Avec rage, il lança le joyau dans un coin de la tente et, d'un geste vif, saisit la tête de Catherine,
déroula ses tresses, avec l'habileté qu'il apportait dans tout ce qui touchait la femme. Les lourds cheveux étincelants croulèrent sur les épaules de la jeune femme, ensevelissant le costume de daim noir, lui restituant comme par miracle sa splendeur ancienne. Puis, il la traîna devant le grand miroir de Venise qui décorait l'une des parois.
— Regarde ! Qui donc possède la vraie Toison d'Or?
Mais il ne lui laissa même pas le temps de se regarder. Avec une passion qu'il ne contrôlait plus, il l'avait prise dans ses bras et l'écrasait contre sa poitrine sans souci de la meurtrir aux pièces de fer de son armure.
— Catherine... Je t'aime toujours. Je n'ai jamais pu t'oublier...
— Tu le pourras maintenant... puisque j'ai tellement changé.
— Mais non... tu n'as pas tellement changé ! J'ai dit cela parce que, depuis deux ans, la colère m'étouffait. J'aurais pu dire n'importe quoi. Tu es toujours aussi belle, quoique plus maigre. Mais tes yeux n'en sont que plus grands, ta taille plus étroite. Catherine... mon amour. Je t'ai si souvent, si longtemps appelée... ma douce, ma belle, mon irremplaçable...
Prestement, il avait ouvert le col du pourpoint de daim pour trouver le creux tendre du cou, y enfouissait son visage. Prisonnière de ses bras solides, à demi renversée en arrière, Catherine se sentit défaillir. Le vieux charme qui, si longtemps, l'avait attachée à cet homme étrange et séduisant s'emparait d'elle à nouveau, curieusement puissant. Dans quelques secondes, il l'enlèverait dans ses bras, l'emporterait jusqu'au grand lit drapé d'or qui luisait doucement dans les profondeurs de la tente et elle n'aurait plus assez de forces pour résister à son désir... Mais, le temps d'un éclair, elle eut la vision d'Arnaud mourant, étendu sur l'étroite couchette de sa cellule, Arnaud à qui elle appartenait corps et âme. Qu'étaient les plaisirs charnels de jadis auprès de cette plénitude que lui seul savait lui donner ? Leurs amours violentes, sans tendresse, aussi cruelles qu'un combat où chaque adversaire guette la défaillance de l'autre, avaient malgré tout plus de saveur et de prix que les caresses de Philippe. Une révolte souleva tout le corps de Catherine.
Doucement, mais fermement, elle écarta le duc...
— Pas maintenant ! Laisse-moi !
Il la lâcha aussitôt, recula de quelques pas, les sourcils déjà froncés.
— Pourquoi ? À la fin, que veux-tu de moi, qu'es- tu venue chercher si tu n'es point venue renouer le fil de notre amour ?
Catherine hésita un instant. Le moment était-il bien choisi, à l'instant même où elle le décevait ? Mais, de toute façon, il fallait en finir.
— Je suis venue te demander une grâce, fit-elle calmement.
— Une grâce ?
Soudain, il éclata de rire, un vrai fou rire qui n'avait rien de forcé et qui le jeta, vidé de ses forces, sur un large fauteuil d'ébène. Il riait, il riait tellement, sans parvenir à retrouver son souffle, que Catherine, peu à peu, sentit la colère l'envahir.
— Je ne vois pas ce qu'il y a de si drôle ! dit- elle, un peu pincée.
— Drôle ?
Son rire s'arrêta net et il se releva, revint vers elle.
— Mon ange, ta naïveté n'a d'égale que ton inconscience. Tu m'as déjà tellement demandé de grâces que j'aurais dû deviner que tu en avais encore une en réserve. C'est une manie chez toi ! Qui donc veux-tu sauver, maintenant ?
— Jehanne la Pucelle.
Le nom tomba comme un boulet. Le visage, encore souriant, de Philippe se ferma instantanément. Comme s'il avait peur, cette fois, il s'éloigna de Catherine, remit entre elle et lui le rempart de la table.
— Non ! dit-il seulement.
La jeune femme cacha derrière son dos ses mains qui se mettaient à trembler. Philippe, elle le sentait bien, lui échappait à cette minute. D'un seul coup, l'amant passionné avait disparu derrière la silhouette rigide du duc de Bourgogne. Elle eut un faible sourire.
