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Et ce serait sous peu son cas. Il venait de recevoir une bandétude et de se voir attribuer un travail. Il devrait s’y présenter chaque matin. C’était l’événement le plus important de son existence, et il exultait. Sa surexcitation était telle qu’il avait imploré la super de l’autoriser à s’y rendre tout de suite, sans passer par la salle de rec où tous allaient se détendre après les bandes.

— Quoi ? s’était-elle exclamée en souriant.

Mais l’éclat de ses yeux lui indiquait qu’elle accéderait à sa demande.

— Pas de rec ? Elles sont aussi nécessaires que le travail, Florian.

— J’en ai eu une juste avant la bande. S’il vous plaît ?

Elle lui avait alors donné le mot et un jeton de rec, pour plus tard, lorsqu’il serait allé se présenter à l’autre super, celui de l’AG. Et elle lui avait tendu les bras. Étreindre la super, la gentillesuper, penser à ne pasfaire de bruit dans le couloir, marcher et marcher encore, jusqu’à la porte, puis suivre le trottoir et – une fois au pied de la colline – courirà toutes jambes.

Autrement dit très vite, car s’il possédait l’intelligence d’un Alpha il était aussi un des meilleurs à la course.

Couper entre les baraquements 4 et 5, traverser la route, emprunter un raccourci par l’allée qui conduisait aux bâtiments de l’AG. Un point de côté le contraignit à ralentir. Il espéra alors – car tous déménageaient, les grands et les petits – qu’on lui attribuerait un logement moins éloigné de l’AG.

Les plus âgés qui avaient un emploi bénéficiaient d’une priorité sur les lits les plus proches de leur lieu de travail. Il l’avait entendu dire par un grand, un Kappa.

Il reprit haleine en montant vers l’AG-100. Il lui était déjà arrivé de venir ici. Il avait vu les enclos. Il aimait leur odeur. C’étaitc c’était l’odeur des AG, tout simplement, et aucune autre ne pouvait lui être comparée.

Une sorte de bâtiment administratif se dressait près de l’entrée. Des murs blancs, avec une porte hermétique. Il devait se présenter à l’ad, les bandes le lui avaient appris. Il se suspendit à la poignée puis entra dans un bureau où régnait une vive animation.

Il pouvait poser les coudes sur les comptoirs, depuis peu. Avec difficulté. Il n’était pas aussi grand que d’autres garçons de son âge mais plus que certains. Il attendit que quelqu’un eût n otésa présence.

Une femme vint lui demander ce qu’il voulait.

— Je suis Florian AF-9979, déclara-t-il en présentant le mot. Je suis affecté à l’AG.

Elle le salua de la tête et prit le bout de papier rouge. Il resta sans bouger, en humectant ses lèvres desséchées, pendant qu’elle glissait le mot dans une machine.

— C’est exact, fit-elle. Sais-tu suivre les couleurs ?

— Oui, répondit-il sans la moindre hésitation.

Et il ne posa pas de questions parce qu’elle lui fournirait des explications. On ne devait interroger les grands que si on n’avait pas tout compris, après qu’ils avaient terminé. Ça leur permettait de se concentrer et de ne pas faire d’erreurs. Distraire quelqu’un qui travaillaitc eh bien, c’était très vilain. Il le savait.

Elle s’assit devant un clavier et tapa sur les touches. La machine cracha une carte. Elle la prit et y fixa une pince. Il ouvrait de grands yeux. Il avait compris que c’était une clé : saclé, étant donné qu’elle s’occupait de lui.

Elle revint et se pencha sur le comptoir pour lui montrer ce qui était imprimé sur le bout de plastique. Florian se leva sur la pointe des pieds et se tordit pour qu’ils puissent regarder en même temps.

— Voilà ton nom, et voilà tes couleurs. C’est une clé. Tu l’accroches à ta poche. Quand tu changes de vêtements, tu la gardes sur toi. C’est très important. Et s’il t’arrive de la perdre, viens tout de suite nous le signaler. D’accord ?

— Oui, dit-il.

Tout correspondait à ce que lui avaient appris les bandes.

— Tu as des questions à me poser ?

— Non, merci.

— Il n’y a pas de quoi, Florian.

Une petite courbette. Marcher,ensuite, ressortir et suivre le trottoir, en levant les yeux vers l’angle de l’immeuble où débutaient les couleurs. Mais il pouvait quoi qu’il en soit lire tous les mots écrits sur la carte, et sur le bâtiment.

