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Chaque année, le Conseil Général tentait d’obtenir une réduction des subventions accordées aux Sciences. Chaque année les abolitionnistes et d’autres fanatiques déposaient une proposition de loi visant à rendre illégales les créations d’azis et les expérimentations sur les êtres humains, et chaque année le Conseil des Mondes faisait preuve de bon sens en rejetant de telles motions. Mais ces factions hostiles existaient et les centristes pourraient s’en servir pour faire pression contre le projet Espoir. Et si les marginaux et les centristes réussissaientà s’entendre sur une cause, ils approcheraient de la majorité et représenteraient un danger pour le courant expansionniste.

Elle était inquiète. Elle nourrissait des craintes depuis que ses informateurs lui avaient appris que les centristes parlaient de se retirer. L’absence de toute intervention de la part de Corain la tracassait.

Et si une telle hâte n’avait pas été inconvenante, elle eût volontiers pressé le président de présenter cette loi de finances avant midi. Les obstacles s’effondraient trop vite, tout se déroulait trop bien, elle avait trop de raisons de s’estimer satisfaite. Ce qui s’était annoncé comme une session interminable s’achèverait en un temps record et, après avoir fait acte de présence pendant trois jours, les Neuf pourraient retourner vaquer à leurs autres occupations jusqu’au prochain semestre.

Ce système avait pour but d’accélérer les décisions de l’exécutif : les Neuf se prononçaient sur l’ensemble des mesures concernant leurs portefeuilles puis laissaient à leurs assistants, aux représentants élus du Conseil des Mondes et aux diverses commissions et assemblées le soin d’expédier les travaux de routine et de régler les détails administratifs.

En fait, les conseillers étaient des professionnels confirmés et efficaces. Ils se réunissaient, faisaient rapidement leur besogne et repartaient exercer leurs autres fonctionsc mais certains continuaient de fournir des directives à leurs bureaux, ce qui leur conférait un pouvoir que les auteurs de la constitution n’avaient pas prévu ; pas plus qu’ils n’avaient deviné ce qu’accomplirait Reseune pendant la guerre, la modification profonde de la composition de la population, la scission de Pell tant avec Sol qu’avec l’Union, et ce qui en avait résulté.

Le bureau de l’État aurait dû être dirigé par des diplomates, mais l’immensité de l’espace habité contraignait ces derniers à fonder leurs décisions sur des rapports fournis par la Défense.

La possibilité de découvrir des formes de vie extraterrestres évoluées ailleurs que dans le système de Pell avait incité le bureau des Sciences à assumer des fonctions diplomatiques et à former des spécialistes des contacts.

Le bureau des Citoyens disposait désormais d’un électorat d’une importance disproportionnée qui avait élu un homme capable et redoutable, un individu qui savait flairer les pièges qu’on lui tendait.

Corain devait ignorer que DeFranco était à la solde d’Emory. Cela expliquait peut-être sa décision de risquer son avenir politique en quittant le Conseil en cours de séance. Il ne pouvait espérer gagner à sa cause la boucle commerciale pan-parisienne placée sous la coupe de Lao. Il ne pourrait rien faire, hormis coûter de l’argent au gouvernement, ce qui dresserait contre lui d’autres intérêts. Qu’il s’opposât au vote du budget des Sciences paraissait improbable.

Certainement.

— D rEmory.

Bien qu’entourée par ses assistants et ses gardes du corps, elle sentit un contact sur son bras. Catlin se porta aussitôt à son côté, sur la défensive et surprise, car l’individu qui venait de l’aborder ne faisait pas partie de sa suite. C’était l’amiral Gorodin, qui avait trompé la vigilance de ses protecteurs.

— J’aurais deux mots à vous dire.

— Mon emploi du temps est très chargé.

