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Il s’était arrangé pour la rencontrer au moment où l’on quittait le Hameau. Confiant un instant Tante Amélie à Adalbert, il était allé vers elle assez vite pour que Vauxbrun n’ait pas le temps de l’emmener. « Il faudrait que j’aie une conversation avec celui-là, pensait-il. Qu’est-ce qui lui prend de l’accaparer avec des airs de propriétaire ? » Mais il se calma en la voyant faire quelques pas à sa rencontre avec un sourire radieux :

— Pauline à Versailles ! Mais quelle merveilleuse surprise, murmura-t-il en baisant sa main juste un peu plus longtemps que ne l’autorisait le code de la politesse.

— Elle l’est aussi pour moi ! J’ignorais que vous fussiez à Paris !

— Vauxbrun ne vous l’a pas dit ? Pourquoi ? ajouta-t-il à l’attention de son ami qui s’était hâté de les rejoindre…

— Justement pour t’en réserver la surprise, coupa celui-ci avec une mauvaise foi totale. Notre amie vient pour exposer ses œuvres et il était normal que je la fasse inviter à cette soirée. Tu devrais me remercier !

— Mais comment donc ! Merci, mon vieux !… Chère baronne, venez que je vous présente à une dame que j’aime infiniment et avec qui vous devriez vous entendre, dit-il en prenant la main de la jeune femme pour la conduire à Mme de Sommières qui visiblement les attendait, Adalbert l’ayant déjà renseignée.

La rencontre en effet fut empreinte de la soudaine sympathie née entre les deux femmes. Tante Amélie remercia Pauline de son hospitalité et de l’aide qu’elle et les siens avaient apportée à la paire Aldo-Adalbert embarquée dans une histoire aussi ténébreuse que dangereuse. Elle fut tout de suite sensible au charme de la nouvelle venue. Elle aima son regard direct, sa voix chaleureuse, l’étreinte ferme de sa main et le respect empli de gaieté qu’elle lui montra. Elle sentit qu’elle avait devant elle un être de qualité mais ne put s’empêcher de se demander jusqu’à quel point son neveu y était sensible. Il était bien joyeux d’un seul coup !

On se rendit en groupe vers les tables en laissant passer ces quelques instants avec « Mrs Belmont » – Pauline tenait à dépouiller la baronne pour privilégier le nom dont elle signait ses œuvres. La marquise prit le bras d’Adalbert qui, lui aussi, était venu saluer leur amie américaine :

— Quelle femme charmante ! dit-elle d’un ton léger. En temps ordinaire je ne raffole pas des filles de la libre Amérique mais celle-là est… exceptionnelle ! C’est votre avis ?

— Absolument ! Et, dans son genre, son frère ne l’est pas moins ! Il émaille ses discours d’un « Nous autres les Belmont » que je trouve irrésistible. Et quelle générosité ! Il tient quelque peu du marsouin parce qu’il passe la moitié de sa vie dans l’eau mais, à sa manière, c’est un vrai seigneur ! Je les aime bien tous les deux !

— Pas avec un petit plus pour « Pauline » ? Elle est d’autant plus séduisante qu’elle ne cherche pas à l’être !

— Bravo ! Vous possédez, chère marquise, la rare faculté de juger quelqu’un en un clin d’œil et sans jamais vous tromper. Vous avez raison : il est facile de s’attacher à elle ! fit-il avec un léger soupir.

— C’est aussi ce que pense Aldo ?

Une sonnette d’alarme tinta dans la tête d’Adalbert. Il comprit que, sans en avoir l’air, Mme de Sommières entreprenait de le confesser. Grâce à Dieu on arrivait près des tables mais il fallait répondre car sa main s’était raffermie sur son bras : il alluma son plus grand sourire :

— Elle a été pour lui comme pour moi une amie parfaite. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ?

Olivier de Malden en venant lui enlever Tante Amélie pour la conduire à sa place lui évita d’en dire plus long ou de mentir. Il se promit d’éviter autant que possible les apartés avec une aussi fine mouche. Mais la première chose à faire en urgence lui semblait d’intimer à Morosini l’ordre de mettre sa lampe sous le boisseau. Cet imbécile rayonnait positivement !… Et en imaginant ce que Lisa penserait en le voyant en ce moment, il sentait monter une pointe de colère qu’il se hâta de juguler. Prendre Aldo de front ne servirait à rien. Il ne le connaissait que trop !

