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LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.

Hélas, hélas! choses lamentables! Toi, tu es morte d'une mort terrible! hélas! hélas! mais la souffrance fleurit pour celui qui survit.

ORESTÈS.

L'a-t-elle fait, ou ne l'a-t-elle pas fait? Ce voile rougi par l'épée d'Aigisthos m'est un témoin sûr. Les taches de sang ont résisté au temps et altèrent encore les couleurs variées de ce voile. En le voyant, je m'applaudis et je pleure, à la fois, sur moi-même, et j'atteste ce tissu qui a perdu mon père. Je pleure le meurtre et la vengeance, et ma race tout entière, et je gémis sur cette victoire qu'il faudra expier.

LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.

Nul parmi les hommes ne passe des jours tranquilles pendant tout le temps de sa vie. Chacun souffre à son tour, tantôt l'un, tantôt l'autre!

ORESTÈS.

Quoi qu'il en soit, je sais comment tout ceci doit finir. Ainsi que des chevaux sans frein, emportés hors du chemin des chars, mes sens effarés me domptent et m'emportent, et mon cœur est prêt à hurler de terreur et la rage se rue en lui! Pendant que je me possède encore, je crie à mes amis que j'ai tué ma mère avec justice, car elle était souillée du meurtre de mon père et les dieux la haïssaient. Celui qui m'a donné ce courage, c'est Loxias, le divinateur Pythien! C'est lui qui m'a révélé par ses oracles que si je commettais ce meurtre, je ne serais point tenu pour coupable. Si je lui avais désobéi, je ne dirai pas le châtiment promis; nul n'en pourrait imaginer l'horreur! Et, maintenant, voyez! avec ce rameau entouré de laine, j'irai vers le sanctuaire de Loxias, au nombril de la terre, où brûle la flamme sacrée qu'on dit éternelle, afin d'y expier le sang répandu de ma mère. Loxias ne m'a point permis de chercher un autre foyer hospitalier. Quand le temps sera venu, j'adjure tous les Argiens d'attester les maux qu'on leur avait préparés. Pour moi, chassé de cette terre et vagabond, vivant ou mort, je laisserai une renommée fatale.

LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.

Puisque tu as commis une action juste, ne te laisse pas fermer la bouche par les cris funestes de la renommée, et ne parle pas contre toi-même après avoir affranchi toute la race Argienne et coupé bravement les têtes de deux serpents!

ORESTÈS.

Ah! ah! femmes esclaves, voyez celles-ci telle des Gorgones, vêtues de robes noires, les cheveux entrelacés de serpents innombrables! Je ne resterais pas ici davantage!

LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.

Quels spectres t'épouvantent ainsi, ô fils très cher à ton père? Ne sois pas effrayé, triomphe courageusement de la terreur.

ORESTÈS.

Ces spectres terribles qui me regardent ne sont pas de vaines ombres. Certes, ce sont les chiennes furieuses de ma mère!

LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.

Son sang tiède est encore sur tes mains. C'est ce qui trouble ton esprit.

ORESTÈS.

Toi Apollôn! Elles augmentent en nombre! Un sang effroyable coule de leurs yeux!

LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.

Purifie-toi dans la demeure. Si tu te prosternes devant Loxias, tu seras délivré de tes maux.

ORESTÈS.

Vous ne les voyez pas, mais, moi, je les vois! Elles me chassent! Je ne puis rester davantage.

LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.

Sois donc heureux! Qu'un dieu bienveillant te regarde et te préserve du malheur! Trois fois la tempête s'est ruée sur ces demeures royales, excitée par des hommes de la même race. D'abord, des enfants furent égorgés, lamentables douleurs de Thyestès; puis vint le meurtre de l'homme royal, et le chef de guerre des Akhaiens fut égorgé dans un bain. Et, maintenant, pour la troisième fois, est-ce un sauveur qui nous est venu, ou notre perte? Quand donc la violence d'Atè s'endormira-t-elle enfin?

Les Euménides

LA PYTHIA.

Je t'invoque, avant tous les dieux, Gaia, la première divinatrice, et, après elle, Thémis, qui tint de sa mère le don prophétique, comme on le rapporte. La troisième qui occupa ce sanctuaire, par la volonté de Thémis, et de son plein gré, fut une autre Titanis, fille de Gaia, Phoibè. Celle-ci en fit don à Phoibos, quand il naquit, et il fut ainsi nommé du nom de Phoibè. Ayant abandonné le marais et les rochers Dèliens, il poussa jusqu'aux rivages de Pallas, fréquentés des marins, et il arriva dans cette terre du Parnèsos. Pleins d'une grande vénération pour le dieu, les fils de Hèphaistos l'accompagnèrent, lui frayant la route et aplanissant la contrée sauvage. Dès qu'il fut arrivé ici, le peuple, et Delphos qui régnait sur cette terre, le reçurent avec de grands honneurs. Zeus lui donna la science divine et le plaça, lui quatrième, sur le trône prophétique. Loxias est l'interprète de son père Zeus. Avant tout j'invoque ces dieux. Pallas aussi, qui est debout devant les portes, est invoquée par mes prières. Et je salue les nymphes, dans la roche Kôrykienne, creuse, fréquentée des oiseaux et que hantent les dieux. Bromios habite ce lieu, et je ne l'oublie pas, où, livrant Pentheus à la horde des Bakkhantes il le fit tuer comme un lièvre. Et j'invoque aussi les sources du Pleistos, et la puissance de Poseidôn, et le très grand et très haut Zeus, et je m'assieds pour prophétiser sur le trône fatidique. Maintenant, que les dieux accordent à mes prières plus qu'ils ne m'ont encore accordé! S'il est ici des hellènes, qu'ils s'avancent, selon l'usage, dans l'ordre marqué par le sort, car je ne prophétise que d'après la volonté du dieu.

Elles sont terribles à dire et terribles à voir, les choses qui viennent de me chasser de la demeure de Loxias! Les forces me manquent, je ne puis ni marcher, ni me tenir debout! Je me traîne sur les mains, n'ayant plus de jambes. Une vieille femme épouvantée n'est plus rien, moins qu'un enfant. J'entre dans le sanctuaire orné de couronnes, et je vois un homme sacrilège assis sur le nombril du monde, un suppliant, les mains tachées de sang, tenant une épée hors de la gaîne et portant un rameau d'olivier poussé sur les montagnes et enveloppé de bandelettes de laine blanche. Je m'explique tout clairement. Devant cet homme dort une effrayante troupe de femmes assises sur des trônes. Je ne dirai pas qu'elles sont des femmes mais plutôt des gorgones. Je ne les comparerai même pas à des gorgones. J'ai vu, une fois, celles-ci, peintes, enlevant le repas de Phineus. Quant à ces femmes, elles sont sans ailes, noires et horribles. Elles ronflent avec un souffle farouche, et leurs yeux versent d'affreuses larmes, et leur vêtement est tel qu'on n'en devrait point porter de semblable devant les images des dieux, ou sous le toit des hommes. Jamais je n'ai vu une telle race! Jamais aucune terre n'a pu se vanter de nourrir de tels enfants, sans avoir encouru de lamentables calamités. Mais c'est au maître de ce sanctuaire, au tout-puissant Loxias, de s'inquiéter de ce qui en arrivera. Il est divinateur et guérisseur, interprète des augures et purificateur des demeures des autres.

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