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Mais il ne contenait pas la moindre trace d’amusement. Que comptez-vous faire ? lui demandait-il. Que me préparez-vous, Corain ?

Les possibilités étaient peu nombreuses et elle possédait un esprit assez vif pour en dresser très vite l’inventaire. Le regard s’attarda puis devint menaçant comme un fleuret, lorsqu’elle comprit. Il ne pouvait supporter cette femme. Il exécrait tout ce qu’elle personnifiait. Mais, Seigneur, il avait toujours l’impression de participer à une expérience de télépathie, en sa présence. Il haussa un sourcil, ce qui signifiait : Conduisez-moi au bord de l’abîme, et je vous y pousserai. Oui, je n’hésiterai pas à provoquer la dissolution du Conseil, à paralyser le gouvernement.

Les paupières mi-closes de la femme et son sourire ironique proclamaient : La manœuvre est adroite, Corain. Mais êtes-vous certain de ne pas le regretter par la suite, d’être assez fort pour pouvoir résister à un tel affrontement ?

Il rétorqua : Absolument. Voilà la ligne que je ne vous conseille pas de franchir, Emory. Si vous souhaitez qu’une crise éclate avant le vote sur les deux projets qui vous tiennent tant à cœur, vous serez servie.

Elle cilla, baissa les yeux vers la table puis le fixa à nouveau, les lèvres désormais serrées, les paupières mi-closes. La guerre, donc. Sa bouche s’incurva. Ou une négociation. Prenez garde, vous commettriez une erreur fatale en ouvrant cette brèche.

Je gagnerai, Corain. Mais il est exact que vous pourrez retarder mes projets. Et cela me fera perdre plus de temps que d’attendre l’arrivée de DeFranco.

— La question des affectations pour la Station Espoir, disait Bogdanovitch. Le premier orateur inscrit est Catherine Laoc

Emory adressa un signal à cette femme. Corain ne pouvait voir son visage, seulement sa nuque et au-dessus une couronne de tresses blondes. Son expression devait traduire de la perplexité. Emory fit un signe à un assistant et lui parla à l’oreille. Les traits de l’homme se figèrent, sa bouche se tendit en une fine ligne étroite, de la consternation se refléta dans ses yeux.

Il alla rejoindre un des aides de Lao, qui murmura quelque chose à la conseillère. Elle se tourna, et Corain put voir son profil aux sourcils froncés, son haussement d’épaules, sa poitrine qu’enflait une inspiration profonde.

— Ser président, dit-elle, je propose de reporter le débat sur la Station Espoir tant que sera DeFranco n’aura pas assumé ses fonctions. Les mesures qui en découleront concernent au plus haut point le Commerce. Avec tout le respect que je dois au distingué représentant de Lointaine, j’estime préférable d’ajourner le débat.

— J’appuie cette proposition, dit Corain.

Un murmure de surprise parcourut les rangs des assistants et des conseillers qui se penchèrent l’un vers l’autre. La bouche de Bogdanovitch resta béante. Un moment s’écoula avant qu’il ne pût réagir et utiliser son maillet afin de respecter les usages.

— Il a été proposé et appuyé que le débat sur les attributions accordées au projet Espoir soit reporté tant que sera DeFranco n’aura pas assumé ses fonctions. Des objections ?

Une question de pure forme, car Emory complimentait déjà le procurateur et le représentant de Lointaine.

Corain réclama un vote d’approbation officiel. Il aurait pu accompagner ses propos d’une plaisanterie. Les expansionnistes en échangeaient parfois avec les centristes, non sans une certaine ironie, quand les questions étaient réglées.

Mais ce n’était en l’occurrence pas le cas. Emory, toujours elle, l’avait privé de tous ses effets en lui accordant ce qu’il souhaitait avant qu’il pût exposer son point de vue. Elle continua de le fixer droit dans les yeux pendant qu’il adressait un compliment de pure courtoisie à Denzill Lal puis se rasseyait.

Vous me le paierez, disait son regard.

La proposition fut acceptée à l’unanimité. Denzill Lal avait voté par procuration pour DeFranco.

