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— Comme je n’ai aucune possibilité de vous en empêcher, je me borne à vous souhaiter « Bonne chasse ! », fit Langlois mi-figue mi-raisin. Et saluez pour moi Mme la marquise de Sommières et son petit Sherlock Holmes privé ! Celle-là, vous avez une drôle de chance de l’avoir ! conclut-il en s’éloignant avec un salut de la main…

— De qui parle-t-il ? demanda Zehnder qui n’avait pas perdu une miette de la conversation… Si toutefois je ne suis pas indiscret ?

— Pas du tout ! répondit Aldo. C’est en vérité un phénomène : Marie-Angéline du Plan-Crépin, qui est à la fois ma cousine et celle de la marquise de Sommières, ma grand-tante, auprès de qui elle exerce les fonctions aussi diverses que multiples de lectrice, demoiselle de compagnie, âme damnée – encore qu’elle soit d’une piété à toute épreuve ! –, agent de renseignements, l’ensemble servi par une mémoire photographique, la connaissance de six ou sept langues, sans oublier quelques talents annexes allant de l’escalade des toitures à une culture incroyable et à l’art d’exécuter en trois coups de crayon un portrait frappant !

— Impressionnant ! J’aimerais bien la connaître !

— On vous la présentera demain à midi si vous voulez nous faire le très grand plaisir de déjeuner avec nous au Baur ?

— Ma foi, j’en serais enchanté !

Quand on rejoignit la voiture, Aldo prit le volant tandis que les deux autres s’installaient à l’arrière. Sachant qu’à la Résidence la comtesse Valérie ne pourrait dormir avant de connaître le résultat de l’exhumation, on avait décidé de s’en remettre à Oscar Zehnder dont, fût-elle droguée jusqu’aux oreilles, Lisa ne mettrait jamais la parole en doute. Cela impliquait de le mettre au courant de l’état actuel de la situation, de ce qui l’avait déclenchée et, pour Aldo, d’une confession totale. À laquelle il consacra le trajet.

Ladite confession s’achevait juste quand Adalbert stoppa la voiture devant les marches du perron où les deux policiers étaient à leur poste.

Oscar Zehnder qui avait écouté sans le moindre commentaire et les yeux clos – au point qu’un moment Aldo s’était demandé s’il ne dormait pas – s’extirpa des coussins et sourit :

— Pas de quoi fouetter un chat ! Une histoire comme celle-là survenant dans un ménage du petit peuple se réglerait par quelques saines paires de claques, une grosse engueulade et quelques nuits passées dos à dos à remâcher ses griefs, elle se transforme dans les sphères éclairées de notre société en une parodie de tragédie grecque où chacune des parties s’efforce d’atteindre au sublime !

— Vous êtes sévère, monsieur le professeur. Il arrive aussi que l’on s’entretue chez l’ambassadeur comme chez le balayeur !

— Nettement moins chez les gens du peuple parce que l’on n’a pas les moyens de s’offrir un avocat et qu’on a les soucis de la vie quotidienne ! Ou alors on règle la question en se faisant sauter soi-même… Peut-être pour que l’infidèle n’aille pas, dans l’au-delà, batifoler avec le premier chérubin venu ! Une petite question, si vous le permettez, avant que je n’aille me mêler de ce qui ne me regarde pas. Êtes-vous sûr d’aimer toujours votre femme ?

— Oui. Sans hésitation !

— Et cette si séduisante Pauline ?

— … Un très joli souvenir qui en restera un… mais je vous ferai remarquer que cela fait deux questions !

— Et moi j’aurais préféré qu’il n’y ait pas eu dans votre voix ce léger chevrotement ! Quoi qu’il en soit, allons faire de notre mieux pour recoller les pots cassés !…

Dans le hall ils trouvèrent Grüber qui les débarrassa de leurs manteaux en essayant de contenir sa curiosité et, sur le grand palier, Mme von Adlerstein qui ne dit rien mais dont l’être tout entier brûlait d’impatience.

Zehnder monta vers elle quatre à quatre les marches en demandant si Lisa pouvait le recevoir en dépit de l’heure tardive.

— Quelle question ! Venez vite !