Quand, le souper achevé on se réunit dans les salons pour offrir à la géniale maîtresse de maison un gigantesque bouquet de fleurs et boire une dernière coupe de champagne, Adalbert attira Marie-Angéline à part mais il n’eut même pas à ouvrir la bouche :

— Vous, dit-elle en pointant son index sur lui, vous vous faites de la bile.

— Cela se voit à ce point ?

— Non, mais moi je vous connais bien… et je connais bien Aldo. Alors je vous dis, cessez de vous tourmenter ! Il n’y a aucune raison !

— Ah, vous trouvez ? ronchonna-t-il en désignant de la tête la terrasse où Aldo avait réussi à entraîner Pauline.

Il s’était hâté de profiter du répit offert par Léonora, qui, l’œil farouche, était venue récupérer son chevalier servant.

— Mais mettez vos lunettes et regardez-les ! Il est en train de tomber amoureux d’elle… si ce n’est déjà fait !

— Il le croit peut-être mais vous vous trompez ! Il est l’époux de Lisa et il en a profondément conscience.

Devant une indulgence aussi coupable qu’inattendue chez Plan-Crépin, Adalbert prit feu :

— Et si je vous disais…

— Rien ! Je ne veux rien savoir… Sinon ceci : que se produirait-il, selon vous, si à cet instant Lisa faisait dans ce salon l’une de ces apparitions dont elle a le secret ?…

— Elle serait furieuse.

— Elle n’en aurait pas le temps ! Aldo se précipiterait vers elle avec son amour au bord des lèvres.

— Ah, vous le croyez ? C’est parce que vous ne savez pas à quel point Pauline Belmont est exceptionnelle !

— Lisa aussi est exceptionnelle. Son tort est de ne pas être là !

— Son… tort ?

— Eh oui, son tort ! Où était-elle quand Aldo a rencontré cette Pauline ? À Vienne, chez sa grand-mère, en train de fabriquer un petit Morosini j’en conviens mais elle n’était qu’au début de sa grossesse et pouvait parfaitement l’accompagner : il le lui a demandé devant moi et notre marquise. Où est-elle à présent ? Encore en Autriche ou en Suisse à pouponner un bébé en pleine forme qu’elle pourrait sans problème confier à sa grand-mère et à sa fidèle Trudi sans compter une armée de serviteurs. Elle pouvait donc… et je dirais même qu’elle devait accompagner son époux et nous n’en serions pas là ! On n’a pas idée d’être suissesse à ce point ! À quoi cela ressemble-t-il, dites-moi, de laisser galoper seul un homme d’une telle séduction ? En outre, si j’ai bien deviné, elle lui a donné d’autorité le second rang, se déclarant mère avant tout… mais plus son épouse. Ça aussi c’est une faute ! Aldo a besoin d’une femme et si la titulaire déclare forfait… De toute façon, ce ne sera qu’une passade. Alors, fichez-lui la paix !

— Tudieu, Plan-Crépin ! s’exclama derrière eux Mme de Sommières qu’ils n’avaient pas vue venir. Si c’est le genre de catéchisme que l’on enseigne à la messe de six heures, je me demande si je ne devrais pas vous défendre d’y aller ?

L’interpellée leva vers le plafond un nez offensé et renifla :

— Je dis ce que je pense !

— Et ce n’est pas idiot. Vous me surprenez !… Cela dit, mon cher Adalbert, nous mêler de sa romance ne servirait qu’à braquer notre don Juan. Contentons-nous de veiller au grain mais de loin. Et ne me prenez pas pour une entremetteuse si j’invite Mrs Belmont à déjeuner ou à dîner un jour prochain…

À la vérité, leurs trois inquiétudes si soucieuses auraient pu entendre ce que se disaient Aldo et Pauline. D’autant qu’ils avaient commencé par ne rien dire. Il lui avait offert une cigarette et tous deux accoudés à la balustrade admirèrent d’abord en silence le parc et les jardins dont les lumières s’éteignaient l’une après l’autre. Comme une lente marée l’obscurité remontait vers eux.

— Je savais que vous deviez venir, murmura Aldo. Mais pas seule. Vauxbrun, malade d’angoisse attendait…

— Diana Lowell ? La pauvre s’est fracturé le genou en tombant de cheval ! fit Pauline en riant. C’est cruel à dire mais le cher Vauxbrun en a été agréablement soulagé.

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