; car elle imaginait que mes habits m’empêchaient seuls d’en venir à des démonstrations plus précises, et que c’était l’unique obstacle qui me retenait. Elle croyait, la pauvre enfant que l’heure du berger, si laborieusement amenée allait enfin sonner pour elle; mais il ne sonna que deux heures du matin. – Ma situation était on ne peut plus critique, lorsque la porte tourna sur ses gonds et donna passage au même chevalier Alcibiade en personne; il tenait un bougeoir d’une main et son épée de l’autre.

Il alla droit au lit, dont il rejeta la couverture, et, mettant la lumière sous le nez de Rosette confondue, il lui dit d’un ton goguenard: – Bonjour, ma sœur. – La petite Rosette n’eut pas la force de trouver une parole pour répondre.

– Il paraît donc, ma très chère et très vertueuse sœur, qu’ayant jugé dans votre sagesse que le lit du seigneur Théodore était plus douillet que le vôtre vous êtes venue vous y coucher? ou peut-être revient-il des esprits dans votre chambre, et avez-vous pensé que vous seriez plus en sûreté dans celle-ci, sous la garde du susdit seigneur? – C’est fort bien vu. – Ah! monsieur le chevalier de Sérannes, vous avez fait les doux yeux à madame notre sœur, et vous croyez qu’il n’en sera que cela. – J’estime qu’il ne serait pas malsain de nous couper un peu la gorge, et, si vous aviez cette complaisance, je vous serais infiniment obligé. – Théodore, vous avez abusé de l’amitié que j’avais pour vous, et vous me faites repentir de la bonne opinion que j’avais tout d’abord formée sur la loyauté de votre caractère: c’est mal, très mal.

Je ne pouvais me défendre d’une manière valable: les apparences étaient contre moi. Qui m’aurait crue, si j’avais dit, comme cela était en effet, que Rosette n’était venue dans ma chambre que malgré moi, et que, loin de chercher à lui plaire, je faisais tout mon possible pour la détourner de moi? – Je n’avais qu’une chose à dire, je la dis. – Seigneur Alcibiade, nous nous couperons tout ce que vous voudrez.

Pendant ce colloque, Rosette n’avait pas manqué de s’évanouir selon les plus saines règles du pathétique; – j’allai à une coupe de cristal pleine d’eau où plongeait la queue d’une grosse rose blanche à moitié effeuillée, et je lui jetai quelques gouttes à la figure, ce qui la fit revenir à elle promptement.

Ne sachant trop quelle contenance tenir, elle se blottit dans la ruelle et fourra sa jolie tête sous la couverture, comme un oiseau qui s’arrange pour dormir. – Elle avait tellement ramassé les draps et les coussins autour d’elle qu’il eût été fort difficile de discerner ce qu’il y avait sous ce monceau; – quelques petits soupirs flûtés, qui en sortaient de temps à autre, pouvaient seuls faire deviner que c’était une jeune pécheresse repentante, ou du moins excessivement fâchée de n’être pécheresse que d’intention et non de fait: ce qui était le cas de l’infortunée Rosette.

Monsieur le frère, n’ayant plus d’inquiétude sur sa saur, reprit le dialogue, et me dit d’un ton un peu plus doux: – Il n’est pas absolument indispensable de nous couper la gorge sur-le-champ, c’est un moyen extrême qu’on est toujours à temps d’employer. – Écoutez: – la partie n’est pas égale entre nous. Vous êtes de la première jeunesse et beaucoup moins vigoureux que moi, si nous nous battions, je vous tuerais ou je vous estropierais assurément, – et je ne voudrais ni vous tuer ni vous défigurer, – ce serait dommage; Rosette, qui est là-bas sous la couverture et qui ne dit mot, m’en voudrait toute sa vie; car elle est rancunière et mauvaise comme une tigresse quand elle s’y met, cette chère petite colombe. Vous ne savez pas cela, vous qui êtes son prince Galaor, et qui n’en recevez que de charmantes douceurs; mais il n’y fait pas bon. Rosette est libre, vous aussi; il paraît que vous n’êtes pas irréconciliablement ennemis; son veuvage va finir, et la chose se trouve le mieux du monde. Épousez-la; elle n’aura pas besoin de retourner coucher chez elle, et moi, de cette façon-là, je serai dispensé de vous prendre pour fourreau de mon épée, ce qui ne serait agréable ni pour vous ni pour moi; – que vous en semble?

