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A
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— La dose n’est pas méchante mais nous allons augmenter rapidement. Vous verrez. Comment vous sentez-vous ?

— Qu’est-ce que ça peut vous faire ?

— C’est vrai ! Excusez-moi ! On va vous ramener dans votre logis et on vous apportera à boire et à manger. Il n’est pas dans mon intérêt de vous laisser mourir de faim… et de soif ! D’autant qu’un peu d’alcool renforce l’effet de la mixture. Je pense que nous avons devant nous une suite d’entretiens pleins d’agrément… en attendant que vous soyez à point !

— Et Caroline ? Qu’allez-vous en faire ? Je veux savoir pourquoi elle criait ?

— Parce que je venais de l’informer de l’obligation où j’étais de la priver d’un auriculaire ! Rassurez-vous, elle a été anesthésiée et ce sera le seul mais vis-à-vis des jocrisses de Versailles il était nécessaire que je mette à exécution au moins le début de mes menaces. Cela fait plus plausible !

Une nausée, dans laquelle la drogue injectée n’était pour rien, souleva le cœur d’Aldo. Il faillit vomir. La fureur l’en préserva :

— Vous êtes un fier misérable ! Comment pour-rait-elle jouer encore du piano après, espèce d’ordure !

— Oh, c’est sans importance. Elle n’en aura plus vraiment besoin ! À présent emmenez-le, vous autres ! Il commence à me fatiguer…

— Vous aurez largement le temps de vous reposer lorsqu’on vous aura bouclé entre les quatre murs d’une prison et mieux encore quand le bourreau en aura fini avec vous. Car sachez-le, ceux qui me recherchent sauront me trouver.

— Ici ? Ça m’étonnerait ! Mon cher monsieur, ce repaire est enfoui dans des bois où il ne passe jamais personne. En outre, et au cas bien improbable où l’on nous trouverait, il y a à proximité un trou naturel dans la terre, une faille profonde où au début de la guerre de Cent Ans, le prince Noir jetait ceux qui lui déplaisaient quand il occupait la région. Les gens du coin en ont toujours eu une peur bleue : ils prétendent qu’il mène droit en enfer. C’est là que je vous jetterais si d’aventure, on s’intéressait à nous de trop près. Mais que votre galanterie se rassure, vous n’iriez pas seul : ma douce fiancée sera si heureuse de vous accompagner…

— Votre fiancée ? Mais pourquoi ?

— Elle ne brille pas par son intelligence. Vous n’avez pas remarqué ?… Et puis je n’ai plus besoin d’elle ! À y réfléchir, l’épouser serait franchement inutile !

Morosini était tellement dégoûté qu’il ne lui disputa pas le mot de la fin. Il se laissa emmener avec un haussement d’épaules méprisant.

Peuplé de rêves étranges et de périodes d’exaltation plus étranges encore, le temps s’abolit pour Aldo qui, à certains moments, ne savait plus au juste s’il était réellement éveillé. Un homme encagoulé dont il était incapable de savoir s’il était toujours le même lui apportait ses repas et venait, à heure fixe sans doute, lui faire une piqûre qui le renvoyait pour une durée impossible à déterminer dans un pays pas toujours agréable dans lequel il se sentait extraordinairement vivant cependant que ses souvenirs semblaient reculer… Il ne revit pas Sylvain Delaunay. Si toutefois on pouvait employer le verbe voir puisqu’il n’y avait aucun moyen de savoir si son fantôme quotidien était lui ou un autre car il ne lui adressait jamais la parole.

Toutefois, un matin – ou un après-midi, il constatait seulement qu’il faisait jour ! –, il fut rappelé à la réalité par une main qui le secouait. Ouvrant les yeux, il vit Caroline Autié assise au pied de son lit. Elle lui tendait une tasse contenant un breuvage :

— Buvez ! Vous aurez les idées plus claires !

Docilement il avala et après quelques instants la brume dans laquelle il flottait parut se dissiper. Il sourit à la jeune fille :

— C’est gentil de venir me voir ! Vous n’êtes donc pas enfermée ?

— Toujours quand il est là mais il y est rarement dans la journée et j’ai le moyen de sortir de chez moi. Comme celui d’entrer chez vous d’ailleurs ! Comment vous sentez-vous ?

— Bien !… Oui, tout compte fait, je me sens bien ! Si nous allions faire un tour ?

