Литмир - Электронная Библиотека
A
A

– En vérité, je crois que vous allez me convertir.

– Je le voudrais.

– Qu’y gagneriez-vous, tant que vous serez vous-même dans l’erreur?

– C’est une obligation que m’aura mon sexe, et comme j’aime les femmes, je suis bien aise de travailler pour elles.

– Si le miracle s’opérait, ses effets ne seraient pas aussi généraux que vous avez l’air de le croire, je ne voudrais me convertir que pour une seule femme tout au plus… afin d’essayer.

– Le principe est honnête.

– C’est qu’il est bien certain qu’il y a un peu de prévention, je le sens, à prendre un parti sans avoir tout goûté.

– Comment, vous n’avez jamais vu de femme?

– Jamais, et vous… posséderiez-vous par hasard des prémices aussi sûrs?

– Oh, des prémices, non… les femmes que nous voyons sont si adroites et si jalouses qu’elles ne nous laissent rien… mais je n’ai connu d’homme de ma vie.

– Et c’est un serment fait?

– Oui, je n’en veux jamais voir, ou n’en veux connaître qu’un aussi singulier que moi.

– Je suis désolé de n’avoir pas fait le même vœu.

– Je ne crois pas qu’il soit possible d’être plus impertinent…

Et en disant ces mots, Mlle de Villeblanche se lève et dit à Franville qu’il est le maître de se retirer. Notre jeune amant toujours de sang-froid fait une profonde révérence et s’apprête à sortir.

– Vous retournez au bal, lui dit sèchement Mlle de Villeblanche en le regardant avec un dépit mêlé du plus ardent amour.

– Mais oui, je vous l’ai dit, ce me semble.

– Ainsi vous n’êtes pas capable du sacrifice que je vous fais.

– Quoi, vous m’avez fait quelque sacrifice?

– Je ne suis rentrée que pour ne plus rien voir après avoir eu le malheur de vous connaître.

– Le malheur?

– C’est vous qui me forcez à me servir de cette expression, il ne tiendrait qu’à vous que j’en employasse une bien différente.

– Et comment arrangeriez-vous cela avec vos goûts?

– Que n’abandonne-t-on pas quand on aime?

– Eh bien oui, mais il vous serait impossible de m’aimer.

– J’en conviens, si vous conserviez des habitudes aussi affreuses que celles que j’ai découvertes en vous.

– Et si j’y renonçais?

– J’immolerais à l’instant les miennes sur les autels de l’amour… Ah! perfide créature, que cet aveu coûte à ma gloire, et que viens-tu de m’arracher, dit Augustine en larmes, en se laissant tomber sur un fauteuil.

– J’ai obtenu de la plus belle bouche de l’univers l’aveu le plus flatteur qu’il me fût possible d’entendre, dit Franville en se précipitant aux genoux d’Augustine… Ah! cher objet de mon plus tendre amour, reconnaissez ma feinte et daignez ne la point punir, c’est à vos genoux que j’en implore la grâce, j’y resterai jusqu’à mon pardon. Vous voyez près de vous, mademoiselle, l’amant le plus constant et le plus passionné; j’ai cru cette ruse nécessaire pour vaincre un cœur dont je connaissais la résistance. Ai-je réussi, belle Augustine, refuserez-vous à l’amour sans vices ce que vous avez daigné faire entendre à l’amant coupable… coupable, moi… coupable de ce que vous avez cru… ah! pouviez-vous supposer qu’une passion impure pût exister dans l’âme de celui qui ne fut jamais enflammé que pour vous.

– Traître, tu m’as trompée… mais je te le pardonne… cependant tu n’auras rien à me sacrifier, perfide, et mon orgueil en sera moins flatté, eh bien, n’importe, pour moi je te sacrifie tout… Va, je renonce avec joie pour te plaire à des erreurs où la vanité nous entraîne presque aussi souvent que nos goûts. Je le sens, la nature l’emporte, je l’étouffais par des travers que j’abhorre à présent de toute mon âme; on ne résiste point à son empire, elle ne nous a créées que pour vous, elle ne vous forma que pour nous; suivons ses lois, c’est par l’organe de l’amour même qu’elle me les inspire aujourd’hui, elles ne m’en deviendront que plus sacrées. Voilà ma main, monsieur, je vous crois homme d’honneur, et fait pour prétendre à moi. Si j’ai pu mériter de perdre un instant votre estime, à force de soins et de tendresse peut-être réparerai-je mes torts, et je vous forcerai de reconnaître que ceux de l’imagination ne dégradent pas toujours une âme bien née.

Franville, au comble de ses vœux, inondant des larmes de sa joie les belles mains qu’il tient embrassées, se relève et se précipitant dans les bras qu’on lui ouvre.

– Ô jour le plus fortuné de ma vie, s’écrie-t-il, est-il rien de comparable à mon triomphe, je ramène au sein des vertus le cœur où je vais régner pour toujours.

Franville embrasse mille et mille fois le divin objet de son amour et s’en sépare; il fait savoir le lendemain son bonheur à tous ses amis; Mlle de Villeblanche était un trop bon parti pour que ses parents la lui refusassent, il l’épouse dans la même semaine. La tendresse, la confiance, la retenue la plus exacte, la modestie la plus sévère ont couronné son hymen, et en se rendant le plus heureux des hommes, il a été assez adroit pour faire de la plus libertine des filles, la plus sage et la plus vertueuse des femmes.

22
{"b":"81635","o":1}