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— Où est Wishbone pour l’instant ?

— Je l’ai laissé en conversation à cœur ouvert avec son ancien grand amour ! Je précise qu’il a auparavant abattu Mathias Schurr. En fait, nous sommes à cette heure maîtres de la place et ce qui m’étonne le plus c’est que nous ayons obtenu si vite un tel résultat ! En passant je dois avouer que votre idée, Aldo, d’aller prévenir les gens d’ici était simplement géniale et que j’avais tort sur toute la ligne !

— Ce qui m’étonne, moi, c’est que vous n’ayez pas compris quand je vous l’ai dit. Une dette d’honneur que l’on se refuse à payer devient une forfaiture…

— Cependant, reprit-elle, têtue… – et là j’en reviens à mon premier propos –, vous n’auriez pas eu raison si la villa avait été aussi pleine que nous le croyions. Vous, je ne sais pas quel est votre sentiment, mais moi je trouve étrange quelle n’héberge que si peu de monde…

— Nous étions plus nombreux, expliqua Max, mais ces derniers temps nous avons réduit les effectifs. César avait réellement l’intention de transformer la Malaspina en clinique spécialisée avec son ami Morgenthal qui ne vaut pas plus cher que lui…

— Pendant que j’y pense, je me souviens de ce que vous avez daigné me confier à la Croix-Haute au sujet de votre véritable chef qui, apparemment, n’était pas César ?

— Non. C’était celui qui était en train de mourir dans la grande chambre du rez-de-chaussée à la Croix-Haute, le vieux Luigi Catannei, le père de Lucrezia et de César. Un incontestable meneur d’hommes. Mais son fils voulait un maximum d’argent afin d’aller vivre au Brésil avec Lucrezia et moi. L’atmosphère changeait ici. Morgenthal rachetait assez cher ! En outre, là-bas, il existe paraît-il un chirurgien encore plus fantastique que le professeur Zehnder. À propos de ce dernier, Lucrezia avait exigé de moi que j’aille le chercher pendant une absence de César mais il lui a déplu et…

— Nous connaissons la suite, dit Aldo : il est chez nous où nous allons d’ailleurs ramener mon beau-père et M. Buteau… quoique je me demande s’il n’aurait pas besoin… d’une clinique qui ne soit pas de façade et de soins médicaux. Il va falloir dénicher ça !

La voix affaiblie s’éleva :

— Par pitié, mon cher Aldo, plus de clinique… si vous avez dans vos murs le professeur Zehnder, il saura bien me retaper !

— Il y a du nouveau, fit Plan-Crépin qui s’était absentée deux minutes, Zehnder a dû mettre son projet à exécution : il y a dehors trois voitures de police ! Cela va être vite réglé !

La réaction d’Aldo fut immédiate. Il se tourna vers Max :

— Foutez le camp ! intima-t-il. Prenez tout ce que vous pourrez emporter et partez ! Ce serait injuste que vous payiez pour tous !

Mais l’homme secoua la tête avec un demi-sourire :

— Merci… mais pas sans elle ! Je vais la rejoindre…

Il partit en courant tandis qu’en bas des bruits de voix, des claquements de portières se faisaient entendre. Pris d’un pressentiment, Aldo s’élança sur les traces de Max. Il dégringolait l’escalier quand deux coups de feu retentirent…

Avant de tirer, Max avait dû étreindre Lucrezia : on les trouva à demi enlacés : elle atteinte au cœur, lui à la tête…

Au creux du décolleté de la femme, le soleil allumait des scintillements verts dans la Chimère d’or et d’émeraudes des Borgia…

Assommé d’un maître coup de poing, Wishbone gisait aux pieds du couple.

Au milieu de cette tuerie hors du temps, Morosini fut à peine surpris de voir surgir Langlois et le Stadtmeister Würmli arrivés avec la police.

Épilogue

Trois semaines plus tard, Aldo ramenait Guy à Venise…

« Le drame de Lugano », « La sanglante affaire de la villa Malaspina », « La fin des derniers Borgia », « La Chimère des Borgia a encore frappé » et pas mal d’autres de la même eau, quels que furent les titres de la presse qui s’en était donné à cœur joie en plusieurs langues, le bruit généré par ce qui prenait tournure de feuilleton du printemps avait été énorme… En rangs serrés, les journalistes prétendaient prendre d’assaut la villa Hadriana en dépit des barrières de police et même des renforts demandés par le commissaire Giuliano qui veillait à l’ordre du Tessin.