Marcher.Il ne devait plus courir, à présent. Il travaillait, et c’était important. Son code était bleu, avec du blanc dedans et du vert dans le blanc. Il se dirigea vers la zone bleue, s’y retrouva, et continua jusqu’au blanc dans le bleu. Des carrés imbriqués l’un dans l’autre lui indiquaient le chemin à suivre. De plus en plus passionnant. Il atteignait les enclos. Il vit du vert sur le panneau d’une intersection et prit l’allée gravillonnée pour s’éloigner dans la direction indiquée. Finalement, il aperçut un bâtiment vert et put y lire : AG 899. C’était bien là.

Il voyait une grande bâtisse, juste à côté. Il demanda où était le super à un azi qui lui désigna un gros homme chauve occupé à discuter avec quelqu’un, sur le seuil des grandes portes. Florian alla attendre près de lui qu’il eût fini de parler.

— Florian, dit l’homme rond après avoir regardé la carte. Parfait.

Il l’étudia de la tête aux pieds. Puis il chargea un azi nommé Andy de le prendre avec lui et de lui montrer son travail.

Mais il le connaissait déjà, grâce aux bandes. Il devrait nourrir les poulets, veiller à ce qu’ils aient toujours de l’eau propre, contrôler la température des couveuses et de l’endroit où ils mettaient les petits cochons. Il était conscient de ses responsabilités.

— Tu es très jeune, lui dit Andy. Mais tu sembles avoir compris.

— Oui, dit-il.

C’était pour lui une certitude. Andy lui demanda de lui montrer quelle quantité de nourriture il donnerait aux volailles, ce qu’il devrait marquer sur leur fiche après avoir distribué l’aliment et vérifié la pureté de l’eau, et quelles précautions il convenait de prendre pour ne pas effrayer les poulets qui auraient pu se blesser. Il aimait les voir se regrouper et se déplacer tous ensemble d’un côté et de l’autre, comme une sorte de mer duveteuse. Il y avait aussi les porcelets. Ils criaient et risquaient de renverser un enfant qui se laissait encercler. C’était pour cela qu’il tenait un bâton.

Il exécuta ces tâches avec application et Andy se déclara satisfait. Florian fut très fier de lui, bien plus qu’il ne l’avait jamais été.

Après qu’il eut porté des seaux et changé l’eau des abreuvoirs, Andy l’autorisa à tenter de saisir un porceletc dès l’instant où il était présent et pourrait intervenir. L’animal se débattit, hurla et piétina les pieds de Florian avec ses petits onglons, avant de s’enfuir pendant que l’enfant riait. Andy, qui riait lui aussi, déclara qu’il fallait les tenir d’une certaine façon et promit de lui apprendre comment il convenait de procéder.

Cette sensation était agréable. Le contact de ce corps chaud et bien vivant entre ses bras. Mais il savait que ces animaux étaient destinés à faire des petits et à être mangés, et il devait garder cela à l’esprit pour ne pas les assimiler à des humains.

Il s’épousseta et sortit pour aller reprendre son souffle. Il s’accouda à la barrière d’un enclos situé sur le côté de la grande bâtisse.

Et il y vit une créature dont la beauté lui coupa le souffle. Il resta figé sur place, bouche bée. Il n’osait même pas ciller, de peur qu’elle ne pût en profiter pour disparaître. Son poil était roux comme celui des vaches, mais plus brillant. Un animal très puissant aux pattes démesurées qui ne se déplaçait pas comme les autres bêtes. En fait, il aurait été impossible de dire qu’il marchaitc et il semblait jouer, tout seul.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Florian en entendant Andy approcher. Ça s’appelle comment ?

— AGCULT-894X. C’est un cheval. Le premier de son espèce, sur ce monde.

2

Ari aimait aller à la garderie. Ils sortaient jouer en plein air tous les après-midi. Elle adorait rester pieds nus et s’asseoir dans le bac à sable pour tracer des routes avec la niveleuse, pendant que Tommy ou Amy ou Sam ou René poussaient les camions et les vidaient. Il leur arrivait de dire qu’il y avait une tempête, et tous les ouvriers miniatures devaient alors se réfugier dans les véhicules. Parfois, un platythère s’aventurait dans les parages et saccageait les routes, ce qui les obligeait à tout recommencer. Sam le leur avait expliqué. Sa mère était ingénieur des ponts et chaussées et lui parlait souvent de ces monstres. Ari avait demandé à maman si c’était vrai et obtenu une réponse affirmative. Elle en avait vu un gros comme le divan du séjour, mais on en trouvait qui étaient énormes, plus à l’ouest. Aussi gros qu’un camion. Le leur était de taille moyenne et très vilain, mais Ari adorait faire le platythère. Pour détruire les routes et les murs il suffisait de le pousser sous le sable, et tout s’effondrait.

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