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Le temps ralentit son cours. Ses pensées bondissaient dans toutes les directions. Il ne pouvait croire que cela pût lui être arrivé. Il ne rêvait pas. Il savait que tout était sa faute, que son père avait des ennuis à cause de luic et qu’un psychosondage révélerait tout.

Absolument tout. Jordan apprendrait ce qu’il lui avait caché. Nye s’empresserait de l’en informer.

Il souhaita mourir.

— Ari me soumettait à un chantage, déclara-t-il.

Il lui était difficile de régulariser le débit de ses paroles, tant l’écart était grand entre le monde qui tournait au ralenti et ses pensées qui tourbillonnaient à une vitesse folle. Il savait que cela continuerait à jamais, en suspension dans le silence. Dois-je parler de Jordan et préciser pourquoi Grant a dû partir ? Peuvent-ils le découvrir ? Dans quelle mesure est-il possible de leur mentir ?

— Elle m’avait promis de rendre sa liberté à Grant, si je me pliais à ses volontés.

— Étiez-vous au courant des liens qui unissent Kruger à Rocher ?

— Non !

C’était facile. Les mots se bousculaient.

— Kruger devait aider Grant à s’enfuir parce que Ari lui aurait fait du mal si jec si je nec ellec

Il allait avoir des nausées. Les flashes-bandes l’assaillaient. Il se pencha en arrière autant que le permettaient ses bras, dans l’espoir de détendre les muscles noués de son ventre.

— Quand j’ai appris que Grant n’était pas arrivé à Novgorod, je suis allé la voir. Je lui ai demandé de m’aider.

— Qu’a-t-elle répondu ?

— Elle m’a traité d’imbécile, avant de me parler de Rocher. Je ne savais rien sur cet homme.

— C’est tout ? Vous n’êtes pas allé voir votre père ?

— C’était impossible. Il ne savait rien. Il risquait dec

— Qu’aurait-il fait ?

— Je ne le pouvais pas. J’ignore quelle aurait été sa réaction. Mais je suis le seul responsable. Il n’est pour rien dans ce qui s’est passé.

— Vous vous référez au départ illégal de Grant ?

— À tout. Kruger, Rocher, le reste.

— Et Ari n’est pas intervenue ?

Cela paraissait inconcevable. Un piège,se dit-il. Elle n’a pas empêché le départ de Grant. Peut-être espérait-elle qu’il réussirait. Peut-êtrec

c peut-être existait-il une autre raison. Elle était folle de rage. Ellec

Mais comment savoir, avec Ari ? Cette femme sait feindre les sentiments avec autant d’aisance que s’il lui suffisait de pianoter sur un clavier pour les programmer.

— Je pense poursuivre cet interrogatoire sous psychosondage. À moins que vous ne désiriez me fournir quelques précisions au préalable ?

— Qui s’en chargera ?

Il y avait sondeurs et sondeurs. Il voulait connaître l’identité de celui à qui il ouvrirait son esprit.

— Giraud, si mes révélations sont enregistrées Ari ne l’appréciera pas du tout. Sait-elle où je suis ? Sait-ellec

C’est peut-être une manœuvre politique que Giraud dirige contre Ari. A-t-il ordonné mon arrestation pour pouvoir faire pression sur elle ?

— J’exige de voir Ari. Je devais aller la retrouver. Elle va se demander où je suis. Si elle n’a pas de mes nouvelles, elle vac

c se venger sur mon père, prendre des mesures de rétorsion qu’il sera peut-être impossible d’annuler ensuite. Ils vont tout lui dire. Giraud s’en chargera. L’administration cherche peut-être à nuire à Jordan, auquel cas c’est un travail d’équipe : Ari s’occupe de moi et Giraud de mon père. Ô Seigneur ! Dans quelle situation me suis-je fourré ?

— c se demander où je me trouve.

— J’en doute. Et je compte procéder à cet interrogatoire. Alors, que décidez-vous ? Vous avez le choix entre tenter de résister ou vous soumettre de bon gré à ce psychosondage. J’espère que vous comprenez que ce n’est pas en vous opposant à nous que vous rendrez votre sort plus enviable.

