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«Que vous proposez-vous d’entreprendre pour moi si vous continuez à vous occuper de mon affaire?»

L’avocat se résigna à cette question blessante et répondit:

«Je continuerai les démarches que j’ai déjà entreprises pour vous.

– C’est bien ce que je pensais, dit K. Il est inutile d’insister.

– Je ferai encore une tentative, dit l’avocat, comme si c’était lui qui avait à souffrir les ennuis dont K. se plaignait. Il me semble en effet que si vous en êtes venu non seulement à juger faussement de la valeur de mon assistance juridique, mais encore plus généralement à vous conduire comme vous le faites dans cette affaire, c’est qu’on vous a témoigné trop d’égards, tout inculpé que vous êtes, ou plutôt qu’on vous a traité avec négligence, une négligence apparente s’entend. Ce n’était pas sans raison, mais il vaut souvent mieux être enchaîné que libre. Si vous connaissiez la façon dont on procède avec les autres accusés, peut-être en tireriez-vous une leçon. Vous allez voir, je vais appeler Block, ouvrez la porte et prenez place ici à côté de la table de nuit.

– Très volontiers,» dit K. en faisant ce que l’avocat lui demandait.

Il était toujours prêt à s’instruire. Mais, pour ne rien laisser au hasard, il demanda encore à maître Huld:

«Vous savez que je vous retire le soin de me représenter?

– Oui, dit l’avocat. Mais c’est une décision sur laquelle vous pouvez revenir aujourd’hui même.»

Il se recoucha dans son lit, tira l’édredon jusqu’à ses genoux et se tourna du côté du mur, puis il sonna.

Leni parut au même instant; elle jeta un coup d’œil rapide pour tâcher de voir ce qui s’était passé; le fait que K. restait assis tranquillement au chevet de maître Huld lui parut assez rassurant. K. la regardait fixement; elle lui adressa un sourire.

«Va chercher Block», dit l’avocat.

Mais au lieu d’y aller, elle se contenta de crier sur le seuil:

«Block! l’avocat!»

Puis, profitant probablement de ce que l’avocat restait tourné vers le mur sans s’inquiéter de ce qui se passait, elle se glissa derrière la chaise de K. De ce moment elle ne cessa de le déranger en se penchant sur le dossier ou en lui caressant les cheveux et les joues, très tendrement à vrai dire et avec beaucoup de prudence.

À bout de patience, K. essaya de l’en empêcher en l’attrapant par une main qu’elle finit par lui abandonner après une certaine résistance.

Block était arrivé aussitôt appelé, mais il restait sur le seuil et semblait se demander s’il devait entrer. Il levait les sourcils et penchait la tête comme pour épier, attendant sans doute que l’ordre fût répété. K. aurait voulu l’encourager à approcher, mais il avait décidé de rompre définitivement non seulement avec l’avocat, mais avec toute cette maison; aussi resta-t-il immobile. De son côté, Leni se taisait. Block, voyant qu’après tout on ne le chassait pas, entra sur la pointe des pieds, l’air anxieux, les mains crispées derrière le dos. Il avait laissé la porte ouverte pour pouvoir repartir à la première alerte…

Il ne vit pas K. Il n’avait d’yeux que pour le haut édredon sous lequel il ne pouvait pourtant même pas apercevoir l’avocat qui s’était étroitement rencogné contre le mur. Mais maître Huld fit entendre sa voix:

«Block est ici?» demanda-t-il.

Cette question atteignit Block – qui avait déjà fait du chemin – en pleine poitrine, puis en plein dos; il chancela, et, s’arrêtant, l’échine courbée, il déclara:

«Pour vous servir.

– Que veux-tu? demanda l’avocat. Tu viens à un bien mauvais moment.

– Ne m’a-t-on pas appelé?» demanda Block, s’interrogeant lui-même plutôt qu’il n’interrogeait l’avocat.

Il levait les mains pour se protéger et se tenait prêt à décamper.

«On t’a appelé, fit l’avocat, cela n’empêche pas que tu viens à un mauvais moment.»

Et il ajouta au bout d’un silence:

«Tu viens toujours à un mauvais moment.»

Depuis que l’avocat parlait Block ne regardait plus le lit; ses yeux se perdaient dans la contemplation d’on ne savait trop quel coin de la chambre; il ne jetait que de loin en loin un coup d’œil furtif sur le lit, comme si le regard que l’avocat lui lançait parfois de côté avait été trop aveuglant. Il ne lui était d’ailleurs pas moins difficile d’écouter, car maître Huld parlait contre le mur, à voix basse et très rapidement.

«Voulez-vous que je m’en aille? demanda Block.

– Puisque tu es là, dit l’avocat, tu peux rester.»

On eût pu croire que l’avocat, loin de satisfaire son client, l’avait menacé de le battre, car Block se mit alors à trembler réellement.

«Je suis allé hier, dit l’avocat, voir le troisième juge, mon ami, et j’ai amené petit à petit la conversation sur toi. Veux-tu savoir ce qu’il m’a dit?

– Oh! oui, je vous en prie», dit Block.

Et comme l’avocat ne se pressait pas de répondre, il répéta sa prière en s’inclinant comme s’il allait se mettre à genoux. Mais K. le tança vertement:

«Que fais-tu là?» lui cria-t-il.

Et comme Leni avait cherché à l’empêcher de parler, il lui saisit l’autre main. Ce n’était pas un geste d’amitié, aussi se mit-elle à gémir en cherchant à lui échapper.

Ce fut Block qui fut puni de l’exclamation de K. Maître Huld lui demanda:

«Qui est ton avocat?

– C’est vous.

– Et outre moi? demanda l’avocat.

– Personne, dit Block.

– N’obéis donc à personne qu’à moi.»

Block était parfaitement d’accord; il toisa K. d’un regard méchant et secoua vivement la tête en le regardant. Si l’on avait voulu traduire ce geste par des paroles, on n’aurait abouti qu’à de grossières insultes. Et c’était avec cet homme que K. avait voulu s’entretenir de sa propre affaire!

«Je ne te dérangerai plus, dit K., renversé sur son siège. Agenouille-toi, rampe à quatre pattes, et fais tout ce que tu voudras. Je ne m’en inquiéterai pas.»

Mais Block avait le sentiment de l’honneur, avec K. tout au moins, car il alla sur lui en agitant les poings et lui cria aussi fort qu’il osait en présence de l’avocat:

«Vous n’avez pas le droit de me parler ainsi, ce n’est pas permis. Pourquoi m’offensez-vous? et ici, pour comble, devant M. l’Avocat qui ne nous tolère vous et moi que par pitié! Vous ne m’êtes pas supérieur, vous êtes accusé, vous aussi, vous avez aussi un procès. Mais, si vous restez un monsieur tout de même, moi aussi je suis un monsieur, si ce n’est pas un plus grand que vous. Et je veux qu’on me parle en s’adressant à moi comme tel, et surtout vous. Si vous vous croyez préféré parce que vous avez le droit de rester assis ici et d’écouter tranquillement pendant que je rampe à quatre pattes (pour employer votre expression), je vous rappelle le vieux dicton: «Il est meilleur pour un homme suspect de s’agiter que de se reposer, car celui qui se repose risque toujours sans le savoir de se trouver sur l’un des plateaux et d’être pesé dans la balance avec le poids de ses péchés.»

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