Contrairement aux autres parties de Poursuite Stellaire, celle-ci était interminable. Quand Ari eut assez d’argent pour acheter une flottille de vaisseaux, elle tint Catlin à distance et entreprit de harceler Florian.
Il lui demanda alors s’il pouvait s’associer à Catlin.
C’était la première fois que quelqu’un pensait à cette possibilité et elle fut impressionnée par sa vivacité d’esprit. Elle prit la règle du jeu et feuilleta la brochure.
— Il n’est précisé nulle part que c’est interdit, déclara-t-elle.
Ses épaules se voûtaient et tout son corps s’ankylosait. Il y avait longtemps qu’elle était assise.
— On va emporter le jeu dans ma chambre, pour que Seely ne puisse pas y toucher, d’accord ?
— Oui, sera.
Leur comportement lui rappelait sans cesse qu’ils n’étaient pas des enfants comme les autres.
Florian emporta le plateau, sans faire tomber une seule pièce. Elle estima alors qu’ils pourraient aller déjeuner dans la galerie nord. Oncle Denys l’autorisait à se rendre dans un petit restaurant dont le propriétaire et tous les serveurs la connaissaient.
Elle les emmena donc au Relais,un établissement situé à un angle de la galerie marchande, près des boutiques. Elle procéda aux présentations puis leur dit de s’asseoir. Elle tendit le menu à Florian, qui le parcourut des yeux un long moment avant de lui murmurer, l’air embarrassé :
— Que dois-je en faire, sera ?
— Choisir ce que tu as envie de manger.
— J’ignore la signification de ces mots. Comme Catlin, sans doute.
L’azie secoua la tête, avec gêne.
Elle leur demanda ce qu’ils aimaient et ils répondirent qu’ils prenaient presque toujours des sandwiches, à midi. Elle en commanda, pour eux et pour elle.
Ils étaient très tendus et ne cessaient de surveiller tout ce qui bougeait. Un serveur laissa tomber un plateau et ils tournèrent aussitôt la tête vers le point d’origine du bruit, comme s’il s’était produit une explosion.
— Vous n’avez pas à vous inquiéter, dit-elle.
Leur nervosité la contaminait. À les voir, on aurait pu croire qu’une catastrophe était imminente.
— Détendez-vous. C’est un membre du personnel.
Ils l’étudièrent avec calme, puis reprirent leur surveillance.
Aussi posés et graves que pendant la partie de Poursuite Stellaire.
Le serveur leur apporta à boire et s’ils le regardèrent des pieds à la tête les mouvements de leurs yeux furent presque imperceptibles.
Aucun point commun avec Nelly.
Oncle Denys disait toujours qu’on ne courait aucun danger dans les couloirs et il lui donnait deux azis persuadés que même un simple serveur risquait de les agresser !
— Écoutez-moi, dit-elle.
Et ils se tournèrent vers elle, attentifs, pour l’écouter comme seuls des azis en étaient capables.
— Vous pouvez vous détendre. On ne risque pas d’être attaqués, ici. Je connais tous ces gens.
Leur nervosité se dissipa aussitôt. Comme par magie. Comme si elle les avait psychés. Elle libéra un petit soupir et se sentit très fière du résultat obtenu. Ils burent et quand le serveur leur apporta les sandwiches, Catlin et Florian parurent impressionnés par leur garniture.
Ils semblaient les trouver appétissants, mais Florian prit un air ennuyé pour lui dire :
— Je ne pourrai jamais manger tout ça. Je regrette.
— C’est sans importance. Cesse de te faire du mauvais sang pour tout. D’accord ?
— Oui, sera.
Elle les étudia et chercha un moyen de les dérider un peu. Puis elle se souvint que les azis étaient façonnés par leur psychset et qu’il s’avérait presque impossible de modifier leur comportement.
Mais ils n’étaient pas stupides. Pas du tout. Ils étaient des Alpha, comme Ollie, et il en découlait qu’ils possédaient des capacités d’adaptation sans commune mesure avec celles de Nelly. Au cours de la partie de Poursuite Stellaire, par exemple, elle ne les avait pas ménagés mais ils ne s’étaient pas départis de leur calme.