— Je me suis mal exprimée. Je suis venue te prier de fixer la rançon de la Pucelle comme les lois de la guerre t'en font un devoir. Quel que soit le prix, il est accepté d'avance.
— Les lois de la guerre ne concernent pas les suppôts de Satan. Cette fille est une sorcière, non un chevalier !
— Quelle absurdité ! Jehanne, une sorcière ? Elle est la loyauté, la limpidité, le pur courage et l'ardente piété. Il n'est pas de candeur plus grande que la sienne. Tu ne la connais pas...
— Tu la connais, toi, à ce qu'il paraît ?
— Je lui dois la vie. Et j'entends bien payer ma dette. On dit que tu songes à la livrer aux Anglais... mais j'ai refusé d'y croire.
— Et pourquoi, s'il te plaît ?
— Parce que ce serait indigne de toi... Indigne de cet ordre de chevalerie dont tu es si fier, s'écria Catherine, un doigt pointé vers le magnifique collier qui brillait faiblement parmi les soies touffues du tapis... et aussi parce que cela ne te porterait pas bonheur. Elle est, bien réellement, l'envoyée de Dieu!
— Sottises !
Quittant le refuge de la table, le duc s'était mis à marcher nerveusement, de long en large, à travers l'immense tref, sans même regarder Catherine.
— J'ai vu cette fille, si tu tiens à le savoir. Quand Lionel de Vendôme l'a prise et l'a remise à son chef, Jean de Luxembourg, j'ai voulu la rencontrer et je me suis rendu au château de Beaulieu où Luxembourg la tient captive. J'ai trouvé une outrecuidante personne, pétrie d'orgueil, qui, au lieu de s'humilier devant moi, n'a su me faire que des reproches...
— Est-ce que tu ne t'en fais jamais, toi-même, des reproches ? As-tu vraiment conscience d'agir toujours en fidèle vassal de la couronne de France ?
Philippe s'arrêta net et foudroya Catherine du regard. Deux taches rouges montaient à ses joues pâles et son regard flambait d'orgueil blessé.
— Vassal ? Quel est ce mot ? Je suis plus riche, cent fois plus puissant que ce fantoche de Charles qui se dit roi de France ! Je refuse l'hommage, je refuse de le reconnaître comme suzerain. Désormais, la Bourgogne sera libre, indépendante... un grand royaume qui deviendra peut-être un empire.
Je referai, autour d'elle, l'empire de Charlemagne... tous les peuples de la terre s'inclineront devant mon trône et ma couronne.
A son tour, Catherine se mit à rire, avec une nuance de mépris qui n'échappa pas à Philippe et arrêta net son discours.
— Qui te donnera cette couronne ? Dans quelle cathédrale iras-tu chercher l'onction sainte ? À Westminster, je pense, comme il convient au fidèle soutien de l'Anglais envahisseur. Car, pour Reims, la place est déjà prise. Par le choix de Dieu et par le sacre solennel, Charles VII est, bien réellement, seul et vrai roi de France. Ni toi, ni le jeune fantoche qui règne à Paris n'y pourront jamais rien. Il est le Roi. Ton ROI !
— Jamais je ne reconnaîtrai pour tel le meurtrier de mon père !
— Allons donc ! Je te connais bien. Si Charles y mettait le prix, t'offrait la moitié de son royaume et assez de terre pour satisfaire ton orgueil, tu mettrais bien ta main dans la sienne. Me crois-tu assez niaise pour n'avoir pas suivi, depuis deux ans, le double jeu, oh ! fort habile, que tu as joué ? On ne bâtit pas sur la trahison, Philippe... et le royaume de Bourgogne ne verra jamais le jour !
— Assez !
Il avait hurlé et sa main convulsive tourmentait la dague passée à sa ceinture ; Catherine lut dans ses yeux l'envie qu'il avait de la tuer mais ne s'en émut pas. Elle était au-delà de toute crainte et son regard étincelant ne se baissait pas. Au contraire, elle le défiait ! Ce fut lui qui capitula ; son regard vacilla, se détourna.
— Voilà donc où nous en sommes ? dit-il sourdement. Deux ennemis...
— Il ne tient qu'à toi que nous ne le Soyons plus. Accepte de mettre Jehanne à rançon et je ne te demanderai rien de plus. Bien mieux... je te reviendrai !