Литмир - Электронная Библиотека
A
A

c établies par cette femme.

— Je trouverai quelque chose, affirma-t-il à Grant. Il doit exister un moyen de nous tirer de ce mauvais pas.

Tout finira par s’arranger.

Et il laissa l’azi regagner sa chambre pour faire ses bagages, pendant qu’il restait seul dans la salle de séjour et que l’angoisse glaçait tout son être. Il envisagea de contacter Jordan, pour lui demander conseil et savoir s’il ne pouvaitrien tenter de légal.

Mais il était probable que son père irait alors voir Ari pour négocier la liberté de Grant. Et cette femme pourrait utiliser d’autres atouts, comme les enregistrements de leurs tête-à-tête dans son bureauc

c Ô Seigneur ! Jordan porterait l’affaire devant le bureau des Sciences et déclencherait un conflit qui rendrait tous les accords caducs et lui ferait perdre tout ce qu’il avait si difficilement acquis.

Il aurait pu interroger les ordinateurs de la Maison sur les dispositions légales qui s’appliquaient à ce casc mais il n’osait utiliser un terminal : chaque consultation était enregistrée. Tout laissait des traces. En cas d’affrontement au grand jour, Reseune ne pourrait que gagner. Et si Justin ignorait quelle était l’influence d’Ari au sein des milieux politiques, il la savait capable de faire ouvrir de nouvelles routes à l’exploration de la galaxie, de soudoyer des sociétés importantes sur de lointaines stations stellaires et de modifier la nature des échanges commerciaux avec Vieille Terre ; et encore n’était-ce que la partie visible de l’iceberg.

Au-delà de la voûte une porte claqua et il vit Grant empiler ses vêtements sur le lit.

Il sut alors où devait se rendre l’azic là où ils avaient rêvé d’aller pendant l’enfance, lorsqu’ils s’asseyaient sur la berge de la Novaya Volga pour lancer des bateaux faits avec de vieilles boîtes de conserve en direction de Novgorod, afin d’étonner les citadins. Et plus tard, un certain soir où ils avaient parlé du transfert de Jordan et de l’attente du jour où ils pourraient à leur tour quitter Reseune.

La pire des hypothèses venait de se réaliser, pensa-t-il. Ils devaient saisir l’unique opportunité de fuite qui s’offrait à eux, quitte à improviser.

Il gagna la chambre de Grant, l’index collé à ses lèvres pour lui imposer le silence. La sécurité les surveillait, Jordan le leur avait appris. Il prit le bras de l’azi, le guida vers la salle de séjour et la porte, sortit son manteau du placard du vestibulec il n’avait pas le choix : il gelait à pierre fendre, dehors. Il tendit un autre vêtement à Grant puis l’entraîna dans le couloir.

Où ?demandait le regard apeuré de l’azi. Tu vas faire une bêtise.

Justin le conduisit vers l’extrémité du couloir et les ascenseurs.

Il pressa la touche TT et la cabine s’enfonça. Mon Dieu, pourvu qu’elle ne s’arrête pas au niveau principalc

— Justinc

Il repoussa Grant contre la paroi et l’immobilisa, bien qu’il fût plus grand que lui d’une tête.

— Silence, ordonna-t-il. C’est un ordre. Pas un mot. Rien. C’est compris ?

Il ne lui était encore jamais arrivé de s’adresser à son ami sur un ton aussi autoritaire. Il en tremblait. L’azi serra les dents et hocha la tête, terrifié, alors que la porte de l’ascenseur s’ouvrait sur les boyaux de béton des tunnels-tempête. Il tira Grant hors de la cabine et le poussa à nouveau contre le mur. Avec moins de brutalité, cette fois.

— À présent, tu vas bien m’écouter. Nous quittons Reseunec

— Jec

— Écoute-moi bien. Ne laisse pas ton visage traduire tes émotions. Ne pense à rien. Vide ton esprit, et reste ainsi. C’est un ordre ! S’il existe un moment dans ta vie où tu dois faire ce que je te disc c’est à présent. Tu m’entends ?

Grant inspira à fond. Il recommença, et finit par se détendre.

Plus de panique. Plus rien.

— Parfait, approuva Justin. Enfile ton manteau et en route.

