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– Ces amours étranges dont sont pleines les élégies des poètes anciens, qui nous surprenaient tant et que nous ne pouvions concevoir, sont donc vraisemblables et possibles. Dans les traductions que nous en faisions, nous mettions des noms de femmes à la place de ceux qui y étaient. Juventius se terminait en Juventia, Alexis se changeait en Ianthé. Les beaux garçons devenaient de belles filles, nous recomposions ainsi le sérail monstrueux de Catulle, de Tibulle, de Martial et du doux Virgile. C’était une fort galante occupation qui prouvait seulement combien peu nous avions compris le génie antique.

Je suis un homme des temps homériques; – le monde où je vis n’est pas le mien, et je ne comprends rien à la société qui m’entoure. Le Christ n’est pas venu pour moi; je suis aussi païen qu’Alcibiade et Phidias. – Je niai jamais été cueillir sur le Golgotha les fleurs de la passion, et le fleuve profond qui coule du flanc du crucifié et fait une ceinture rouge au monde ne m’a pas baigné de ses flots: – mon corps rebelle ne veut point reconnaître la suprématie de l’âme, et ma chair n’entend point qu’on la mortifie. – Je trouve la terre aussi belle que le ciel, et je pense que la correction de la forme est la vertu. La spiritualité n’est pas mon fait, j’aime mieux une statue qu’un fantôme, et le plein midi que le crépuscule. Trois choses me plaisent: l’or, le marbre et la pourpre, éclat, solidité, couleur. Mes rêves sont faits de cela, et tous les palais que je bâtis à mes chimères sont construits de ces matériaux.

Quelquefois j’ai d’autres songes, – ce sont de longues cavalcades de chevaux tout blancs, sans harnais et sans bride, montés par de beaux jeunes gens nus qui défilent sur une bande de couleur bleu foncé comme sur les frises du Parthénon, ou des théories de jeunes filles couronnées de bandelettes avec des tuniques à plis droits et des sistres d’ivoire qui semblent tourner autour d’un vase immense. – Jamais ni brouillard ni vapeur, jamais rien d’incertain et de flottant. Mon ciel n’a pas de nuage, ou, s’il en a, ce sont des nuages solides et taillés au ciseau, faits avec les éclats de marbre tombés de la statue de Jupiter. Des montagnes aux arêtes vives et tranchées le dentellent brusquement par les bords, et le soleil accoudé sur une des plus hautes cimes ouvre tout grand son œil jaune de lion aux paupières dorées. – La cigale crie et chante, l’épi craque; l’ombre vaincue et n’en pouvant plus de chaleur se pelotonne et se ramasse au pied des arbres: tout rayonne, tout reluit, tout resplendit. Le moindre détail prend de la fermeté et s’accentue hardiment; chaque objet revêt une forme et une couleur robustes. Il n’y a pas là de place pour la mollesse et la rêvasserie de l’art chrétien. – Ce monde-là est le mien. – Les ruisseaux de mes paysages tombent à flots sculptés d’une urne sculptée; entre ces grands roseaux verts et sonores comme ceux de l’Eurotas, on voit luire la hanche ronde et argentée de quelque naïade aux cheveux glauques. Dans cette sombre forêt de chênes, voici Diana qui passe la trousse au dos avec son écharpe volante et ses brodequins aux bandes entrelacées. Elle est suivie de sa meute et de ses nymphes aux noms harmonieux. – Mes tableaux sont peints avec quatre tons, comme les tableaux des peintres primitifs, et souvent ce ne sont que des bas-reliefs coloriés; car j’aime à toucher du doigt ce que j’ai vu et à poursuivre la rondeur des contours jusque dans ses replis les plus fuyants; je considère chaque chose sous tous les profils et je tourne à l’entour une lumière à la main. – J’ai regardé l’amour à la lumière antique et comme un morceau de sculpture plus ou moins parfait. Comment est le bras? Assez bien. – Les mains ne manquent pas de délicatesse. – Que pensez-vous de ce pied? Je pense que la cheville n’a pas de noblesse, et que le talon est commun. Mais la gorge est bien placée et d’une bonne forme, la ligne serpentine est assez ondoyante, les épaules sont grasses et d’un beau caractère. – Cette femme serait un modèle passable, et l’on en pourrait mouler plusieurs portions. – Aimons-la.

