– Cependant, madame, continua Saint-Verac, si vous vous y obstinez, nous plaiderons, main je ne vous réponds de rien… confiez-moi d’abord l’état de vos fonds.
– Hélas, monsieur, répondit la marquise, tout ce que nous avons pu faire est cinq cents louis; mon mari qui n’a de fortune que la mienne, se trouve ruiné si je le suis, et cette somme heureusement formée de nos épargnes s’est trouvée tout ce que nous avions dans l’instant où nos revenus ont été saisis.
– Cinq cents louis, dit Saint-Verac en se levant et gagnant la porte, cherchez parmi nos clercs, madame, quelqu’un qui veuille entreprendre une telle affaire pour cinq cents louis; pour moi qui ne vois pas même de quoi faire là les premières avances, vous trouverez bon que je ne m’en mêle pas.
– Mais monsieur, j’ai quelques bijoux.
– A combien vont-ils?
– Peut-être à une somme égale.
– Oui, en les achetant, mais à la moitié tout au plus si vous vendez ici; eh bien, comme il est certain que tout y passera, défaites-vous sur-le-champ de ces babioles, afin que nous voyions ce que le tout ensemble peut nous donner.
Après quelques difficultés la marquise consentit, et l’on convint que dès le lendemain un joaillier viendrait s’arranger de ses bijoux.
– Ceci convenu, dit le procureur, il faut maintenant puisque vous vous en rapportez entièrement à mes conseils, que vous commenciez à quitter ce logement-ci beaucoup trop magnifique pour votre situation, et lui indiquant en même temps un petit hôtel obscur positivement en face de la maison de Fondor: voilà, lui dit-il, où il faut vous aller loger, je serai plus à portée de vous, vous serez moins chèrement et plus isolée, toutes ces choses sont nécessaires dans votre position, il est on ne saurait plus essentiel que dans les premiers temps vous ne voyiez absolument personne ou tout au plus que les gens nécessaires à notre entreprise, que je me chargerai de vous présenter moi-même.
Et ces recommandations faites, Saint-Verac se retire emportant avec lui le léger acompte de deux cents louis, pour, disait-il, mettre ce qu’on appelle les fers au feu.
Mme de Telême convenue de rendre à son mari jour par jour le compte le plus exact de sa conduite, ne manqua pas de lui écrire dès le même soir tout ce qui venait de se passer, mais comme elle avait carte blanche sur tout, elle continua d’agir à sa guise et pour se conformer aux intentions de celui qui la dirigeait, elle quitta l’hôtel brillant dans lequel elle était descendue et vint s’arranger le lendemain dans celui voisin de Fondor, où tout était déjà préparé pour la recevoir comme on avait dessein qu’elle le fût. L’appartement très mesquin qu’on lui donnait avait ses fenêtres positivement en face de celles du cabinet de Fondor, mais de manière à ce que plongeant dans cet appartement, à moins qu’on n’en fermât les rideaux, il devenait impossible à Mme de Telême de cacher ses actions à celui qui l’examinerait des croisées du cabinet de notre financier. Ce fut de là, où le libertin la lorgna dès le premier jour tout à son aise et de là, où son cœur obscène s’enflamma de la passion la plus illicite qu’il eût encore éprouvée de sa vie, mais comme ces effervescences de débauche méconnaissent la délicatesse du sentiment qui n’encensant que l’objet qu’il adore, sacrifie tout à cette seule divinité, et croirait l’inconstance un crime, Flavie seul et unique recours de la malheureuse marquise, Flavie presque aussi bien que sa maîtresse, échauffa de même l’intempérance de ce vilain faune, et il crut non seulement pouvoir se satisfaire sans aucun danger, mais même que cette créature séduite par lui, ne servirait qu’à hâter la défaite de l’autre. Dès le lendemain il se confia à Saint-Verac, et comme celui-ci ne trouva nul inconvénient à l’entreprise, on lança la maîtresse de l’hôtel garni sur la malheureuse Flavie qui ne tenant point à une centaine d’écus satisfit amplement le financier sitôt qu’il le voulut, et devint de ce moment-là l’un des plus fidèles esclaves de ses désirs. Dès qu’on la vit si bien gagnée, on crut pouvoir lui confier le projet, elle approuva, elle promit de le servir, et la malheureuse fut au point de jurer à Fondor que si le procureur ne parvenait pas promptement à réduire sa maîtresse à l’état de misère où on la désirait, elle la volerait plutôt, afin d’avoir le plaisir de voir
…
… furent dehors, ne vous imaginez pas que je fasse davantage.
– Eh quoi, monsieur, ne m’avez-vous pas dit que vous feriez rentrer mes fonds, et que vous soutiendriez mon procès?
– J’ai pu dire beaucoup de choses sans avoir vu, et je dois me dédire de beaucoup après avoir vu, est-il juste que je vous paye plus que vous ne valez?…
Et un mouvement de désespoir affreux saisissant ici Mme de Telême:
– Madame, il y a tout plein de choses qui se disent avant que de jouir, et qu’on est bien loin de penser après, cette main traîtresse de la jouissance arrache le voile du prestige et laisse l’objet dans une vérité qui lui est communément bien fatale, cet… mon ange, je sais bien qu’il ne reste encore quelque… réussissent mieux
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… tout aussi peu ménagée, et détrompée enfin sur le service qu’elle avait cru que Fondor rendrait à sa maîtresse, passait aux pieds de sa maîtresse le peu d’instants où on les laissait seules et arrosait de ses larmes les genoux de cette femme qu’elle avait si horriblement trahie: elle avoua qu’elle avait été séduite et l’avoua en versant des larmes bien amères; ses soins
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… Ce qui vient de vous arriver, madame, dit-il en s’adressant à la marquise, a dû vous paraître fort extraordinaire, et n’est pourtant que la chose du monde la plus simple; venue à Paris sans crédit, sans ressources, sans protection, à peine âgée de dix-sept ans et une trop jolie figure, vous deviez nécessairement être dupée, ce n’est pas votre faute
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