Ils empruntèrent un autre ascenseur pour gagner la section administrative puis ils se rendirent dans les vieilles cuisines où les azis de l’équipe de nuit lavaient la vaisselle du dîner avant de préparer les petits déjeuners. C’était une voie d’évasion que tous les enfants de la Maison avaient empruntée un jour ou l’autre ; par ces lieux où la climatisation ne pouvait compenser la chaleur des fours et où des générations de cuisiniers avaient calé la porte coupe-feu à l’aide d’une poubelle pour laisser entrer un peu d’air frais. Les azis ne signalaient pas de telles sorties, hormis si on les interrogeait, et l’administration n’avait jamais pris de mesures pour mettre un terme à cette pratiquec Les jeunes CIT et autres garnements qui faisaient l’école buissonnière étaient ainsi contraints de passer devant des témoins qui pourraient, en l’occurrence, s’empresser de confirmer qu’ils avaient vu Justin Warrick et son azi sortir par cette portec

c mais du temps s’écoulerait avant le début des recherches.

Chut, mima-t-il aux cuisiniers qui leur adressaient des regards intrigués et méfiantsc justifiés par l’heure tardive et le fait que ces fugueurs étaient plus âgés que ceux qui traversaient habituellement leur domaine.

Au-delà de la poubelle, vers le bas des marches, dans des ténèbres glacées.

Grant le rattrapa près de la station de pompage, le premier abri avant la pente qui descendait jusqu’à la route.

— On va au pied de la colline, dit alors Justin. Pour prendre le bateau.

— Et Jordan ?

— Il ne risque rien. Viens.

Il repartit en courant vers la chaussée, avec Grant sur les talons. Ce fut ensuite d’un pas plus paisible qu’ils suivirent les rues du secteur des entrepôts et des ateliers de réparations, puis de la Ville elle-même. Les veilleurs de nuit effectuaient des rondes sur le périmètre de Reseune afin d’inspecter le grillage et enregistrer les informations météorologiques. Ils ne s’occuperaient pas de deux jeunes membres de la Famille partis se promener sur la route de l’aéroport. La boulangerie et les moulins fonctionnaient à plein rendement toute la nuit, mais ils se trouvaient de l’autre côté de l’agglomération ; de simples lumières lointaines, alors qu’ils laissaient derrière eux les derniers baraquements.

— Jordan va-t-il contacter Merild ? demanda Grant.

— Aie confiance, je sais ce que je fais.

— Justinc

— La ferme, Grant. Tu m’entends ?

Ils atteignirent l’aéroport. Les projecteurs du terrain d’atterrissage étaient loin sur la droite, mais les éclairs stroboscopiques de la balise illuminaient les ténèbres d’un monde désert à intervalles réguliers. Au loin, les entrepôts du fret et le grand hangar de la RESEUNAIR étaient brillamment éclairés ; on y effectuait des travaux de maintenance sur un des appareils commerciaux.

— Justinc le sait-il ?

— Il se tirera d’affaire, crois-moi. Viens.

Justin se remit à courir. Il ne laisserait plus à Grant le loisir de pouvoir l’interroger. Il suivit la route qui longeait l’extrémité de la piste d’atterrissage, passa le long du quai des barges puis franchit un pont de béton pour atteindre des entrepôts accroupis sur la rive du fleuve.

Personne ne verrouillait les portes de la remise. C’eût été inutile. Il poussa le battant de l’abri préfabriqué et tressaillit en entendant crisser les gonds. Il s’avança à l’intérieur, sur un caillebotis métallique qui grinçait sous son poids. L’eau clapotait et venait lécher les piliers et les défenses. La clarté des étoiles se reflétait autour des embarcations amarrées en ce lieu où régnait une odeur d’eau croupie et de pétrole. L’air était glacé.

— Justin, pour l’amour de Dieuc

— Tout va bien. Tu vas partir, comme nous l’avions projetéc

—  Jec

— Je ne pars pas. Toi si.

— Tu as perdu la tête !

Justin grimpa à bord du bateau le plus proche, ouvrit la porte pressurisée de la cabine et ne laissa à Grant d’autre choix que de le suivre à bord, avec ses objections.

20
{"b":"200936","o":1}