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Quand Lu daignait s’exprimer, ses propos avaient un sens bien plus profond que ceux des autres politiciens. Corain le regarda droit dans les yeux. Gorodin était attentif. L’amiral revenait d’effectuer des opérations militaires, qu’il irait bientôt reprendre en laissant au secrétaire de la Défense et à son équipe le soin de régler tous les détails administratifs : un fait classiquec si les conseillers prenaient les décisions, les secrétaires se chargeaient de les faire exécuter et les chefs de service savaient qui couchait avec qui.

— Byrd est-il avec eux ?

— C’est probable, répondit Lu de manière compassée.

Il ne fit aucun commentaire.

C’est à noter, pensa Corain.

— Est-ce une amitié de longue date ? s’enquit Tien à voix basse.

— Une vingtaine d’années.

— N’est-ce pas dangereux, pour Warrick ? Que risquons-nous de compromettre ? voulut savoir Gorodin.

— Pas grand-chose, affirma Lu. Et certainement pas de nuire aux rapports qu’il entretient avec Emory. Il dirige sa propre section et ne se rend presque jamais dans celle de cette femme. C’est réciproque. En fait, on pourrait même parler d’une certaine animosité. Il a réclamé son autonomie au sein de Reseune, et il l’a obtenue. On ne trouve aucuncentriste, là-bas. Mais Warrick estc disons qu’il ne fait pas partie de la clique d’Emory. S’il est venu à Novgorod, c’est pour demander son transfert au bureau.

— Il fait partie des Spéciaux.

Corain avait apporté cette précision à l’intention de ceux qui n’étaient pas originaires de Cyteen et pouvaient ignorer le statut de Warrick. Celui de génie certifié. Un trésor national, de par la loi.

— La quarantaine, et aucun ami commun avec Emory. Il a eu une douzaine d’opportunités d’aller fonder ses propres labos ailleurs, mais elle est intervenue auprès du bureau pour opposer son veto à chaque occasion.

Il avait procédé à une étude de Reseune etd’Emory, sains rien trouver d’intéressant. Mais l’accès à certaines informations était difficile, comme par exemple la nature des rapports entre les membres du personnel de ces laboratoires. Lu avait réussi à la découvrir, et il s’adressa à cet homme :

— Byrd peut-il le contacter ?

— Le programme de cette visite a été bouleversé. Comme toujours. Il est sans cesse nécessaire de tout réorganiser. Je suis convaincu qu’il est possible de faire quelque chose. Voulez-vous que je m’en charge ?

— Faites. Nous allons en rester là. Mettez-vous tous au travail.

— Nous pourrons nous réunir dans la matinée, dit Tien.

— Mon équipe demeurera ici jusqu’à une heure tardive, précisa Corain. S’il y a du nouveauc

Il haussa les épaules.

— Si quelque chose se présente et qu’il faillec s’il s’avère nécessaire de faire vous savez quoic

Ils ne parlaient qu’à mots couverts de se retirer des débats, car certains ignoraient leurs projets, surtout dans les rangs des simples assistants.

— Nous vous contacterons.

Et, après avoir rattrapé Gorodin et Lu alors que les autres regagnaient leurs bureaux et les salles et services où se réuniraient les groupes de travail :

— Pouvez-vous joindre Warrick ?

— Lu ? demanda Gorodin.

Et le secrétaire, avec un haussement d’épaules :

— Ça me paraît réalisable.

2

Ce fut un homme à l’aspect banal qui entra dans cette salle de réunion du Palais de l’État. Il portait un costume marron sans prétention et tenait un attaché-case qui semblait avoir trop souvent voyagé dans des soutes à bagages. Corain ne l’eût pas remarqué au sein d’une foule ; brun, un physique agréable, assez athlétique et ne paraissant pas ses quarante-six ans. Mais des gardes du corps l’encadraient lorsqu’il n’était pas placé sous la protection de la police militaire, des serviteurs l’avaient aidé à s’habiller et ses assistants se chargeaient d’expédier toutes ses affaires courantes. Jordan Warrick n’aurait pu emprunter un moyen de transport commercial et nul autre que lui n’était habilité à toucher à sa mallette.

