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En bas de l'escalier, elle se trouva devant une porte métallique surmontée de la lampe verte indiquant les issues de secours. Elle actionna le mécanisme, entrebâilla la porte et regarda à l'extérieur. Une voiture de police était parquée à une vingtaine de mètres de là, mais elle était vide, et elle puisa en elle le courage d'oser sortir dans la rue. Elle regarda autour d'elle et comprit qu'elle se trouvait sur l'arrière du Grand Hôtel. Dans Stallgatan, la circulation était arrêtée et, sans avoir l'air trop stressée, elle put se faufiler entre les voitures et traverser Blasieholmtorg. Parvenue à Arsenalgatan, elle prit à droite, passa devant le restaurant Berns et gagna Hamngatan. Apparemment, elle n'était pas suivie, mais, pour plus de sûreté, elle traversa Norrmalmstorg et enfila Biblioteksgatan. Là, elle réduisit l'allure et, en passant devant le salon de thé, elle décida d'y entrer et de rassembler ses idées.

Elle prit place à une table située aussi loin de la vitrine que possible et s'efforça de se calmer.

Jamais sans doute elle ne l'avait autant échappé belle, depuis qu'elle avait commencé à s'offrir ces nuits gratuites. Le Grand Hôtel était donc à rayer de ses tablettes pour un bon moment. Ce qu'elle n'arrivait pas à comprendre, c'était comment Grundberg s'était aperçu de la supercherie. Peut-être un membre du personnel l'avait-il reconnue et avait-il informé sa victime par téléphone? Mais pourquoi l'avoir laissée passer la nuit tranquille, alors? Elle ne parviendrait jamais à comprendre et cela valait aussi bien, après tout.

Elle regarda autour d'elle.

Plusieurs personnes prenaient leur petit déjeuner et elle regretta de ne pas avoir d'argent sur elle.

C'est alors qu'elle ressentit une douleur à la gorge. Elle se demanda si elle n'avait pas un peu de fièvre, aussi, et se tâta le front. Difficile à dire.

Elle chercha la date du jour sur sa montre, mais celle-ci s'était à nouveau arrêtée. Il est vrai qu'elle la portait depuis sa communion, dix-sept ans auparavant. Un cadeau de papa et maman, avec leurs souhaits de bonheur et de réussite.

Tiens.

Mais, après tout, elle était relativement heureuse, maintenant qu'elle avait décidé de tenter de faire quelque chose de sa chienne de vie et commençait à croire qu'elle allait y arriver. En tout cas, elle était beaucoup plus heureuse que lorsqu'elle était la fille bien élevée d'un directeur de société. Elle avait d'abord cessé d'être bien élevée, même si elle n'avait pas vraiment compris comment cela s'était passé. Lorsque ses autres défauts étaient apparus au grand jour, au foyer, la patience avait atteint ses limites et elle avait dû cesser d'être fille de directeur de société, également.

Mais chaque mois, tous les ans, une enveloppe blanche sans mention d'expéditeur atterrissait dans une boîte postale de Drottninggatan. Et, chaque mois, elle contenait exactement mille cinq cents couronnes.

Jamais un mot ou une demande de nouvelles. Sa mère s'achetait ainsi une bonne conscience, comme avec les enfants du Biafra.

Quant à son père, sans doute ignorait-il tout de ces versements.

À déduire, le montant de la location de la boîte postale: 62 couronnes. Par mois.

Une jeune serveuse portant un anneau dans le nez vint lui demander ce qu'elle désirait. Elle aurait aimé commander quelque chose, si elle avait eu de l'argent. Elle se contenta de secouer la tête, de se lever, de sortir dans Biblioteksgatan et de prendre la direction de la gare centrale. Il fallait qu'elle change de vêtements.

Elle était au milieu de Norrmalmstorg lorsqu'elle vit l'affichette jaune à gros caractères noirs. Mais elle dut la relire trois fois avant de comprendre vraiment ce qui était marqué dessus:

Dernière minute:

Crime bestial, cette nuit, au Grand Hôtel

TT (Agence de presse, équivalent de l'AFP (N.d.T.)), Stockholm

Tard hier soir, un homme a été assassiné dans sa chambre, au Grand Hôtel. L'homme, qui venait d'une ville du centre du pays, était en voyage d'affaires et logeait dans l'établissement depuis deux nuits. D'après le personnel, il devait quitter Stockholm dans le courant de la journée de vendredi. La police garde le silence sur les circonstances de ce meurtre, révélant seulement que le cadavre a été trouvé, peu après minuit, par un membre du personnel. Un pensionnaire avait alors attiré son attention sur des taches de sang devant la porte. D'après la police, le corps porte des traces de profanation.

