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Pour conserver ce peu de repos acquis, les hommes entourèrent leurs ports – de phantômes et d’instruments de torture. Ils donnèrent à leur roi – un bâton et une hâche, ils reconnurent au prêtre le droit de maudire et de bénir, de faire descendre des cieux les foudres – pour les mauvais, et la pluie génératrice – pour les bons.

Mais comment donc les hommes inventèrent eux-mêmes des épouvantails – et en ont eu peur? Les épouvantails n’étaient pas toujours phantastiques – et lorsqu’on s’approche de nos jours des villes en Asie Centrale, par un petit chemin bordé de gibets, sur lesquels sont perchés – des squelettes contordus – il y a de quoi réfléchir… Secondement, il n’y a pas d’invention préméditée; nécessité de défense et l’imagination ardente de l’enfance – menèrent les hommes à ces créations devant lesquelles ils s’inclinèrent eux-mêmes. Les premières luttes des races – des tribus – devaient aboutir à la conquête. L’esclavage des conquis était le berceau de l’Etat, de la civilisation, de la liberté. L’esclavage mettant en opposition une minorité des forts – avec une multitude des faibles – permit au conquérant de manger plus et travailler moins, – ils inventèrent des freins pour les conquérir – et se prirent eux-mêmes en partie par ces freins. Le maître et l’esclave croyaient naïvement que les lois étaient dictées au milieu des éclairs et orage par Iehova au mont Sinaï – ou doucement chuchotées à l’oreille du législateur par quelque esprit intestinal…

Pourtant à travers une infinité de décors et des habits les plus bariolés – il est facile de reconnaître les bases invariables qui ne font que se modifier, restant les mêmes depuis le commencement de la société jusqu’à nos jours – dans chaque église, dans chaque tribunal. Le juge en robe et perruque blanche, avec une plume derrière l’oreille et le juge tout nu, tout noir, avec une plume à travers le nez – ne doutent pas que dans de certaines circonstances tuer un homme – n’est pas seulement un droit – mais un devoir.

La même chose dans les affaires de religion. La ressemblance entre l’incohérente absurdité des conjurations et exorcismes employés par un chaman sauvage ou un prêtre de quelque tribu qui se cache dans la foule – et le fatras de rhétorique bien arrangée d’un archevêque saute aux yeux. L’essence de la question religieuse – n’est pas dans la forme et la beauté de la conjuration – mais dans la foi en un monde existant hors des frontières du monde matériel, agissant sans corps, sentant sans nerfs, raisonnant sans cervelle et par dessus ayant une action immédiate sur nous non seulement après notre passage à l’état d’éther – mais même de notre vivant. C’est le fond – tout le reste n’est que nuance et détail. Les dieux de l’Egypte avec la tête canine, les dieux de la Grèce avec leur beauté plastique, le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Joseph-Mazzini et de Pierre-le-Roux c’est toujours le Dieu si clairement défini par l’Alcoran: «Dieu est Dieu!»

Et jusqu’à ce qu’il en reste quelque chose d’extramondain – le développement peut aussi aller jusqu’à une certaine limite – et pas plus loin. La chose la plus difficile à passer dans un Etat c’est la frontière.

Le catholicisme – religion des masses et des olygarches – nous opprime plus, mais ne rétrécit pas autant l’esprit – comme le catholicisme bourgeois du protestantisme. Mais l’église sans église, le déisme rationnel se faisant en même temps logique médiocre et religion bâtarde est indéracinable chez les hommes qui n’ont pas assez d’esprit – pour raisonner jusqu’au bout, ni assez de cœur – pour croire sans raisonner[729].

Le roi chasseur qui juge avec sa lance et sa hâche peut très facilement changer de rôle – si la lance de l’accusé est la plus longue. Le juge avec la plume à travers le nez sera probablement entraîné par les passions et provoquera ou un soulèvement ou uneopposition passive de défiance et de terreur mêlée avec du mépris, comme en Russie – où l’on se soumet à la décision d’un tribunal – comme on se soumet au typhus, au malheur d’avoir rencontré un ours. Autre chose dans les pays où la législation est respectée de part et d’autre – la stabilité est autrement grande, personne ne doute dans la justice du tribunal – sans même excepter le patient qui joue le premier rôle et qui s’achemine vers la potence – dans la plus profonde conviction de l’urgente nécessité qu’on le pende.

Outre la crainte de liberté, cette crainte que sentent les enfants lorsqu’ils commencent à marcher seuls, outre l’attachement d’une longue habitude – à toutes ces cordes et garde-foux – couverts de sang et de sueur, outre la vénération pour ces bateaux – arches de salut – dans lesquels les peuples ont traversé maintes orages – il y a encore d’autres contreforces qui soutiennent ces formes croulantes. Le peu d’intelligence de la foule ne peut pas comprendre un nouvel ordre de choses, et la préoccupation timorée des propriétaires ne le veut pas. La classe la plus active et la plus puissante de nos jours – la bourgeoisie – est prête de trahir ces convictions – de s’agenouiller sans foi devant l’autel, se prosterner devant un trône, s’humilier devant l’aristocratie – qu’elle déteste et payer les soldats qu’elle abhorre, être enfin menée à la laisse – pourvu qu’on ne coupe pas la corde par laquelle on tient la foule.

Et en effet – ce n’est pas sans danger de la couper.