Un Spécial, comme Emory. On en dénombrait trois, à Reseune, le plus grand nombre jamais réuni dans le même lieu. Et cet homme était censé pouvoir concevoir et lister des bandes-structures psych dans son esprit. Les ordinateurs se chargeaient d’effectuer de telles besognes. Mais lorsqu’un programme important devait être élaboré ou revu, on le confiait à l’équipe de Jordan Warrick ; et quand le problème s’avérait impossible à résoudre il s’en occupait. Cela résumait tout ce que Corain savait sur son compte. Il s’agissait d’un génie certifié et d’un pupille de l’État. Au même titre qu’Emory et la douzaine d’autres Spéciaux.

Emory souhaitait faire accorder un statut identique à un chimiste de Lointaine âgé de vingt ans et fonder, selon les rumeurs, une annexe de Reseune à bord de cette station. Elle accordait tant d’importance à ce projet qu’il figurait en bonne place auprès de celui d’expansion coloniale et on pouvait présumer que ce n’était pas sans raison.

— Ser Lu, dit Warrick en serrant la main de cet homme. Amiral Gorodin. Charmé.

Ce fut avec un regard troublé mais amical que le nouveau venu se tourna vers Corain.

— Conseiller. Je ne m’attendais pas à vous rencontrer.

Le cœur de Corain s’emballa, à contretemps. Un signal de danger. Warrick n’était pas un de ces brillants chercheurs qui évoluaient dans le royaume brumeux de la logique abstraite en se coupant du reste de l’humanité mais un psychochirurgien, un spécialiste de la manipulation de l’esprit accoutumé à disséquer les pensées de ses interlocuteurs pour mettre à nu leurs motivations. Tout cela se tapissait derrière son affabilité et ses yeux plus jeunes que leur âge.

— Vous avez dû déduire que je ne vous avais pas tout dit, déclara Lu.

L’expression du scientifique traduisit de la méfiance.

— Oh ?

— Le conseiller Corain tenait à s’entretenir avec vousc discrètement. Pour des raisons politiques, P rWarrick. C’est important. Mais si vous préférez vous rendre à la réunion prévue, et à laquelle vous arriverez en ce cas avec une dizaine de minutes de retardc sachez que nous ne vous tiendrons pas rigueur de refuser de vous compromettre. J’espère qu’en ce cas vous accepterez mes excuses. Ces cachotteries sont à mettre sur le compte de ma profession qui favorise le développement d’un certain goût de l’intrigue.

Warrick prit une inspiration profonde puis se dirigea vers la table de conférence et y posa sa mallette.

— Est-ce en rapport avec le Conseil ? Pourriez-vous m’expliquer de quoi il retourne, avant que je ne prenne une décision ?

— Cela concerne un projet qui vient d’être déposé. Le budget des Sciences.

Warrick releva la tête, juste assez pour que ce mouvement pût être interprété comme un : Ah !

Un semblant de sourire incurva ses lèvres. Il croisa les bras et s’appuya à la table. Il paraissait détendu.

— Que souhaitez-vous savoir, plus précisément ?

— Ce qu’il contient, demanda Corain. Ce qui s’y trouve en réalité.

Le sourire énigmatique s’épanouit.

— Ce qu’il dissimule, voulez-vous dire ? Ou autre chose ?

— Cec ce qu’il dissimule. Existe-t-il un rapport, direct ou éloigné, avec le projet Espoir ?

— Non, aucun. Pas que je sache, en tout cas. Il y a bien le sondage SETI, mais c’est d’ordre général.

— Et ce statut de Spécial ? Reseune semble lui accorder beaucoup d’importance.

— Vous pouvez le dire. Désirez-vous que je vous parle de Lointaine ?

— Tout ce que vous avez à nous apprendre nous intéresse, professeur Warrick.

— J’accepte de vous consacrer ces dix minutes. Il me serait d’ailleurs possible de résumer l’essentiel en moins de temps. Un seul mot suffirait : psychogenèse. Le clonage de l’esprit, pour reprendre un terme popularisé par les médias.

Corain ne s’y était pas attendu. Le militaire non plus, et il grogna :

— Qu’est-ce que ça couvre ?

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