— On dirait qu’elle a glissé sur du verglas, déclara l’enquêteur.
Et il utilisa sa caméra pour filmer la scène, faisant ainsi subir à Ari une indignité posthume. Elle en eût été outrée, pensa Giraud. Il regardait le cadavre, incapable d’admettre qu’Ari n’allait pas bouger, que ses membres raides, ses yeux vitreux et sa bouche entrouverte ne reviendraient pas à la vie. Elle portait un sweater. Comme tous les chercheurs qui devaient travailler dans la vieille chambre froide elle choisissait toujours des tenues ne risquant pas d’entraver ses mouvements. Mais même un vêtement plus chaud n’aurait pu la sauver.
— La glace n’avait pas encore pu se former, marmonna Petros. Impossible.
— Elle s’enfermait, pour travailler ?
L’enquêteur de Moreyville, la seule agglomération où résidait un représentant de la loi dans un rayon de mille cinq cents kilomètres, posa la main sur la porte de la salle souterraine. Il ne fit que l’effleurer, mais ce fut suffisant pour déplacer le battant.
— Merde.
Il le retint, trouva un point d’équilibre et le lâcha, avec méfiance.
— Il y a un interphone, fit remarquer Petros. En fait, cette porte s’est refermée sur tout le monde, ici. Nous sommes tous au courant. Le faux aplomb est dû au tassement de l’immeuble. Celui qui est coincé à l’intérieur appelle la sécurité, ou le bureau de Strassen, et quelqu’un descend aussitôt le délivrerc un détail sans importance.
— Il en a eu, cette fois.
Le policier – il s’appelait Stem – leva la main et pressa la touche de l’interphone. Le plastique se brisa sous son doigt, comme une pellicule de glace.
— Le froid. Je veux cette pièce à conviction, dit-il à son assistant qui le suivait en tenant un scripteur. Quelqu’un m’entend ?
Aucun son ne s’éleva de l’appareil.
— En panne.
— C’est peut-être un effet de la basse température, fit remarquer Giraud. Mais il n’y a eu aucun appel.
— C’est donc cette baisse de pression brutale qui vous a permis de comprendre que quelque chose clochait.
— Dans la cuve d’azote. Les techs se sont doutés de ce qui se passait et j’en ai été informé une minute plus tard.
— Il n’y a donc pas de système d’alarme ?
— Si, et il s’est déclenché, répondit Giraud qui désignait le module mural. Mais il n’y avait personne dans les parages et compte tenu des phénomènes acoustiques il était impossible de déterminer son point d’origine. C’est l’appel des techs qui nous a fait penser à une conduite d’azote. Et à la chambre froide. Nous sommes venus ici au pas de course.
— Hmmm. Et l’azi de sera Emory s’était absenté juste après l’arrivée de Jordan Warrick, qui avait regagné le niveau supérieur quand l’alarme s’est déclenchée. Je veux un rapport sur cet interphone.
— Nous pouvons nous en charger, proposa Giraud.
— Je préfère confier l’expertise à mes services.
— Nous vous avons fait venir pour la forme, capitaine. Vous vous trouvez hors de votre juridiction.
Stem le fixac un individu corpulent et peu démonstratif, aux yeux pétillants d’intelligence. Il possédait un esprit assez vif pour comprendre que Reseune voulait garder ses secrets.
Et que compte tenu des rapports qui existaient entre la direction de ces laboratoires et les hauts responsables des Affaires Intérieures la décision qu’il prendrait lui vaudrait une promotion ou de sérieux ennuis.
— Je souhaiterais interroger ce Warrick, déclara-t-il.
Il indiquait ainsi qu’il acceptait d’interrompre ses recherches sur les lieux du crime. Giraud fut tout d’abord tenté de le suivre, pour couvrir tout ce qui devait rester confidentiel. Puis il fut pris de panique. Il prenait conscience de la calamité qui venait de s’abattre sur Reseune et de mettre en péril la totalité des projets en cours : le fait qu’un cerveau si fertile et détenteur de tant de secretsc n’était plus qu’un bloc de glace. Gelé ainsi, le corps ne pouvait être transporté avec la moindre dignité. Même cette simple nécessité leur posait un problème.