Les calendriers ne sont pas les mêmes en haut et en bas. En haut le XIXe siècle, au rez-de-chaussée tout au plus le XVe – et en descendant encore on arrive en pleine Afrique… ce sont des Caffres, des Hottentots de divers couleurs, races et climats.

Si on pense sérieusement à cette civilisation qui se cristallise en bas par les lazzaroni et le mob de Londres… par des êtres humains qui, rebroussant le chemin, retournent aux singes – et qui s’épanouit aux sommets par les mérovingiens rabougris de toutes les dynasties, par les chétifs Aztèques de l’aristocratie – et si on pense que sa partie saine et intelligente et forte – est représentée par la bourgeoisie – alors la tête peut bien tourner. Imaginez-vous une ménagerie pareille – sans église, sans baïonette, sans tribunal, sans prêtre, sans roi, sans bourreau?…!

Que R. Owen prenait ces forts séculaires de la théocratie et de la jurisprudence – pour quelque chose de mort, de faux à force de se survivre, c’est claire, mais lorsqu’il les sommait de se rendre – il comptait sans son hôte, sans le commandant et la brave garnison. Il n’y a rien de plus obstiné qu’un mort, on peut mettre en pièces un cadavre mais c’est impossible de le convaincre. Et quels morts – ce ne sont pas les feus bambocheurs de l’Olympe, auxquels on est venu dire – pendant qu’ils discutaient des mesures à prendre contre les libres penseurs d’Athènes – qu’on a prouvé dans cette ville de Pallas – qu’ils n’existaient pas du tout. – Les dieux pâlirent, perdirent la tête, s’évaporèrent et disparurent – si on en croit Lucien. Les Grecs, hommes et dieux, étaient plus naïfs. Les dieux servaient à ces grands enfants de poupées, les Grecs aimaint l’Olympe par un sentiment artiste. La bourgeoisie soutient le jésuite et l'Old Shop – à tant pour cent,comme une sécurité de transaction – allez-moi prendre cela par la logique.

…A travers tout cela une question grave et triste perce et se fait jour, question bien autrement importante que celle de savoir si Owen avait raison ou tort… la question de définir si en générale l'indépendance morale et l'intelligence libre de toute entrave – est compatible avec l'existence de l'Etat?

Nous voyons dans l’histoire que les hommes vivant ensemble tendent continuellement à une autonomie raisonnée – et qu’ils restent constamment dans l’asservissement moral. La tendance, la disposition ne garantit pas la possibilité du succès. – Que le cerveau humain soit un organe qui n’est pas arrivé à son état le plus développé – et qu’il a une tendance à y parvenir – c’est difficile de nier – mais s’il y parviendra ou s’il périra à mi-chemin comme périrent les mastodontes et les ichtyosaures – ou s’arrêtera dans un statu quo – comme le cerveau des animaux existants – ce sont des questions qui ne sont pas du tout faciles à être résolues. Et si elles le seront – certes, ce n’est ni par l’amour de l’humanité ni par la déclamation sentimentale etmystique.

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Moïse connaissait bien son monde lorsqu’il mettait dans le premier commandement une défense de diviniser toute chose, il n’y a pas d’abstraction logique, pas de nom collectif, pas de généralité – qui n’aient été pour un certain temps promus au rang de divinité. Les iconoclastes du rationalisme faisant une guerre acharnée contre les idoles, s’étonnaient de voir qu’à mesure qu’ils terracent les dieux de leurs piédestals – d’autres poussent à leur place d’une matière moins dense. Et le plus souvent ils ne s’étonnent même pas – car ils acceptent ces nouveaux dieux – tout de bon – pour les vrais.

Des naturalistes qui se croient matérialistes parlent des plans prémédités – dans la nature, de son économie et autres bonnes qualités. Comme si la «natura sic voluit» était plus claire que «fiat lux». C’est du fétichisme à la troisième puissance. A la première – boue le sang de S. Janvier, à la seconde – on fait descendre la pluie pendant la sécheresse – à la troisième on découvre les arrière-pensées des éléments, les conspirations tramées par les affinités chimiques et on apprécie l’intendance de la nature – qui prépare autant de jaune d’œufs qu’il y a d’embryons. Il y a peu de sujets plus pitoyables que les dissertations superbes des protestants – prouvant avec ironie et amertume – ce qu’il y a d’absurde à croire aux miracles opérés par le sang de S. Janvier – et ne doutant pas le moindre du monde de l’efficacité météorologique d’une prière de l’archevêque. Comme si c’était plus difficile pour le bon Dieu de faire bouillir le sang de S. Janvier, que d’arroser en septembre les champs protestants. C’est ridicule, mais il y a là quelquefois – une simplicité si naïve et une bonhomie si simple qu’on ne s’en indigne pas. Le piétisme idéaliste dans la physiologie ou la géologie est bien autrement révoltant.

С’est une concession, un compromis entre la vérité connue et le mensonge adopté, entre la conscience et les vues personnelles; c’est une trahison de la science, c’est une simonie d’un autre genre – ou une déviation étonnante de la dialectique – que peut on dire à un naturaliste qui se met à s’extasier avec piété de la bonté infinie et de la sagesse sans bornes de la providence qui a donné les ailes – précisément aux oiseaux… Sans les ailes ces pauvres créatures seraient tombées… et se seraient cassé le cou! N’est-ce pas – c’est pour cela qu’ils chantent chaque matin leur prière ornytologique!

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