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R. Owen quitta la direction de N. Lanark – et ne pouvait agir autrement.

Les saints commencèrent leur administration apostolique (comme nous le voyons dans la biographie d’Owen) – par augmenter les heures du travail dans les fabriques – mais aussi ils diminuèrent le salaire.

Voilà comment N. Lanark est tombé.

Il ne faut pas oublier que le succès entier d’Owen nous montre une chose de la première gravité et tout à fait méconnue – c’est que le pauvre prolétaire – privé de toute culture, habitué à l’état de guerre sourde – avec le propriétaire, ne s’oppose au fond aux innovations qu’au commencement, et cela par méfiance – dès qu’il comprend qu’il n’est non plus oublié dans le changement, – dès qu’il acquiert confiance, il se soumet avec docilité à un nouveau régime.

Le salut n’est pas de ce côté.

Geintz – valet de chambre littéraire assez famé du prince Metternich – assis un beau jour pendant un grand dîner à Francfort à côté d’Owen lui dit:

– Supposons que vous eussiez réussi – eh bien, quoi?

R. Owen, un peu surpris, lui répondit:

– Comment quoi? Mais c’est évident. Le bien-être des classes nécessiteuses se serait tellement accru, que chacun serait mieux nourri, mieux logé, mieux élevé…

– Mais… c’est précisément ce que nous ne voulons pas, – lui répondit le Ciceron du Congrès de Vienne. Celui-là avait au moins le mérite de la franchise…

…Du moment où les prêtres, boutiquiers et leurs consorts s’aperçurent que le but de N. Lanark n’était pas du tout une plaisanterie, lorsqu’ils en devinèrent la portée – la perte de N. Lanark était décidée d’une manière immuable.

Et voilà pourquoi la chute d’un petit hameau en Ecosse avec sa fabrique et son école – a pour nous le sens d’un grand malheur historique. Les ruines de N. Lanark remplissent l’âme de réflexions peut-être plus tristes, plus tragiques – que d’autres ruines ne réveillaient dans l’âme de Marius… Le réfugié Romain était assis sur le tombeau d’un vieillard qui a fait son temps… Nous le pensons assis près d’un berceau – nous regardons le cadavre d’un enfant… qui promettait beaucoup et qui s’est éteint par la faute et la concupiscence des tuteurs qui craignaient ses droits à l’héritage.

Chapitre III

Nous avons vu que R. Owen doit être acquitté devant le tribunal de la logique, ses déductions sont non seulement d’une pialectique irréprochable – mais plus que cela – justifiées par la réalisation. Ce qui manquait à sa doctrine – c'est l'entendement des masses.

– Affaire de temps – il viendra un jour – elles comprendront.

– Qu’en savez-vous, peut-être oui – peut-être non!

– C’est impossible d’admettre que les hommes ne puissent jamais parvenir à bien entendre leur propre intérêt.

– Pourtant c’était ainsi de tout temps. C’est précisément à ce manque d’entendement que suppléait l’église et l’Etat. Et nous voilà dans un cercle logique – car d’un autre côté l’église et l’Etat – empêchent le développement intérieur. Owen s’imaginait qu’il suffisait de montrer aux hommes l’absurdité de quelque chose pour qu’ils s’empressent à la renier – mais il n’en est rien. L’absurdité de l’Etat et encore plus de l’église – est évidente, mais cela ne leur fait pas beaucoup plus de mal que la critique la plus raisonnée ne change les contours des montagnes et la direction des fleuves. Leur inébranlable stabilité – n’est pas basée sur l’intelligence – mais sur son défaut. L’histoire s’est crée – grâce aux absurdités les plus phantastiques. Les hommes cherchaient de tous temps la réalisation des rêves, de leur idéal – et chemin faisant réalisaient tout autre chose. Ils cherchaient l’аrс-en-ciel et le paradis sur la terre – et trouvaient des chants immortels, et créaient des statues éternelles, et bâtissaient Athène et Rome, Paris et Londres.

