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— En attendant on vous emmène déjeuner, proposa Adalbert. Après on verra ce que l’on peut faire. Vous vous appelez ?

— Aurélie Dubois ! Mme veuve Dubois, précisa-t-elle dans un soudain souci de dignité.

On rentra dans Versailles et, place Notre-Dame, on alla s’installer dans un petit restaurant célèbre pour son lapin en gibelotte et ses moules marinières. Réchauffée par l’ambiance et quelques verres d’un excellent beaujolais, Mme veuve Dubois finit par se confier tout à fait. Depuis des années, elle et son époux Albert étaient les gardiens de la propriété. Et peu de mois plus tôt elle avait perdu son mari. De ce fait, elle avait dû quitter le pavillon de l’entrée pour intégrer la maison où Milady l’avait affectée à la lingerie et lui avait donné une chambre convenable. À ses moments perdus elle aidait à la cuisine et on l’envoyait volontiers au marché parce que les commerçants la connaissaient et qu’elle savait acheter « mieux que ces guignols à turban qui n’inspirent pas confiance et qui vous font manger n’importe quoi ».

— Et puis, l’autre soir, il y a eu un drame. Du moins j’crois. J’ai entendu qu’on se disputait. Milady était allée à Paris avec la petite voiture…

— Quelle couleur, la petite voiture ? questionna Adalbert sans paraître remarquer le regard ahuri d’Aurélie.

— En quoi ça vous intéresse ?

— J’écris une statistique sur les couleurs préférées des automobilistes, répondit Adalbert avec aplomb mais en évitant de regarder Berthier.

— Ah bon… Ben elle était rouge ! Rouge et noire et elle faisait un potin du diable !

— Très, très instructif ! Mais continuez, madame Dubois, ajouta-t-il en lui servant un nouveau verre.

— Où j’en étais ?

— Madame venait de rentrer de Paris et…

— … et Milord l’a rejointe chez elle et ils se sont chamaillés. Comme c’était en anglais j’comprenais pas. Et ça a duré un moment. Enfin, Milord est ressorti… en enfermant sa femme à clef. Il a mis la clef dans sa poche et, le lendemain, il a prévenu la cuisine que Madame était malade… contagieuse même et qu’il se chargerait personnellement de lui porter ses repas…

— Malade ? Il a fait venir un médecin ?

— Jamais on n’en appelle. C’est son valet de chambre indien qui s’en occupe. Il sait soigner, paraît-il, mais il n’est pas monté chez Madame. Après Milord a fait fermer les volets, sauf ceux de son appartement et de celui de Madame, qui donnent sur le jardin et qu’on ne peut voir du dehors. Puis il a défendu de répondre à la porte et au téléphone. Il a dit qu’il fallait faire comme s’ils étaient partis pour n’être dérangés par qui que ce soit-sous peine de « sanctions ». Personne ne devait plus entrer jusqu’à nouvel ordre.

— Et le facteur ?

— Il y a une grande boîte aux lettres dans le portail d’entrée. Personne ! Je viens de vous le dire… Et voilà le résultat !

— On est sincèrement navrés ! protesta Adalbert. Mais j’ai peut-être une solution…

Une heure plus tard, Mme veuve Dubois entrait au service de lady Mendl en principe en tant que lingère. Adalbert n’avait eu aucune peine à la faire engager après avoir mis Elsie au courant de ce qui se passait chez les Crawford. Curieuse comme un chat, celle-ci se promettait quelques passionnants bavardages avec Aurélie que d’ailleurs elle connaissait un peu.

— Et maintenant, que fait-on ? demanda Berthier quand l’archéologue sortit de la Villa Trianon.

— On retourne chez Crawford pour examiner les lieux et chercher un moyen d’entrer cette nuit !

— Ça nous servira à quoi ? Vous avez entendu Aurélie : on ne voit plus Crawford ni sa femme. C’est le secrétaire qui mène le train !

— Justement ! Ce n’est pas naturel ! Que l’Écossais ait posé des questions désagréables à Léonora qui l’a volé comme dans un bois, c’est normal. Qu’il l’enferme ? On peut se poser la question, mais qu’il s’enferme lui aussi après avoir abdiqué ses pouvoirs entre les mains du jeune Baldwin, c’est louche. Alors moi je vais voir ! Je ne vous oblige pas à me suivre !