La police ne dispose pas encore de piste mais elle espère que les diverses investigations menées auprès du personnel et des pensionnaires de l'hôtel permettront de faire la lumière sur cette affaire. À l'heure où nous mettons sous presse, les constatations sur place ne sont pas encore terminées et le Grand Hôtel est toujours, pour l'instant, interdit au public. Au cours de la matinée, le corps sera transféré à l'institut médico-légal de Solna pour autopsie. On s'attend à ce que l'audition du personnel et des éventuels témoins prenne toute la journée. Ce n'est qu'ensuite que l'hôtel pourra redevenir accessible au public.

C'était tout.

Une photo pleine page montrait le Grand Hôtel et le reste de l'article évoquait d'autres cas de meurtres suivis du dépeçage du cadavre ayant été commis en dehors de la Suède ces dix dernières années, le tout soigneusement illustré au moyen d'images des victimes, avec leur nom et leur âge.

C'était donc pour cela qu'on était venu frapper à sa porte. Elle fut plus que reconnaissante d'avoir réussi à filer. Sinon, comment aurait-elle pu expliquer sa présence dans l'un des hôtels les plus coûteux de Stockholm? Alors qu'elle n'avait pas de quoi se payer une tasse de café dans un salon de thé. Comment pourrait-elle leur faire admettre qu'à intervalles réguliers elle s'offrait une nuit dans un vrai lit? Toujours aux dépens de quelqu'un qui s'en apercevait à peine. Elle était certaine que personne ne comprendrait cela. Personne n'ayant eu l'occasion d'en faire l'expérience personnelle.

- On n'est pas dans une bibliothèque, ici. Tu le veux, ce journal, ou pas? lui demanda l'homme qui tenait le kiosque.

Elle ne répondit pas et se contenta de reposer bruyamment le journal à sa place.

Il faisait froid et elle avait vraiment mal à la gorge. Elle se dirigea vers la gare centrale, car elle avait besoin d'argent et il restait encore deux jours avant que le mandat suivant n'atterrisse dans sa boîte postale: elle ne pourrait donc pas le toucher avant le lundi.

Près de la consigne de la gare se trouvait un changeur de monnaie automatique. Elle appuya à plusieurs reprises sur le mécanisme.

- Allons bon, qu'est-ce qui se passe?

Elle avait pris soin de parler assez fort pour que personne, autour d'elle, ne puisse éviter de l'entendre. Elle appuya à nouveau plusieurs fois, poussa un soupir et regarda autour d'elle. Le préposé à la consigne la regarda. Elle alla le trouver.

- Y a un problème? demanda-t-il.

- Il ne fonctionne pas, votre appareil. Il a pris mon billet de cent mais ne m'a pas rendu la monnaie. Et mon train part dans huit minutes...

L'homme appuya sur un bouton et le tiroir-caisse tinta.

- Encore. C'est déjà arrivé plusieurs fois. Sacré coup de pot.

Il compta dix billets de dix couronnes et les posa dans la paume qu'elle lui tendait.

- Tenez. Comme ça, vous pourrez le prendre, votre train.

Elle le remercia d'un grand sourire et fourra l'argent dans son sac à main.

Heureusement, elle avait pris soin de mettre la clé de la consigne automatique dans la poche de sa veste et non dans la mallette qu'elle avait oubliée à l'hôtel.

Après avoir retiré son sac à dos elle entra dans les toilettes publiques et, quelques minutes plus tard, en ressortit, en jeans et blouson, bien décidée quant à la conduite à tenir: une nuit chez les Johansson, pas moyen de faire autrement.

En chemin vers les jardins ouvriers d'Eriksdal, elle acheta une boîte de haricots, du pain, deux pommes, une bouteille de boisson gazeuse et une tomate fraîche. Les premières gouttes de pluie se mirent à tomber au moment où elle traversait Eriksdalsgatan. Ces derniers jours, le ciel avait été d'un gris de plomb et celui-ci ne faisait pas exception à la règle.

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