Et Corainc Les médias l’apprendront avant l’aube.
Que faut-il faire, bon sang ? Que faut-il faire ?
Que faut-il faire, Ari ?
Florian attendait, assis sur un banc de la salle d’attente, dans l’aile ouest de l’hôpital. Ses coudes reposaient sur ses genoux, sa tête entre ses paumes, et il pleurait faute de pouvoir agir. Les policiers ne l’avaient pas autorisé à s’approcher d’Ari, hormis pour lui permettre d’obtenir la confirmation que ce qu’on lui avait dit était exact. Elle avait cessé de vivre, et son univers serait désormais différent. Les ordres venaient de Giraud Nye : il devait se présenter dans ce service pour recevoir le réconfort que pouvait apporter une bande.
Il comprenait le bien-fondé de cette décision. S’adresser à son superviseur en cas de problème était une règle qu’il respectait depuis sa plus tendre enfance ; et il existait des bandes pouvant effacer l’affliction, les doutesc elles permettaient de comprendre le monde, ses lois et ses règles.
Mais au matin Ari ne serait pas revenue à la vie et il doutait que de simples bandes pussent lui permettre de s’y résigner.
Si les policiers n’avaient pas arrêté Jordan Warrick, il serait allé tuer cet homme. Il le ferait, si l’opportunité s’en présentait. Mais il devait pour l’instant suivre les consignes écrites sur ce bout de papier, cette invitation à trouver le réconfort offert aux azis. Et il ne s’était jamais senti aussi seul et impuissant. Toutes les instructions reçues étaient désormais caduques, ses obligations venaient dec disparaître.
Quelqu’un suivit le couloir et entra, sans faire de bruit. Il releva les yeux sur Catlin, qui paraissait bien moins tendue que luic toujours calme, quelles que soient les circonstances, même à présentc
Il se leva et la prit dans ses bras pour l’étreindre, la tenir contre lui comme au cours de toutes ces nuits où ils avaient dormi ensemble, pendant tant d’années qu’il en avait perdu le compte, dans les bons et les mauvais moments.
Il baissa la tête, pour la laisser reposer sur l’épaule de l’azie. Catlin le serra contre elle ; un réconfort au sein de ce néant.
— Je l’ai vue, dit-il.
Un souvenir insoutenable.
— Que devons-nous faire, Cat ?
— Nous sommes ici. Nous n’avons nulle part ailleurs où nous rendre.
— Je veux recevoir une bande. Je n’en peux plus, Cat. Il faut que ça s’arrête.
Elle prit son visage entre ses mains et le regarda droit dans les yeux. Ceux de Catlin étaient bleu clair, elle seule en possédait de pareils. Elle n’avait pas perdu son calme. Pendant un instant il fut effrayé par son expression, sa tristesse qui paraissait indiquer qu’il n’existait plus pour eux aucun espoir.
— Ça va finir, dit-elle. Ça va finir, Florian. Bientôt. Tu m’attendais ? Entrons. Allons dormir, d’accord ? Sous peu, nous ne souffrirons plus.
Justin entendit des pas, mais les allées et venues étaient nombreuses et il avait tant crié qu’il souffrait d’une extinction de voix. Recroquevillé en position fœtale contre le mur de béton, il entendit déverrouiller la porte.
Il voulut se lever et se redressa en prenant appui contre la paroi. Il recouvra son équilibre à l’instant où deux gardes venaient le chercher.
Il ne résista pas. Il ne dit pas un mot jusqu’au moment où il fut dans une pièce où ne se trouvait qu’un bureau.
Derrière lequel Giraud Nye était assis.
— Giraud, fit-il d’une voix rauque, avant de se laisser choir dans un fauteuil, pour l’amour de Dieuc qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui leur a pris ?
— Un crime a été commis et vous êtes accusé de complicité, voilà ce qui se passe. Conformément aux lois de Reseune, vous avez la possibilité de faire une déposition de votre plein gré. Vous savez que vous êtes soumis aux règlements administratifs et que nous pouvons réclamer un psychosondage. Je vous conseille donc de ne rien nous cacher.