Un rêve cède à un autre – le sommeil est quelquefois très léger, mais jamais le réveil n’est entier. Les hommes acceptent tout, sacrifient beaucoup – mais reculent d’horreur, lorsque entre deux religions s’ouvre une fente par laquelle pénètre la lumière matinale et souffle la brise fraîche de la raison et de la critique.

Les hommes isolés qui se réveillent quelquefois et protestent contre les dormeurs – ne font qu’un acte de constatation qu’ils sont réveillés, et partant de ce qu’il est possible à l’homme de se développer jusqu’à l’entendement raisonné – mais ils ne réveillent personne, ou bien peu <de monde>. Si ce développement exceptionnel peut se généraliser ou non – c’est une question.L’induction prise du passé n’est guère favorable pour la solution positive. C’est possible que le futur ira tout autrement, de nouvelles forces se produisent, de nouveaux éléments peuvent entrer et changer (en bien ou en mal) le courant. La découverte de l’Amérique, les chemins de fer, le télégraphe – ont fait une révolution qui n’est pas moindre des révolutions géologiques. Tout cela est possible, mais nous ne pouvons dès aujourd’hui compter sur les choses que nous ne connaissons pas; admettant les meilleurs chances, nous pouvons pourtant être convaincus que cela ne sera pas de si tôt que l’homme arrivera par masses au bon sens.

Si l’on pense que la nature restait des milliers et des milliers <d’années> dans la léthargie minérale et se contentait d’autres milliers à nager comme poisson, à chanter comme oiseau, à errer dans les bois comme bête fauve – on peut arguer de là que le délire historique avec ses rêves phantastiques pourra suffir pour longtemps d’autant plus que ce délire continue largement la plasticité de la nature – épuisée dans les autres sphères.

Les hommes qui ont eu la chance d’ouvrir les yeux – sont impatients avec les dormeurs – sans prendre en considération que tout le milieu, qui les entoure, les endort et les empêche de se réveiller. La vie depuis le foyer de la famille et l’économie culinaire jusqu’aux foyers du patriotisme et l’économie politique – n’est qu’une série d’images optiques. Pas une notion simple et lucide pour voir clair dans ces brouillards, pas un sentiment naturel laissé intact, pas une question qui ne soit déracinée de son sol et placée sur un autre.

Prenez au hasard une feuille de journal – ouvrez la porte d’une maison – regardez ce qui se passe – et vous verrez quel Robert Owen peut y faire quelque chose. Les hommes souffrent avec résignation – pour des absurdités, meurent pour des absurdités, tuent les autres pour des absurdités. L’individu dans des soucis éternels, alarmé, nécessiteux, entouré d’un vacarme épouvantable, n’ayant pas un moment pour réfléchir – passe soucieux et inquiet sans même jouir. A-t-il un peu de repos – il se hâte de suite à tresser une toile d’araignée entière par laquelle il se prend soi-même et ce qu’il appelle le bonheur de famille s’il n’y trouve pas la faim et les travaux forcés à perpétuité – il invente peu à peu ces persécutions acharnées et sans fin – qui au nom de l’amour paternel ou conjugal – font haïr les liens les plus saints…

Les préoccupations et les soucis de chaque fourmi isolée ou de toute la fourmillière – ne se distinguent presque pas. Regardez ce que l’individu veut, ce qu’il fait, à quoi il parvient, quelles sont ses notions du bon et du mauvais, de l'honneur et de l'opprobre. Regardez à quoi il consacre ses derniers jours, à quoi il sacrifie ses meilleurs moments – ce qu’il prend pour «business» et ce qu’il prend hors d’œuvre – et vous verrez que vous êtes en plein chambre d’enfants, – où les chevaux ont des roues sous les pieds, où les poupées sont punies – avec autant de sérieux – par les enfants, qu’eux-mêmes sont punis par les bonnes… S’arrêter, réfléchir est impossible – vous ruinerez les affaires, on vous poussera, on vous débordera, tout le monde est trop compromis, trop avancé dans le courant, pour faire halte et pour quoi? – pour écouter une poignée d’hommes saus canons, sans argent, sans pouvoir – qui proteste au nom de la raison – sans même avoir des miracles pour prouver leur vérité.

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