La tâche s’annonçait difficile, mais pas irréalisable.
Ils lui avaient été confiés et on ne pouvait prendre des azis pour les abandonner ensuite. Jamais. Oncle Denys disait vrai. On ne recevait pas des êtres humains en cadeau. Vivre avec des gens créait des liens et il devenait ensuite impossible de les laisser derrière soi.
(Maman l’avait pourtant fait. Elle se sentit malheureuse, comme toujours lorsque cette pensée remontait à la surface de son esprit. Mais si c’était un abandon il ne pouvait être volontaire. Elle avait été tourmentée et bouleversée, avant son départ.)
Elle décida de lui écrire pour lui parler de Florian et de Catlin, et lui dire d’informer oncle Denys qu’il devrait les autoriser à l’accompagner quand elle irait la rejoindre. Parce qu’elle ne pourrait pas les laisser. Elle savait ce qu’on ressentait, en pareil cas.
Elle regrettait de ne pas avoir pu les choisir, car elle eût préféré un Ollie, en un seul exemplairec pas deux. Elle aurait pu dire non. Elle aurait dû refuser le cadeau d’oncle Denys. Elle avait cru pouvoir s’en accommoder. Comme de tout le reste.
Mais elle s’était rendue dans cette pièce de l’hôpital et ils lui avaient adressé cet étrange regard. Ils l’avaient psychée sans le faire exprès. Ils voulaient tant partir avec Ari, qui souffrait elle aussi de la solitude.
Ils se retrouvaient à présent liés. Elle ne pourrait pas les laisser livrés à leur sort.
Jamais.
Audiotexte extrait de :
Une question d’union
Série civique n‹3
Publications éducatives de Reseune :
9799-8734-3 approuvé pour 80 +
L’Union, telle quelle fut définie par la Constitution de 2301 puis étendue par l’adjonction et l’intégration de stations et de mondes, eut dès sa fondation une structure de type fédéraliste à même de garantir une autonomie maximale à chacun de ses composants. Pour pouvoir comprendre ce qu’est l’Union, il convient de se familiariser au préalable avec la mise en place des gouvernements locaux qui peuvent relever de n’importe quel système politique, dès l’instant où ce dernier a été démocratiquement approuvé par la majorité des résidents ayant l’âge requis. N.-B. : résidents et non-citoyens. Les seuls éléments de la population qui ne disposent pas de la qualité d’électeurs lors d’un Scrutin de Choix initial sont en effet les mineurs et les azis, même si ces derniers peuvent se voir accorder ensuite un tel statut pour des consultations ultérieures.
C’est le Scrutin de Choix initial qui légitimise le régime politique et l’habilite à se faire représenter au sein de l’Union. Lors de ce vote sont élus les membres d’une Assemblée Constituante, chargée de valider un régime politique déjà en place si telle est la volonté exprimée par la majorité des votants, ou de proposer une nouvelle structure qui devra alors être soumise à la ratification de l’Électorat initial. Après cette consultation référendaire, l’Assemblée Constituante recense les votants légaux – c.-à.-d. tout individu qui remplit les conditions d’âge et de statut nécessaires pour pouvoir se faire représenter au sein du Conseil des Neuf et du Conseil Général de l’Union – et leur attribue un matricule de citoyen. La troisième et dernière tâche de cette Assemblée consiste à retransmettre les résultats du recensement et la liste des votants au bureau des Citoyens de l’Union.
Une fois ces formalités accomplies, la majorité simple des voix de l’électorat sera suffisante pour qu’aient lieu d’autres Scrutins de Choix. Cette décision pourra également être imposée par une ordonnance de la Cour Suprême, au terme d’une procédure en bonne et due forme. Dans le cadre d’un nouveau scrutin local, tous les résidents – originaires de l’État, émigrés ou immigrés – sont éligibles, y compris les azis qui ont obtenu un statut de citoyen.