T’a; ans té ainsi. J’ai pour les femmes le regard d’un sculpteur et non celui d’un amant. Je me suis toute ma vie inquiété de la forme du flacon, jamais de la qualité du contenu. J’aurais eu la boîte de Pandore entre les mains, je crois que je ne l’eusse pas ouverte. Tout à l’heure je disais que le Christ n’était pas venu pour moi; Marie, l’étoile du Ciel moderne, la douce mère du glorieux bambin, n’est pas venue non plus.

Bien longtemps et bien souvent je me suis arrêté sous le feuillage de pierre des cathédrales, aux tremblantes clartés des vitraux, à l’heure où l’orgue gémissait de lui-même, quand un doigt invisible se posait sur les touches et que le vent soufflait dans les tuyaux, – et j’ai plongé profondément mes yeux dans l’azur pâle des longs yeux de la Madone. J’ai suivi avec piété l’ovale amaigri de sa figure, l’arc à peine indiqué de ses sourcils, j’ai admiré son front uni et lumineux, ses tempes chastement transparentes, les pommettes de ses joues nuancées d’une couleur sobre et virginale, plus tendre que la fleur du pêcher; j’ai compté un à un les beaux cils dorés qui y jettent leur ombre palpitante; j’ai démêlé, dans la demi-teinte qui la baigne, les lignes fuyantes de son cou frêle et modestement penché; j’ai même, d’une main téméraire, soulevé les plis de sa tunique et contemplé sans voile ce sein vierge et gonflé de lait qui n’a jamais été pressé que par les lèvres divines; j’en ai poursuivi les minces veines bleues jusque dans leurs plus imperceptibles ramifications, j’y ai posé le doigt pour faire jaillir en blancs filets le breuvage céleste; j’ai effleuré de ma bouche le bouton de la rose mystique.

– Eh bien! je l’avoue, toute cette beauté immatérielle, si ailée, et si vaporeuse qu’on sent bien qu’elle va prendre son vol, ne m’a touché que médiocrement. – J’aime mieux la Vénus Anadyomène, mille fois mieux. – Ces yeux antiques retroussés par les coins, cette lèvre si pure et si fermement coupée, si amoureuse et qui convie si bien au baiser, ce front bas et plein, ces cheveux ondulés comme la mer et noués négligemment derrière la tête, ces épaules fermes et lustrées, ce dos aux mille sinuosités charmantes, cette gorge petite et peu détachée, toutes ces formes rondes et tendues, cette largeur de hanche, cette force délicate, ce caractère de vigueur surhumaine dans un corps aussi adorablement féminin me ravissent et m’enchantent à un point dont tu ne peux te faire une idée, toi le chrétien et le sage.

Marie, malgré l’air humble qu’elle affecte, est beaucoup trop fière pour moi; c’est à peine si le bout de son pied, entouré de blanches bandelettes, effleure le globe déjà bleuissant où se tord l’antique dragon. – Ses yeux sont les plus beaux du monde, mais ils sont toujours tournés vers le ciel, ou baissés; jamais ils ne regardent en face, – jamais ils n’ont servi de miroir à une forme humaine. – Et puis, je n’aime pas ces nimbes de chérubins souriants, qui s’arrondissent autour de sa tête dans une blonde vapeur. Je suis jaloux de ces grands anges éphèbes avec des chevelures et des robes flottantes qui s’empressent si amoureusement dans ses assomptions; ces mains qui s’enlacent pour la soutenir, ces ailes qui s’agitent pour l’éventer me déplaisent et me contrarient. Ces petits-maîtres du ciel, si coquets et si triomphants, en tunique de lumière, en perruque de fils d’or, avec leurs belles plumes bleues et vertes, me semblent beaucoup trop galants, et, si j’étais Dieu, je me garderais de donner de tels pages à ma maîtresse.

La Vénus sort de la mer pour aborder au monde, – comme il convient à une divinité qui aime les hommes, – toute nue et toute seule. – Elle préfère la terre à l’Olympe et a pour amants plus d’hommes que de dieux: elle ne s’enveloppe pas des voiles langoureux de la mysticité; elle se tient debout, son dauphin derrière elle, le pied sur sa conque de nacre; le soleil frappe sur son ventre poli, et de sa blanche main elle soutient en l’air les flots de ses beaux cheveux où le vieux père Océan a semé ses perles les plus parfaites. – On la peut voir: elle ne cache rien, car la pudeur n’est faite que pour les laides, et c’est une invention moderne, fille du mépris chrétien de la forme et de la matière.

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