Le président pleura comme un enfant, rien n’est amer comme les remords du crime qui voit retomber sur sa tête tous les fléaux dont il s’est lui-même servi… mais il n’en fallut pas moins s’arracher, il demanda avec instance la permission d’embrasser sa femme.
– Votre femme, lui dit brusquement la marquise, elle ne l’est pas encore heureusement, et c’est dans nos calamités le seul adoucissement que nous connaissions.
– Soit, dit le président, j’aurai le courage de soutenir encore cette plaie-ci, et il monta dans la voiture des exempts.
Le château où l’on conduisait ce malheureux, était celui d’une terre de la dot de Mme d’Olincourt, où tout était préparé pour le recevoir; un capitaine du régiment d’Olincourt, homme vert et rébarbatif, devait y jouer le rôle de gouverneur. Il reçut Fontanis, congédia les gardes, et dit durement à son prisonnier en l’envoyant dans une très mauvaise chambre, qu’il avait pour lui des ordres ultérieurs, d’une sévérité dont il lui était impossible de s’écarter. On laissa le président dans cette cruelle situation pendant près d’un mois; personne ne le voyait, on ne lui servait que de la soupe, du pain, et l’eau, il était couché sur de la paille dans une chambre d’une humidité affreuse, et l’on n’entrait chez lui que comme à la Bastille, c’est-à-dire comme chez les bêtes de la ménagerie, uniquement pour porter le manger. L’infortuné robin fit de cruelles réflexions pendant ce fatal séjour, on ne les troubla point; enfin le faux gouverneur parut et après l’avoir médiocrement consolé, il lui parla de la manière suivante:
– Vous ne devez pas douter, lui dit-il, monsieur, que le premier de vos torts soit d’avoir voulu vous allier à une famille si au-dessus de vous à toute sorte d’égards; le baron de Téroze et le comte d’Olincourt sont des gens de la première noblesse qui tiennent à toute la France, et vous n’êtes qu’un malheureux robin provençal, sans nom comme sans crédit, sans état comme sans considération; quelques retours sur vous-même eussent donc dû vous engager à témoigner au baron de Téroze qui s’aveuglait sur votre compte, que vous n’étiez nullement fait pour sa fille; comment pûtes-vous croire un moment d’ailleurs que cette fille belle comme l’amour, pût devenir la femme d’un vieux et vilain singe comme vous, il est permis de s’aveugler, mais non pas jusqu’à ce point; les réflexions que vous avez dû faire pendant votre séjour ici, monsieur, doivent vous avoir convaincu que depuis quatre mois que vous êtes chez le marquis d’Olincourt, vous n’y avez servi que de jouet et de risée: des gens de votre état et de votre tournure, de votre profession et de votre bêtise, de votre méchanceté et de votre fourberie, ne doivent s’attendre qu’à des traitements de cette espèce; par mille ruses plus plaisantes les unes que les autres, on vous a empêché de jouir de celle à laquelle vous prétendiez, on vous a fait donner cinq cents coups d’étrivière dans un château de revenants, on vous a fait voir votre femme dans les bras de celui qu’elle adore, ce que vous avez sottement pris pour un phénomène, on vous a mis aux prises avec une catin gagée qui s’est moquée de vous, bref on vous a enfermé dans ce château où il ne tient qu’au marquis d’Olincourt mon colonel, de vous tenir jusqu’à la fin de votre vie, ce qui sera très certainement si vous vous refusez à signer l’écrit que voilà; observez avant de le lire, monsieur, continua le prétendu gouverneur, que vous ne passez dans le monde que comme un homme qui devait épouser Mlle de Téroze, mais nullement pour son mari; votre hymen s’est fait le plus secrètement possible, le peu de témoins a consenti à se désister; le curé a rendu l’acte, le voici; le notaire a remis le contrat, vous le voyez devant vos yeux; vous n’avez de plus jamais couché avec votre femme, votre mariage est donc nul, il est donc cassé tacitement et du plein gré de toutes les parties, ce qui donne à sa rupture autant de force que si elle était l’ouvrage des lois civiles et religieuses; voilà de même les désistements du baron de Téroze et de sa fille, il ne manque plus que le vôtre, le voilà, monsieur, choisissez entre la signature à l’amiable de ce papier ou la certitude de terminer ici vos jours… Répondez, j’ai tout dit.