Ils disparurent tandis qu’Aldo et Adalbert s’asseyaient prosaïquement sur les marches de l’escalier pour attendre avec le soutien du café dont Grüber les munit presque instantanément.

Brève attente d’ailleurs ! Douze minutes plus tard, le chirurgien et la vieille dame les rejoignaient, mais les réponses aux questions qu’ils se posaient s’inscrivaient clairement sur le visage décrispé de cette dernière et le sourire de son compagnon.

— Elle vous a écouté ? demanda Aldo.

— Mais oui ! Et à présent elle va enfin se reposer au lieu de vivre constamment sur ses nerfs, partagée entre la colère et le désespoir.

— Pourrais-je la voir ?

Ce fut grand-mère qui répondit :

— Non, Aldo… il est trop tôt ! Il faut comprendre. Elle a désormais l’espérance de revoir son père… et le professeur ne lui a rien caché des doutes sérieux qui pèsent sur son cousin. Alors elle m’a priée de la ramener à Rudolfskrone… elle veut la paix… et jusqu’à preuve du contraire, la paix ne passe pas vraiment par vous !

— Non, vous avez raison ! Je dois me consacrer à retrouver Moritz… et sa collection. Et nulle part Lisa ne sera mieux que dans vos montagnes !… Mais faites en sorte que Grindel ne puisse plus l’approcher ! Je sais qu’il est dans le collimateur de la police mais je le crois très capable d’y échapper…

Tout en parlant, il remontait l’escalier…

— Eh bien, où vas-tu comme ça ? s’enquit Adalbert. Tu pourrais au moins dire « bonsoir » ?

— Je ne vais pas me coucher ! Je vais seulement reprendre ma trousse de toilette et les quelques affaires que j’ai apportées. Je rentre avec toi à l’hôtel. Si je connais bien Lisa, elle n’aura de cesse, dès qu’elle sera réveillée, de repartir avec sa grand-mère et de rejoindre les enfants. Je ne veux pas lui faire prendre le risque de me rencontrer au détour d’un couloir !

8

Le nez de Plan-Crépin

— Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud ! déclara Marie-Angéline en déposant sur le lit de Mme de Sommières le plateau de laque où elle avait mis le paquet de lettres privées dont elle avait préalablement fendu les enveloppes et qui s’étaient entassées pendant leur absence ; elle-même se chargeant du reste du courrier.

— Comment l’entendez-vous, Plan-Crépin ? C’est votre messe matinale qui vous a inspiré cette pensée profonde ?

— Elle n’a contribué qu’à la renforcer, mais j’y ai songé tout le long de notre voyage de retour.

— Et alors ?

— Il faut profiter de l’absence de Gaspard Grindel pour visiter son appartement parisien. Le risque est inexistant puisque la police de Zurich l’a prié bien poliment de rester à sa disposition !

— Sans doute, mais qu’il n’y soit pas ne signifie pas qu’il n’y ait personne ! Un directeur de banque suisse doit avoir du personnel pour le servir. Surtout dans ce quartier où le moindre gratte-papier est nanti d’un valet ou au moins d’une bonne s’il ne veut pas être perdu de réputation !

— C’est ce que je saurai demain !

— Vous comptez sur le Saint-Esprit ?… Allons, ne faites pas cette tête-là ! Je plaisante ! Votre fameux service de renseignements a fonctionné, je suppose ?

— Oui. Eugénie Guenon, la cuisinière de la princesse Damiani…

— … qui nous a été si utile au moment de la mort de ce pauvre Vauxbrun ! Et elle habite avenue de Messine comme l’oiseau en question… seulement c’est au 9 si j’ai bonne mémoire et même si c’est en face – ce qui n’est pas certain –, l’avenue est plutôt large.

— La princesse a déménagé : elle est à présent au 12 où elle dispose de beaucoup plus d’espace.

Mme de Sommières se mit à rire :

— Avouez que c’est une personne bien accommodante !… ou alors vous avez de la chance !… Et, en admettant que vous réussissiez à vous introduire dans la place, qu’espérez-vous trouver ?

— En toute franchise, je ne sais pas… mais mon nez me dit qu’il pourrait y avoir anguille sous roche !

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