— J’accepte.

— Parfait.

Nye se leva. Justin se pencha en avant et se redressa, sur des jambes tremblantes. Le froid l’engourdissait et les pensées qui se bousculaient dans son esprit perdirent leur diversité et s’assemblèrent pour former une muraille circulaire où n’existait aucune issue.

Giraud lui ouvrit la porte. Il sortit, avant de suivre le couloir avec cet homme et une escorte de gardes, en direction d’une salle dont il entendait parler depuis l’enfance : une pièce parmi tant d’autres dans cette section de l’hôpital, un lieu où se rendaient les azis pour recevoir des bandes de rééducation, une cellule aux murs verts, avec un lit et une caméra installée dans un angle.

— Chemise, dit Giraud.

Il savait ce qu’on attendait de lui. Il retira le vêtement et le posa sur le comptoir puis alla s’asseoir sur le petit lit et tendit son bras à l’azi qui avait préparé l’injection. Il l’aida même à placer les électrodes sur son corps. Il effectuait toujours cette opération lui-même, les rares fois où il décidait de se passer une bande. Mais la drogue diluait déjà sa concentration. Il se laissa aller entre les mains qui se tendaient vers lui, puis il sentit qu’on soulevait ses jambes afin de l’allonger sur le divan. Il remarqua que les assistants s’affairaient à installer les biosondes et il ferma les yeux. Il lui vint à l’esprit qu’il aurait dû dire à Giraud de les faire sortir, parce que ce qu’il révélerait se rapportait à Ari et que les azis qui entendraient cela devraient ensuite être soumis à une bande sélective.

Nye lui posa des questions, avec calme et assurance. Il eut conscience des premières, pour les oublier aussitôt. Un tech aurait pu se charger de l’interrogatoire, mais Giraud était le meilleurc un professionnel qui ne laisserait pas le moindre fardeau émotionnel derrière lui. Un expert. Et il irait au fond des choses, il essayerait de découvrir la vérité.

Justin lui dit tout. La drogue l’eût empêché de mentir.

Nye ne fut pas choqué par les agissements d’Ari. Il avait vécu longtemps et vu beaucoup de choses. Il paraissait compatir et croire Justin. Un jeune homme tel que lui, au voisinage d’Aric ce n’était pas la première fois. Que cette femme eût essayé d’obtenir un moyen de pression contre son père était évident. Qui aurait pu en douter ? Jordan avait dû le deviner.

— Non, rétorqua-t-il.

Un flash illumina le plafond blanc et lui indiqua qu’il venait de remonter très près de la surface. Il se rappellerait avoir vu Giraud caresser son épaule.

Vous avez pris soin de le cacher à votre père. Que pensiez-vous qu’il ferait, s’il le découvrait ?

Qu’il s’adresserait au bureau des Sciences.

Ah !

Mais il n’en a rien su.

Dormez, maintenant. Vous serez frais et dispos, à votre éveil. Laissez-vous aller. Tout va s’arranger.

Quelque chose était anormal. Il essaya de découvrir quoi, mais cela partit à la dérive et sortit de son champ de vision.

— Je ne pense pas qu’il subsiste le moindre doute, déclara Giraud en regardant Jordan.

À quarante-six ans, cet homme était trop athlétique et fort pour qu’il courût des risques, mais ils devaient veiller à ne pas laisser de traces. Ils utilisaient donc des sangles pour l’immobiliser et ils ne procéderaient pas à un psychosondage. En tant que Spécial, Jordan Warrick faisait partie du patrimoine national. Même le bureau des Affaires Intérieures n’aurait pu lui nuire, dans tous les sens du terme.

Qu’un Spécial fût accusé du meurtre d’un autre Spécial était sans précédent. Mais même si cet individu avait massacré une douzaine d’enfants en bas âge sur la Grand-Place de Novgorod ils n’auraient pu le contraindre à révéler ses raisons, le soumettre à un sondage, ou utiliser sur lui une des bandes rééducatives destinées aux simples vandales.

Jordan le foudroyait du regard depuis le fauteuil dans lequel les gardes l’avaient attaché.

— Vous savez bien que je ne l’ai pas tuée.

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