— Voilà qui clôt la question, dit Bogdanovitch. Nous avions prévu trois jours de débats. La proposition suivante porte le numéro 2405. Le budget du bureau des Sciences présenté par sera Emory. Souhaitez-vous un report du débat, sera ?

— Ser président, je suis prête à poursuivre la séance, mais je ne voudrais pas imposer cette discussion aux autres conseillers sans leur laisser le temps de préparer leur argumentation. C’est pourquoi je propose de reporter ce vote à demain, si mes distingués collègues n’y voient aucun inconvénient.

Un murmure poli. Pas d’objections. Corain approuva, lui aussi.

— Sera Emory, souhaitez-vous présenter votre proposition sous forme de motion ?

Appuyée et acceptée.

Motion d’ajournement de séance.

Appuyée et acceptée.

Le tumulte fut plus grand que de coutume, dans la salle. Corain allait se lever lorsqu’il sentit une main peser sur son épaule. Il releva les yeux sur le visage de Mahmud Chavez, qui paraissait à la fois soulagé et ennuyé.

Que s’est-il passé ? demandait son regard. Mais, à haute voix :

— J’avoue avoir été surpris.

— Mon bureau, dit Corain. Dans une demi-heure.

Ils se contentèrent d’un déjeuner improvisé composé de thé et de sandwiches apportés par leurs assistants. Ils débordaient du bureau et empiétaient sur la salle de conférences. Dans un accès de paranoïa, les militaires s’étaient fait un devoir de chercher des micros cachés dans la pièce et de fouiller les personnes présentes pour s’assurer qu’elles ne s’étaient pas munies d’enregistreurs, pendant que l’amiral Gorodin restait assis sans rien dire, maussade, les bras croisés. Il avait emboîté le pas aux autres membres du groupe centriste et ruminait désormais de sombres pensées, angoissé et silencieux, conscient qu’Emory risquait de leur adresser un ultimatum à présent qu’ils avaient retardé le vote du budget Espoir.

— Ce dont nous manquons le plus, c’est d’informations, déclara Corain.

Il prit le verre d’eau minérale qu’on lui tendait. Devant lui, les autres conseillers et la plupart de leurs assistants, s’entassaient les huit cents pages d’exposés et de chiffres constituant la demande d’attribution de budget pour les Sciences ; un listing dont certains passages avaient été surlignés. On trouvait des centristes même à l’intérieurdu bureau des Sciences et il circulait bien des rumeurs sur ces projets. Comme toujours. Chaque année, un bon nombre se rapportaient à Reseune.

— Ce maudit labo ne réclamepas de crédits pour lui-même, et la seule chose que nous ayons à notre disposition est sa déclaration fiscale. Je me demande pourquoi Emory veut faire attribuer un statut de Spécial à un chimiste de Lointaine âgé de vingt ans. Qui peut bien être ce Benjamin P.Rubin ?

Chavez tria les papiers empilés sur la table, prit celui qu’un assistant venait de glisser sous sa main et mordit sa lèvre inférieure en suivant du regard le doigt de l’aide qui désignait le bas de la feuille.

— Un étudiant, dit-il. Aucune information particulière.

— Peut-il exister un rapport entre cet homme et le projet Espoir ? N’hésitez pas à émettre des hypothèses, même si elles paraissent à première vue farfelues.

— Il se trouve à Lointaine. Sur le chemin.

— Nous pourrions le demander à Emory, fit Chavez avec amertume.

— Nous le devrions peut-être, devant l’assemblée, et prendre note de tout ce qu’elle daignera nous révéler sur son compte.

Tous le foudroyèrent du regard.

— Ce n’est pas le moment de plaisanter, déclara Gorodin.

Lu, le secrétaire de la Défense, se racla la gorge.

— Nous avons un contact digne de confiance, ou plutôt un réseau de contacts. Notre dernier candidat aux Sciencesc

— C’est un xénologue, objecta Tien.

— Mais également un ami intime du P rJordan Warrick, de Reseune. Le P rWarrick est à Novgorod. Il fait partie de l’équipe de la conseillère Emory. Il a demandé par l’entremise de Byrd a rencontrer, mmmm, certains membres du bureau des Sciencesc

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