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A
A
ANTIGONÈ.

De notre race et de cette terre!

ISMÈNÈ.

Pour moi, avant tous!

ANTIGONÈ.

Hélas! pour moi plus encore!

ISMÈNÈ.

Hélas! Cause de ces maux lamentables, roi Étéoklès!

ANTIGONÈ.

Ô les plus malheureux et les plus insensés de tous les hommes!

ISMÈNÈ.

Hélas! où les ensevelir?

ANTIGONÈ.

Hélas! au lieu le plus honorable.

ISMÈNÈ.

Hélas! leur misère sera réunie à leur père.

LE HÉRAUT.

Il me faut annoncer ce qu'ont voulu et décrété les chefs du peuple de cette ville de Kadmos. Il leur plaît qu'Étéoklès, à cause de son amour pour la patrie, soit enseveli dans cette terre vénérée. Il a reçu la mort en repoussant l'ennemi de la ville. Irréprochablement dévoué aux dieux de ses pères, il est tombé là où il est beau aux jeunes hommes de tomber. Voilà ce qu'on m'a ordonné de vous dire. Maintenant, il leur plaît que le cadavre de son frère Polyneikès soit jeté hors la ville, sans sépulture et livré aux chiens, car il eût dévasté la terre des Kadméiones si un dieu ne se fût opposé à sa lance. Mort, il gardera cette souillure. Malgré les dieux paternels, il leur a fait cet outrage d'avoir voulu s'emparer de la ville en menant contre elle une armée étrangère. C'est pourquoi, en châtiment de son crime, les oiseaux carnassiers seront son immonde tombeau. Il n'y aura point de libations versées sur ses cendres, ni gémissements, ni lamentations sacrées, et il sera privé du cortége de ses amis, ce funèbre honneur. Telle est la volonté des chefs Kadméiones.

ANTIGONÈ.

Et moi, je dis aux chefs des Kadméiones: Si aucun ne veut l'ensevelir avec moi, seule je le ferai et braverai tout le danger. Il ne m'est point honteux d'ensevelir mon frère et d'enfreindre en ceci la volonté de la ville. Le sang dont nous sommes nés tous deux a une grande force, enfants d'une mère malheureuse et d'un père malheureux. C'est pourquoi mon âme veut rester fidèle à ce malheur, et, vivante, je serai la sœur de ce mort. Les loups affamés ne dévoreront pas sa chair. Que nul ne le pense. Moi-même, bien que femme, je creuserai sa tombe, et je le couvrirai de la poussière apportée dans un pli de mon voile de lin. Que nul ne me blâme en ceci. J'aurai le courage d'agir et d'achever mon action.

LE HÉRAUT.

Je t'avertis de ne point agir contre la volonté des citoyens.

ANTIGONÈ.

Je t'avertis de ne point me donner de vains conseils.

LE HÉRAUT.

Un peuple qui vient d'échapper à la ruine est sévère.

ANTIGONÈ.

Sévère, soit! Je ne laisserai pas mon frère sans sépulture.

LE HÉRAUT.

Tu honoreras, en ensevelissant, celui qui est odieux à la ville?

ANTIGONÈ.

Cependant les dieux ne l'ont pas privé d'honneurs.

LE HÉRAUT.

Non, tant qu'il n'a point mis cette terre en danger.

ANTIGONÈ.

Il a rendu le mal pour le mal.

LE HÉRAUT.

Il a combattu contre tous pour se venger d'un seul.

ANTIGONÈ.

La divine Éris parle toujours la dernière. Moi, j'ensevelirai celui-ci. N'en dis pas davantage.

LE HÉRAUT.

Agis comme il te convient. Moi, je t'ai avertie.

LE CHŒUR DES VIERGES.

Hélas, hélas! ô terribles kères Érinnyes, destructrices des races, qui avez renversé jusque dans ses fondements la maison d'Oidipous! Que va-t-il m'arriver? Que ferai-je? Quel parti prendre? Comment me résoudrai-je à ne point te pleurer, Ô Polyneikès, et à ne point t'accompagner jusqu'au tombeau? Mais je crains et je m'arrête devant le terrible arrêt des citoyens.

PREMIER DEMI-CHŒUR.

Pour toi, ô Étéoklès, beaucoup te pleureront; mais lui, le malheureux! nul ne gémira sur lui, et il n'aura que les seules larmes funèbres de sa sœur! Qui pourrait se résigner à ces choses?

SECOND DEMI-CHŒUR.

Que la ville punisse ou ne punisse point ceux qui pleureront Polyneikès, nous, nous irons, avec la seule Antigonè, nous formerons son cortége funèbre, nous l'ensevelirons! En effet, ceci est un deuil commun à tous les Kadméiones, et parfois la ville a varié dans sa justice.

PREMIER DEMI-CHŒUR.

Nous, nous suivrons celui-ci, comme la ville et la justice nous le commandent. Après les dieux heureux, après la puissance de Zeus, c'est Étéoklès qui a préservé la ville des Kadméiones d'être renversée et envahie par les flots d'hommes étrangers.

Promètheus enchaîné

KRATOS.

Nous sommes arrivés au dernier sentier de la terre, dans le pays Skythique, dans la solitude non foulée.

Hèphaistos! fais ce que le père t'a ordonné d'accomplir. Par les immuables étreintes des chaînes d'acier, cloue ce sauveur d'hommes à ces hautes roches escarpées. Il t'a volé la splendeur du feu qui crée tout, ta fleur, et il l'a donnée aux mortels. Châtie-le d'avoir outragé les dieux. Qu'il apprenne à révérer la tyrannie de Zeus, et qu'il se garde d'être bienveillant aux hommes.

HÈPHAISTOS.

Kratos et Bia! Pour ce qui vous concerne, l'ordre de Zeus est accompli. Rien de plus. A cet escarpement tempêtueux je n'ose lier violemment un dieu fraternel. Mais la nécessité me contraint d'oser. Il est terrible d'enfreindre l'ordre du père.

Ô fils sublime de la sage Thémis! contre mon gré, malgré toi, par d'indissolubles chaînes, je te lierai à cette roche inaccessible aux hommes, là où tu n'entendras la voix, où tu ne verras la face d'aucun mortel, où, lentement consumé par l'ardente flamme de Hèlios, tu perdras la fleur de ta peau! Tu seras heureux quand la nuit, de sa robe enrichie d'étoiles, cachera l'éclat du jour, et quand Hèlios dissipera de nouveau les gelées matinales. Elle te hantera à jamais, l'horrible angoisse de ta misère présente, et voici qu'il n'est pas encore né, celui qui te délivrera! C'est le fruit de ton amour pour les hommes. Étant un dieu, tu n'as pas craint la colère des dieux. Tu as fait aux vivants des dons trop grands. Pour cela, sur cette roche lugubre, debout, sans fléchir le genou, sans dormir, tu te consumeras en lamentations infinies, en gémissements inutiles. L'esprit de Zeus est implacable. Il est dur celui qui possède une tyrannie récente.

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