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– Les grands avocats? demanda K. Qui est-ce? Comment peut-on les voir?

– Vous n’avez donc, dit le négociant, jamais entendu parler d’eux? Il n’y a peut-être pas un accusé qui, après en avoir entendu parler, n’ait rêvé d’eux pendant un temps. Ne vous laissez pas aller à une pareille faiblesse. Qui sont-ils? Je n’en sais rien. Quant à les voir, c’est impossible. Je ne connais pas un seul cas dont on puisse affirmer sûrement qu’ils se soient mêlés. Ils défendent bien quelques clients, mais cela ne dépend pas du désir de l’accusé; ils ne défendent que qui ils veulent; il faut sans doute, pour qu’ils s’occupent d’une cause, qu’elle soit déjà sortie du ressort des petits tribunaux. D’ailleurs, il vaut mieux ne pas penser à eux; autrement – j’en ai fait l’expérience personnelle – on se met à trouver les consultations, les conseils et l’assistance des autres si bêtes et si inutiles qu’on aimerait mieux tout envoyer au diable, aller se coucher et ne plus rien savoir, ce qui serait naturellement encore plus stupide; et puis on ne resterait pas longtemps tranquille au lit.

– Vous n’avez donc jamais songé aux grands avocats? demanda K.

– Pas longtemps, dit le négociant en recommençant à sourire. Malheureusement, on n’arrive pas à les oublier complètement, c’est une idée qui vous tracasse surtout la nuit, Mais à ce moment-là je voulais obtenir des résultats qui fussent immédiats, c’est pourquoi je suis allé trouver les avocats marrons.

– Comme vous voilà près l’un de l’autre!» s’écria Leni qui était revenue avec sa tasse et se tenait sur le pas de la porte.

Ils étaient vraiment près l’un de l’autre; au moindre mouvement, leurs têtes se seraient cognées; le négociant, qui n’était pas seulement petit, mais aussi légèrement bossu, obligeait K. à se tenir penché très bas pour entendre ce qu’il disait:

«Un instant encore, cria K., pour évincer Leni un moment, en faisant un mouvement d’impatience de la main qu’il tenait toujours posée sur celle du négociant.

– Il a voulu que je lui raconte mon procès, dit le négociant à Leni.

– Raconte, raconte», dit celle-ci.

Elle parlait affectueusement au négociant, mais sur un ton de condescendance. Cela ne plaisait pas à K. Comme il venait de s’en apercevoir, l’homme avait tout de même une certaine valeur; il possédait principalement une expérience dont il savait fort bien parler… Leni devait probablement mal le juger. K. fut ennuyé de la voir retirer des mains de M. Block la bougie qu’il n’avait cessé de tenir pendant tout ce temps, lui essuyer les doigts du coin de son tablier, puis s’agenouiller auprès de lui pour gratter une goutte de cire qui avait coulé sur son pantalon.

«Vous vous apprêtiez à me parler des avocats marrons, dit K. en écartant sans un mot la main de Leni.

– Que veux-tu donc? demanda Leni, en donnant une tape à K. pour pouvoir continuer son travail.

– Parfaitement, des avocats marrons, dit le négociant en se passant la main sur le front comme s’il réfléchissait.

K., désirant aider ses souvenirs, lui rappela:

«Vous vouliez obtenir des résultats qui fussent immédiats, c’est pourquoi vous étiez allé trouver les avocats marrons.

– Parfaitement,» dit le négociant, mais il ne continua pas.

«Il ne veut sans doute pas en parler devant Leni» pensa K., et, maîtrisant son impatience d’apprendre la suite, il cessa d’insister.

«M’as-tu annoncé? demanda-t-il à Leni.

– Naturellement, fit-elle. Il t’attend. Maintenant, laisse Block, tu pourras lui parler plus tard, il reste ici.»

K. hésitait encore.

«Vous restez ici?» demanda-t-il au négociant, car il voulait sa propre réponse.

Il n’admettait pas que Leni parlât de Block comme d’un absent; il était plein contre elle, ce jour-là, d’une secrète irritation; mais ce fut encore elle qui répondit pour Block:

«Il couche fréquemment ici.

– Il couche ici?» s’écria K.

Il avait pensé que le négociant n’attendrait là que juste le temps nécessaire pour régler l’affaire avec l’avocat, qu’ils s’en iraient ensuite ensemble et qu’ils pourraient parler à fond tranquillement de tous les sujets qui l’intéressaient.

«Eh! oui, dit Leni, ce n’est pas tout le monde qui peut, comme toi, mon cher Joseph, être reçu par l’avocat n’importe quand. Tu n’as pas l’air d’être étonné qu’il te reçoive à onze heures du soir malgré sa maladie. Tu trouves tout de même trop naturel ce que tes amis font pour toi. Enfin…, c’est volontiers, moi surtout. Je ne veux pas d’autre remerciement que de savoir que tu m’aimes.»

«Que je t’aime?» pensa K. dans le premier moment; ce ne fut qu’ensuite qu’il se dit: «Ah! oui, je l’aime.» Cependant, négligeant tout le reste, il déclara:

«Il me reçoit parce que je suis son client. Si l’on avait besoin d’un tiers pour se faire recevoir dans de telles conditions on ne pourrait plus faire un pas sans avoir à mendier et à remercier.

«Qu’il est mauvais aujourd’hui, n’est-ce pas?» demanda Leni au négociant.

«C’est moi qui suis l’absent cette fois-ci, pensa K., et il en voulut presque à Block quand il le vit prendre à son compte l’impolitesse de Leni en disant à la jeune fille:

«L’avocat le reçoit aussi pour d’autres raisons. Son cas est plus intéressant que le mien. Et puis, son procès n’en est qu’au début, il ne peut donc être déjà gâché, et l’avocat doit avoir encore plaisir à s’en occuper. Cela changera par la suite.

– Et patati et patata, dit Leni en regardant Block avec un rire ironique. Voyez-moi donc ce bavard! Il n’y a rien à croire de ce qu’il dit, tu sais, ajouta-t-elle en se tournant vers K. Il est gentil, mais il est encore plus bavard. Peut-être est-ce une des raisons pour lesquelles l’avocat ne peut pas le souffrir. En tout cas, il ne le reçoit que quand ça lui chante. J’ai déjà pris grand-peine à chercher à modifier cette situation, mais il n’y a rien à y faire. Rends-toi compte: il m’arrive d’aller lui annoncer Block et il le reçoit, mais c’est trois jours après. Et si Block n’est pas là quand on lui dit de venir, tout est perdu et c’est une chose à recommencer. C’est pourquoi je lui ai permis de coucher ici, car il est déjà arrivé que l’avocat me sonnât dans la nuit pour le recevoir. Aussi maintenant il est prêt même la nuit. À vrai dire, il arrive aussi que l’avocat le décommande quand il s’aperçoit qu’il est là.»

K. regarda le négociant d’un air interrogateur. Mais Block opinait du bonnet; il déclara aussi franchement qu’auparavant – peut-être son humiliation l’avait-elle rendu distrait:

«Oui, par la suite, on devient très esclave de son avocat.

– Il ne se plaint que pour faire semblant, dit Leni. Il aime beaucoup coucher ici, il me l’a avoué souvent.»

Là-dessus, elle alla ouvrir une petite porte.

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