— C’est impossible ! La maison est étroitement gardée ! Moi je me suis fait un ami dans la place, mais un seul, et qui risque sa vie si cela se savait. Ce que je peux faire c’est venir passer un moment avec vous… et ce ne sera sûrement pas possible tous les jours. Alors il faut en profiter.

— Volontiers mais d’abord je voudrais comprendre. Vous êtes venue ici volontairement ou avez-vous été réellement enlevée ?

— J’ai été enlevée. Et ne me demandez pas où nous sommes, je suis incapable de vous le dire. Cette maison ressemble à un ancien manoir ou plutôt une ancienne ferme mais au fond je n’en sais rien : je suis prisonnière presque autant que vous. Les premiers jours je ne comprenais pas et j’ai désespéré jusqu’à ce que quelqu’un s’intéresse à moi et s’efforce d’adoucir mon sort… et le vôtre ! Une vraie chance !

— Elle fait tout de même partie d’une bande sans foi ni loi qui assassine, vole, etc. Et si vous me parliez de Sylvain Delaunay ? Votre cousin et aussi votre fiancé si j’ai bonne mémoire ? À peine rentré de Buenos Aires alors que, j’en jurerais, il n’y a jamais mis les pieds… Un amoureux qui n’a pas hésité à vous amputer, ajouta-t-il en désignant l’épais pansement qui enveloppait la main gauche de la jeune fille.

Caroline parut subitement extrêmement malheureuse. Son dos se courba, ses yeux s’emplirent de larmes et elle détourna la tête :

— Je vais essayer de vous expliquer : j’ai connu Sylvain environ deux ans avant la mort de mon grand-père. Sa mère, avec laquelle celui-ci était brouillé, venait de quitter ce monde lui laissant fort peu de choses. Il espérait attendrir mon aïeul sur son sort mais il commettait une grave erreur parce que Grand-Père avait reporté sur lui la haine qu’il vouait à sa mère et l’a mis à la porte sans rien vouloir entendre. Il m’a même frappée quand j’ai tenté de prendre la défense de Sylvain parce que je le trouvais charmant. Et il l’était, croyez-moi ! En outre, si sa mère n’était pas riche, elle avait obtenu qu’il fasse de bonnes études. Ainsi, il a été un moment l’élève du professeur Ponant-Saint-Germain que vous avez dû rencontrer à propos de l’exposition Marie-Antoinette ?

— En effet. Un curieux personnage ! répondit Aldo qui entrevoyait une lueur.

— Il paraît ! Sylvain l’aimait beaucoup et il aimait beaucoup Sylvain. C’est même lui qui lui a donné de l’argent pour quitter Versailles. La vie y était trop chère pour lui et un camarade lui proposait de venir le rejoindre dans le Midi. J’aurais aimé partir moi aussi parce que nous nous aimions – enfin, je le croyais – mais c’était impossible. Pour le moment du moins. Sylvain disait, non sans raison, que ce serait idiot de me faire déshériter par Grand-Père qui était vieux et n’avait sans doute plus très longtemps à vivre. Ensuite, je pourrais le rejoindre et nous serions enfin heureux. Ce qui était un peu bizarre, c’est que Sylvain ne voulait pas me laisser son adresse : je devais lui écrire poste restante à Nice.

À la mort de Grand-Père je lui ai écrit pour la lui annoncer et lui dire qu’il y avait un contretemps : d’après le testament, je n’héritais qu’à condition de continuer à vivre dans la maison et à l’entretenir de mon mieux !

— Et qu’a-t-il répondu ?

— À ma surprise, il a été moins contrarié que je ne le pensais. Il m’a conseillé de chercher le pendentif de diamant. Lorsque je l’aurais trouvé, sa valeur compenserait largement la perte du reste de l’héritage.

— Il connaissait donc l’histoire du pendentif ?

Caroline esquissa un sourire :

— Oh, vous savez, c’était la grande affaire de la famille, sa légende en quelque sorte !… À cette différence près que Sylvain savait qu’il ne s’agissait pas d’un pendentif, justement, mais d’une boucle d’oreille. Cela m’a toujours étonnée…

— Pas moi ! S’il a été l’élève de Ponant-Saint-Germain, il a dû lui en parler et l’autre l’a éclairé à ce sujet. Il sait tout, absolument tout ce qui concerne Marie-Antoinette. Mais revenons à Sylvain : après la mort de votre grand-père il n’est pas venu vous voir ?

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