Je dus faire une horrible grimace, car ce qu’il me proposait était de toutes les choses du monde la plus inexécutable pour moi: j’aurais plutôt marché à quatre pattes contre le plafond comme les mouches, et décroché le soleil sans prendre de marchepied pour me hausser, que de faire ce qu’il me demandait, et cependant la dernière proposition était plus agréable incontestablement que la première.

Il parut surpris que je n’acceptasse pas avec transport – et il répéta ce qu’il avait dit comme pour me donner le temps de répliquer.

– Votre alliance est on ne peut plus honorable pour moi, et je n’eusse jamais osé y prétendre: je sais que c’est une fortune inouïe pour un jeune homme qui n’a point encore de rang ni de consistance dans le monde, et que les plus illustres s’en estimeraient tout heureux; – mais cependant je ne puis que persister dans mon refus, et, puisque j’ai la liberté du choix entre le duel et le mariage, je préfère le duel. – C’est un goût singulier, – et que peu de gens auraient, – mais c’est le mien.

Ici Rosette souffla le plus douloureux sanglot du monde, sortit sa tête de dessous l’oreiller, et l’y rentra aussitôt comme un limaçon dont on frappe les cornes, en voyant ma contenance impassible et délibérée.

– Ce n’est pas que je n’aime point madame Rosette, je l’aime infiniment; mais j’ai des raisons de ne point me marier, que vous-même trouveriez excellentes, s’il m’était possible de vous les dire. – Au reste, les choses n’ont pas été aussi loin que l’on pourrait le croire d’après les apparences; hors quelques baisers qu’une amitié un peu vive suffit à expliquer et à justifier, il n’y a rien entre nous dont on ne puisse convenir, et la vertu de votre sœur est assurément la plus intacte et la plus nette du monde. – Je lui devais ce témoignage. – Maintenant, à quelle heure nous battons-nous, monsieur Alcibiade, et à quel endroit?

– Ici, sur-le-champ, cria Alcibiade ivre de fureur.

– Y pensez-vous? devant Rosette!

– Dégaine, misérable, ou je t’assassine, continua-t-il en brandissant son épée et en l’agitant autour de sa tête.

– Sortons au moins de la chambre.

– Si tu ne te mets pas en garde, je vais te clouer contre le mur comme une chauve-souris, mon beau Céladon, et tu auras beau battre de l’aile, tu ne te décrocheras pas, je t’en avertis. – Et il fondit sur moi l’épée haute.

Je tirai ma rapière, car il l’aurait fait comme il le disait, et je me contentai d’abord de parer les bottes qu’il me portait.

Rosette fit un effort surhumain pour venir se jeter entre nos épées, car les deux combattants lui étaient également chers; mais ses forces la trahirent, et elle roula sans connaissance sur le pied du lit.

Nos fers étincelaient et faisaient le bruit d’une enclume, car le peu d’espace que nous avions nous forçait à engager nos épées de très près.

Alcibiade manqua deux ou trois fois de m’atteindre, et, si je n’eusse pas eu un excellent maître en fait d’armes, ma vie aurait couru le plus grand danger; car il était d’une adresse étonnante et d’une force prodigieuse. Il épuisa toutes les ruses et les feintes de l’escrime pour me toucher. Enragé de ne pouvoir y parvenir, il se découvrit deux ou trois fois; je n’en voulus pas profiter; mais il revenait à la charge avec un emportement si acharné et si sauvage que je fus forcée de saisir les jours qu’il me laissait; et puis ce bruit et ces éclairs tourbillonnants de l’acier m’enivraient et m’éblouissaient. Je ne pensais pas à la mort, je n’avais pas la moindre peur; cette pointe aiguë et mortelle qui me venait devant les yeux à chaque seconde ne me faisait pas plus d’effet que si je me fusse battue avec des fleurets boutonnés; seulement j’étais indignée de la brutalité d’Alcibiade, et le sentiment de mon innocence parfaite augmentait encore cette indignation. Je voulais seulement lui piquer le bras ou l’épaule pour lui faire tomber son épée des mains, car j’avais essayé vainement de la lui faire sauter. – Il avait un poignet de fer, et le diable ne le lui eût pas fait bouger.

83
{"b":"100556","o":1}