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Mlle Bürstner, légèrement effondrée sur son siège, regardait muettement le sol.

«Pourquoi Mme Grubach ne croirait-elle pas, ajouta K., que je vous ai assaillie?»

Il voyait devant lui les cheveux de la jeune fille, des cheveux bas, bouffants et fermes, à reflets rougeâtres et partagés par une raie. Il pensait que Mlle Bürstner allait tourner les yeux vers lui, mais elle lui dit sans changer de position:

«Excusez-moi, j’ai été effrayée par la soudaineté du bruit beaucoup plus que par les conséquences que pourrait avoir la présence du capitaine; il y a eu un tel silence après votre cri! Et c’est dans ce silence qu’on s’est mis tout à coup à frapper à la porte; c’est cela qui m’a tant fait peur, d’autant plus que j’étais tout près; on a frappé presque à côté de moi. Je vous remercie de vos propositions, mais je ne les accepte pas, c’est à moi de répondre de ce qui se passe dans ma chambre, et personne n’a à m’en demander compte; je suis surprise que vous ne vous aperceviez pas de ce qu’il y a de blessant dans vos propositions, malgré l’excellence de vos intentions que je me plais à reconnaître; mais maintenant allez-vous-en, laissez-moi seule, j’en ai plus besoin que jamais. Les trois minutes que vous m’aviez demandées se sont transformées en une demi-heure et même plus.»

K. la prit d’abord par la main, puis par le poignet.

«Vous ne m’en voulez pas?» dit-il.

Elle dégagea doucement sa main et répondit:

«Non, non, je n’en veux jamais à personne.»

Il la reprit par le poignet. Cette fois-ci elle le laissa faire et le ramena jusqu’à la sortie. Il était fermement décidé à partir. Mais, parvenu devant la porte, il eut un recul comme s’il ne s’était pas attendu à la trouver là; Mlle Bürstner profita de cet instant pour se libérer, ouvrir et se glisser dans le vestibule d’où elle lui chuchota:

«Allons, venez maintenant, je vous en prie. Voyez – et elle montrait la porte du capitaine sous laquelle passait un rayon de lumière – il a allumé et il s’amuse à nous écouter faire.

– Je viens, je viens», dit K. en sortant rapidement.

Il l’attrapa et la baisa sur la bouche, puis sur tout le visage, comme un animal assoiffé qui se jette à coups de langue sur la source qu’il a fini par découvrir. Pour terminer il l’embrassa encore dans le cou, à l’endroit du gosier sur lequel il attarda longtemps ses lèvres. Il fut interrompu par un bruit qui venait de la chambre du capitaine.

«Maintenant, je m’en vais», dit-il.

Il voulait encore appeler Mlle Bürstner par son prénom, mais il l’ignorait. Elle lui adressa un signe de tête fatigué, lui laissa sa main à baiser, déjà tournée pour repartir comme si elle ignorait tout cela, et regagna sa chambre le dos voûté.

K. ne tarda pas à se coucher; le sommeil le visita vite; avant d’y succomber il réfléchit encore un peu à sa conduite: il en était satisfait, mais s’étonnait de ne pas l’être davantage; il redoutait sérieusement la présence du capitaine pour Mlle Bürstner.

CHAPITRE II

PREMIER INTERROGATOIRE.

K. avait été avisé par téléphone qu’on procéderait le dimanche suivant à une petite enquête sur son affaire. On l’avait prévenu aussi que l’instruction se poursuivrait désormais régulièrement et que les interrogatoires auraient lieu, sinon toutes les semaines, du moins assez fréquemment; il fallait, lui avait-on dit, terminer rapidement le procès dans l’intérêt de tout le monde, mais les interrogatoires n’en devaient pas moins être extrêmement minutieux, tout en restant assez courts cependant pour épargner un excès de fatigue. C’étaient là les raisons qui avaient engagé à choisir ce système de petits interrogatoires fréquents. Quant au dimanche, si on avait préféré ce jour c’était pour ne pas déranger K. dans son travail professionnel. On supposait qu’il était d’accord; toutefois s’il préférait une autre date on tâcherait de lui faire plaisir dans la mesure du possible, en l’interrogeant de nuit par exemple, mais ce n’était pas un bon système, car K. ne serait pas assez dispos pour supporter une telle fatigue, de sorte qu’on s’en tiendrait au dimanche, s’il n’y voyait pas d’objection. Naturellement il était tenu de se présenter, il était inutile qu’on insistât là-dessus; on lui dit le numéro de la maison où il devrait venir; il s’agissait d’un immeuble lointain situé dans une rue de faubourg où K. n’était jamais allé.

Il raccrocha le récepteur sans rien répondre quand on lui communiqua cette information; il était décidé à se rendre là-bas; c’était certainement nécessaire; le procès se nouait et il fallait faire face à la situation; il fallait que ce premier interrogatoire fût aussi le dernier. Il restait là pensivement près de l’appareil quand il entendit derrière lui la voix du directeur adjoint qui aurait voulu téléphoner, mais auquel il barrait le chemin.

«Mauvaises nouvelles?» demanda le directeur adjoint d’un ton léger, non pour apprendre quelque chose, mais simplement pour éloigner K. de l’appareil.

«Non, non» dit K. en s’effaçant, mais sans partir.

Le directeur adjoint décrocha le récepteur et dit à K. sans lâcher l’appareil, en attendant sa communication:

«Une question, monsieur K.; me feriez-vous le plaisir de venir dimanche matin pour une partie dans mon voilier? Il y aura pas mal de monde et vous trouverez certainement des amis. Le procureur Hasterer entre autres. Voulez-vous venir? Allons, dites oui.»

K. tâcha de faire attention à ce que lui disait le directeur adjoint. C’était presque un événement, car cette invitation du directeur adjoint, avec lequel il ne s’était jamais très bien entendu, représentait de la part de son chef une tentative de réconciliation et montrait l’importance de la place que K. avait prise à la banque; elle montrait le prix que le second chef de l’établissement attachait à l’amitié de K. ou tout au moins à sa neutralité. Bien que le directeur adjoint n’eût prononcé cette invitation qu’en attendant sa communication et sans lâcher le récepteur, elle constituait cependant une humiliation de sa part; K. lui en fit subir une seconde en répondant:

«Je vous remercie infiniment, mais j’ai déjà promis ma matinée de dimanche.

– Dommage!» dit le directeur adjoint en se retournant vers le téléphone où la conversation venait de s’engager.

La communication fut assez longue, mais K., distrait, resta tout le temps près de l’appareil. Ce ne fut qu’en voyant le directeur adjoint raccrocher qu’il sursauta et dit, pour excuser un peu son inutile présence:

«On vient de me téléphoner d’aller quelque part, mais on a oublié de me dire à quelle heure.

– Rappelez donc, dit le directeur adjoint.

– Oh! ça n’a pas une telle importance!» dit K., bien que cette affirmation diminuât la valeur déjà insuffisante de sa précédente excuse.

Le directeur adjoint lui parla encore en s’en allant de divers sujets. K. se contraignit à répondre, mais il pensait à autre chose. Il se disait que le mieux serait de se présenter, les autres jours, à neuf heures, puisque c’est l’heure où la justice commence à fonctionner en semaine.

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