Berthier se mit à rire :

— Pour m’en empêcher il faudrait me mettre KO et me boucler dans un placard après m’avoir ficelé comme un poulet…

Il était près de onze heures, ce soir-là, quand Berthier vint prendre Adalbert sous l’œil discrètement surpris du voiturier qui n’arrivait pas à comprendre la raison pour laquelle son client s’était emballé dans un imperméable boutonné jusqu’au cou par une belle nuit, douce, étoilée et totalement dépourvue de nuages. Il n’avait pas besoin de savoir que le vêtement cachait un étroit pantalon et un tricot de fin jersey, noirs, constituant la tenue d’été du parfait cambrioleur. Quand la voiture démarra il se contenta de soulever sa casquette galonnée en guise de salut…

En dépit de l’heure tardive il y avait encore du monde dehors. Essentiellement des piétons venus profiter d’une belle soirée et la voiture allait d’autant plus lentement que le trajet était court. Et soudain tout bascula dans l’effroi. La route de Saint-Germain s’effaça sous des torrents de fumée noire au-dessus desquels des langues de flammes rougissaient le ciel. Les deux hommes eurent à peine le temps de se demander ce qui se passait la voiture des pompiers arrivait sur eux et les doublait en clamant des pin-pon… pin-pon… pin-pon frénétiques. Une autre suivit mais on n’alla pas beaucoup plus loin. Rapidement, le ruban d’asphalte fut barré devant la Citroën par un soldat du feu qui leur intimait l’ordre de faire demi-tour. Ce que Berthier exécuta instantanément pour s’arrêter bientôt sur l’herbe du bas-côté. Puis ils descendirent sans un mot, rendus muets par la même inquiétude. Le léger doute qui leur restait se dissipa : c’était effectivement la maison du capitaine des chasses royales qui brûlait…

L’incendie semblait couvrir un vaste espace comme s’il était parti de plusieurs endroits à la fois. Un groupe de promeneurs curieux s’assemblait déjà, contenu par des gendarmes arrivés peut-être avant les secours…

— Reculez ! reculez ! ne cessaient-ils de répéter, mais il était impossible d’avancer de toute façon. Les lances d’arrosage venaient d’entrer en action et la fumée se faisait de plus en plus dense. Cependant, Vidal-Pellicorne et Berthier restèrent là, les mains dans les poches et les pieds dans l’herbe mouillée. Durant des heures…

À peu près au même moment, Aldo, qui somnolait sur son lit, fut réveillé par le fracas des verrous que l’on ouvrait. Son gardien entra – toujours cagoulé ! –, vint droit à lui, lui remit les menottes et, pendant qu’il était penché sur lui, lui fourra une pilule dans la bouche…

— Qu’est-ce que…

— Chut !… Puis à haute voix : Venez !… Vous tenez debout ?

Avec plus d’aisance qu’il ne l’aurait cru, Aldo se leva. Depuis sa séquestration, il baignait généralement dans une atmosphère fluide, plutôt agréable, même si l’on s’en tenait au fait que les cauchemars des premiers jours avaient cessé. Il avala une gorgée d’eau pour faire passer la médecine qui s’était collée à sa gorge

— Où allons-nous ? demanda-t-il mais évidemment on ne lui répondit pas.

Il pensait que l’on allait redescendre à la cave pour affronter de nouveau les fantômes noirs qui s’octroyaient le droit de le mettre en jugement. Ce ne fut pas le cas… On l’introduisit dans ce qui avait dû être une salle commune pourvue d’une longue table et de chaises de paille. Du feu était allumé dans le vieil âtre et, debout devant, un homme masqué y faisait brûler des papiers. Il y avait ici et là des sacs, même deux valises, et cela sentait le départ. Aldo n’eut pas le loisir de se demander ce que ces préparatifs signifiaient pour lui. On le lia sur une chaise et pendant cette opération on amena Caroline qui subit le même sort. Elle semblait ne rien comprendre à ce qui lui arrivait mais elle avait très peur : le regard qu’elle tourna vers Aldo était affolé :

— Que va-t-on faire de nous ?

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