Soucieux de préserver le plus possible la marquise de Sommières, Mlle du Plan-Crépin – quoique celle-ci ne soit pas vraiment contre un brin de célébrité ! – mais surtout Guy Buteau, Langlois, une fois enregistrées leurs déclarations, s’était hâté de les embarquer dans le premier sleeping à destination de Paris sous la houlette d’Aldo Morosini. Celui-ci souhaitait vivement confier le plus rapidement possible son vieil ami aux soins du professeur Dieulafoy qui, à deux reprises, l’avait tiré lui-même d’un très mauvais pas. On le véhicula au train dans l’ambulance de la ville et non dans celle que l’on avait trouvée dans les garages de la Malaspina passée au rang de pièce à conviction et dans laquelle il avait voyagé à son corps défendant, ainsi que le professeur Zehnder et Moritz Kledermann.

Seuls demeurèrent donc à la disposition du commissaire Giuliano Cornélius Wishbone, le professeur de Combeau-Roquelaure, Boleslas bien entendu et Adalbert resté afin de surveiller les envolées parfois un peu trop lyriques des trois autres… et aussi, par un accord tacite avec le Texan, d’assurer des funérailles convenables à celle qui avait été l’éblouissante Torelli et qu’ils avaient passionnément aimée tous les deux. Elle serait même ensevelie parée de la Chimère que Wishbone lui avait offerte…

Quand, avant de partir, son gendre lui avait dit au revoir, Kledermann n’avait pas cherché à dissimuler sa déception.

— Bien que je comprenne parfaitement vos motivations, Aldo, je ne vous cache pas que j’espérais que vous reviendriez avec moi à Zurich.

— Il ne faut surtout pas que vous y voyiez un manque d’affection, Moritz, mais, outre que…

— Laissez-moi parler s’il vous plaît ! Vous pensez que Lisa va accourir vers moi et je sais à quel point elle vous a maltraité. Vidal-Pellicorne m’a tout raconté : le divorce et le changement de religion dans le but d’obtenir la séparation plus sûrement…

— Je n’avais à m’en prendre qu’à moi-même. Quelle femme digne de ce nom accepterait d’être trahie quasi publiquement ? Je ne peux pas lui en vouloir. Je n’en ai pas le droit.

— Disons que vous avez eu des torts l’un et l’autre ! Et rappelez-vous qu’elle a été droguée par ce Morgenthal dont je compte m’occuper. Mais je suis là de nouveau et vous refuser votre solide participation à cette résurrection serait de la mauvaise foi ! Raccompagnez la chère marquise et venez me rejoindre !

— Non, Moritz ! Lisa vous aime de tout son cœur et ma présence ne pourrait que lui déplaire ! Elle devrait se contraindre et cela je ne le veux à aucun prix. Elle a le droit de savourer seule son bonheur. Je vous prie instamment de ne pas lui parler de moi !

— Vous demandez l’impossible ! Comment raconter mon sauvetage sans vous mentionner ? Permettez-moi de vous dire que c’est idiot !

— Je ne crois pas ! Comprenez donc qu’au-delà de son bonheur de vous retrouver il y a maintenant le fait que j’ai tué Gaspard Grindel et qu’elle l’aimait beaucoup. Elle ne verra là qu’une vengeance déguisée !… Non, mon cher ami, ne me demandez pas d’être en tiers quand elle viendra se jeter dans vos bras en pleurant de joie. Ne lui abîmez pas cette minute et laissez les choses aller d’elles-mêmes !

— Mais, bon sang de bonsoir, il vous a fait tirer dessus, le cher cousin ! Et il s’en est fallu d’un cheveu si j’ai bien compris ?

— D’un cheveu, oui, mais c’était sans doute la volonté de Dieu… Laissez-le donc faire !

— Sacré tête de mule !… Vous m’abandonnez aux mains de Zehnder ? Il tient à me fourrer quelques jours dans sa clinique pour me faire subir une révision complète comme à un vieux tacot… alors que j’ai tellement envie de rentrer chez moi ! Je suis dans une forme voisine de la perfection !

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