Le président après un peu de réflexion, prit le papier et y lut ces mots:
«J’atteste à tous ceux qui liront ceci que je n’ai jamais été l’époux de Mlle de Téroze, je lui rends par cet écrit tous les droits qu’on pensa quelque temps à me donner sur elle et je proteste de ne les réclamer de ma vie. Je n’ai qu’à me louer d’ailleurs des procédés qu’elle et sa famille ont eus pour moi pendant l’été que j’ai passé dans leur maison; c’est de commun accord, de notre plein gré à l’un et à l’autre, que nous renonçons mutuellement aux desseins de réunion que l’on avait formés sur nous, que nous nous rendons réciproquement la liberté de disposer de nos personnes, comme si jamais il n’eût existé d’intention de nous joindre. Et c’est en pleine liberté de corps et d’esprit que je signe ceci au château de Valnord, appartenant à Mme la marquise d’Olincourt.»
– Vous m’avez dit, monsieur, reprit le président après la lecture de ces lignes, ce qui m’attendait si je ne signais pas, mais vous ne m’avez point parlé de ce qui m’arriverait si je consentais à tout.
– La récompense en sera votre liberté dans l’instant, monsieur, reprit le faux gouverneur, la prière d’accepter ce bijou de deux cents louis de la part de Mme la marquise d’Olincourt, et la certitude de trouver à la porte du château votre valet et deux excellents chevaux qui vous attendent pour vous ramener à Aix.
– Je signe et pars, monsieur, j’ai trop à cœur de me délivrer de tous ces gens-ci pour balancer une minute.
– Voilà qui va bien, président, dit le capitaine en prenant l’écrit signé et lui remettant le bijou, mais prenez garde à votre conduite; une fois dehors, si la manie de vous venger allait quelquefois s’emparer de vous, réfléchissez avant que d’en venir là que vous avez à faire à forte partie, que cette famille puissante que vous offenseriez tout entière par vos démarches vous ferait aussitôt passer pour un fou et que l’hôpital de ces malheureux deviendrait pour jamais votre dernière demeure.
– Ne craignez rien, monsieur, dit le président, je suis le premier intéressé à ne plus avoir d’affaire avec de telles personnes, et je vous réponds que je saurai les éviter.
– Je vous le conseille, président, dit le capitaine en lui ouvrant enfin sa prison, partez en paix et que jamais ce pays-ci ne vous revoie.
– Comptez sur ma parole, dit le robin en montant à cheval, ce petit événement m’a corrigé de tous mes vices, je vivrais encore mille ans que je ne viendrais plus chercher de femme à Paris; j’avais quelquefois compris le chagrin d’être cocu après le mariage, mais je n’entendais pas qu’il fût possible de le devenir avant… Même sagesse, même discrétion dans mes arrêts, je ne m’érigerai plus en médiateur entre des filles et des gens qui valent mieux que moi, il en coûte trop cher pour prendre le parti de ces demoiselles-là et je ne veux plus avoir affaire à des gens qui ont des esprits tout prêts pour les venger.
Le président disparut et devenu sage à ses dépens, on n’entendit plus parler de lui. Les catins se plaignirent, on ne les soutint plus en Provence et les mœurs y gagnèrent, parce que les jeunes filles se voyant privées de cet indécent appui, préférèrent le chemin de la vertu aux dangers qui pouvaient les attendre dans la route du vice, quand les magistrats seraient assez sages pour sentir l’inconvénient affreux de les y soutenir par leur protection.
On se doute bien que pendant les arrêts du président, le marquis d’Olincourt après avoir fait revenir le baron de Téroze de ses préjugés trop favorables sur Fontanis, avait travaillé à ce que toutes les dispositions qu’on vient de voir fussent faites avec sûreté; son adresse et son crédit y réussirent si bien, que trois mois après Mlle de Téroze épousa publiquement le comte d’Elbène, avec lequel elle vécut parfaitement heureuse.
– J’ai quelquefois un peu de regret d’avoir autant maltraité ce vilain homme, disait un jour le marquis à son aimable belle-sœur, mais quand je vois d’un côté le bonheur qui résulte de mes démarches, et que je me convaincs de l’autre que je n’ai vexé qu’un drôle inutile à la société, foncièrement ennemi de l’État, perturbateur du repos public, bourreau d’une famille honnête et respectable, diffamateur insigne d’un gentilhomme que j’estime et auquel j’ai l’honneur d’appartenir, je me console et je m’écrie avec le philosophe: Ô souveraine Providence, pourquoi faut-il que les moyens de l’homme soient assez bornés pour ne pouvoir jamais parvenir au bien que par un peu de mal!
Fini ce conte le 16 juillet 1787 à 10 heures du soir