Elle n’avait pas le moindre désir de s’entretenir avec ce militaire qui lui contestait l’attribution de dix vaisseaux pour le projet Espoir etfaisait cause commune avec la clique de Corain, alors que ses services se livraient à un gaspillage éhonté des deniers de l’État. Elle disposait de contacts au sein du bureau de la Défense, et les utilisait : une bonne partie des membres des renseignements et des services spéciaux étaient à ses côtés et elle savait que dans le cadre d’une nouvelle élection les militaires ne renouvelleraient sans doute pas le mandat de Gorodin et de Lu. Corain devrait y réfléchir, s’il voulait la guerre.

— Je vous accompagne, déclara Gorodin.

Il refusait de se laisser chasser et ses assistants se mêlaient à ceux d’Emory.

— Un instant, ser, dit Catlin.

Florian s’était rapproché. Ils n’avaient pas d’armes, contrairement aux militaires, mais ils étaient des aziset obéissaient en conséquence à Ariane et non à la logique.

— Tout va bien, dit-elle.

Elle leva la main, pour confirmer qu’elle ne tenait pas de tels propos sous la contrainte.

— J’ai appris de source sûre que vous disposiez de voix pour faire approuver le projet Espoir, lui déclara Gorodin.

Malédiction.Elle sentit son cœur s’emballer. Mais à haute voix, avec un calme inébranlable :

— Eh bien, il est possible que vos informateurs aient vu juste. Mais sachez que je ne considère jamais rien comme acquis d’avance.

— Corain s’en inquiète. Il va perdre la face.

Où diable veut-il en venir ?

— Mais vous savez que nous pourrions retarder la décision.

— C’est probable. Mais ce serait sans objet si vos informateurs ont dit vrai.

— Nous disposons d’un contact dans l’équipe de DeFranco, docteur Emory. Je sais de quoi je parle. Nous avons aussi des sympathisants au sein de la compagnie Andrus et des Industries Hayes. Un sacré portefeuille d’actions. Vont-ils obtenir ce contrat de construction spatiale ?

Mon Dieu.

Un des sourcils du militaire s’incurva.

— Vous savez que Hayes travaille également pour la Défense.

— J’ignore quelles sont vos intentions, mais il n’est pas dans mes habitudes d’avoir des discussions d’ordre financier à la veille d’un vote. Et si vous avez sur vous un enregistreur, sachez que je ne l’apprécierais pas du tout.

— Ma réaction serait la même, sera. Mais je ne parle pas de ce genre de transactions. J’ai chargé mes services de se renseigner auprès des contacts que nous avons chez Hayes, et nous savons parfaitement que la construction de ces installations ne dépend que de l’approbation du projet Rubin. Mon équipe a consacré toute la nuit à éplucher la charte de Reseune et un jeune assistant plein d’avenir a exhumé un article oublié qui accorde aux laboratoires le privilège de rattacher leurs annexes à leur Territoire administratif. Il en découle que les installations de Lointaine ne seront pasplacées sous la juridiction de cette station, mais sous la vôtre. Ce sera une enclave indépendante au sein de l’Union, en rapport étroit avec Rubin.

Malédiction ! Il n’a pas pu le découvrir tout seul, mais il le sait. Quelqu’un a parlé, et il ne cesse de se référer à Hayes et à Andrus. Voilà où il voudrait que je cherche les responsables de cette fuite.

— Vos informations paraissent très complètes, marmonna-t-elle.

Ils avaient atteint l’intersection du balcon et du couloir qui donnait sur les bureaux du Conseil, où elle voulait aller. Elle s’immobilisa puis se tourna vers l’amiral.

— Continuez.

— Nous estimons que les autorités militaires ont leur mot à dire dans cette affaire. Une telle installation à Lointaine posera des problèmes de sécurité nationale.

Pendant un instant tout s’arrêta. Elle s’était apprêtée à subir une attaque, mais pas d’une direction aussi inattendue. C’était absurde. Et logique, compte tenu de la situation politique.

— Ce n’est pas un centre de recherche, amiral.

— De quois’agit-il, en ce cas ?

— D’un simple lieu où Rubin pourra travailler en paix. Son labo, en quelque sorte.

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