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— Je ne suis pas douée pour ce genre d'intrigues, lui dit-elle, je ne pourrais causer que des catastrophes.

A son grand étonnement, le cordelier n'insista pas. Il se contenta de s'excuser de l'avoir dérangée, salua poliment mais, avant de s'éloigner, déclara doucement :

Votre amie Odette va quitter, sous peu, son château de Saint-Jean que le duc lui reprend. Elle doit revenir s'installer chez sa mère et, la dernière fois que je l'ai vue, elle était bien découragée et bien triste. Dois-je lui dire, à elle comme à la reine Yolande, que son sort ne vous intéresse plus ?

Un peu de remords se glissa dans l'âme de Catherine. Elle regretta la légèreté égoïste de ses paroles, comprit qu'elle n'avait pas le droit, pour une déception amoureuse même très cruelle, d'abandonner ceux qui avaient foi en elle.

— Ne lui dites rien, fit-elle au bout d'un moment. Ni à elle... ni à la reine.

Je viens de subir un choc moral pénible et j'ai besoin de calme et de solitude pour m'en remettre. Laissez-moi un peu de temps.

Un sourire effaça, sur le visage aimable de frère Étienne, les plis soucieux qui s'y étaient creusés.

— Je comprends, fit-il avec bonté. Pardonnez-moi d'avoir été importun...

mais ne nous délaissez pas trop longtemps...

Catherine ne voulait pas se laisser fixer une date. Elle se retrancha derrière un évasif :

— Plus tard... plus tard, je reviendrai.

Et le frère Étienne fut bien obligé de s'en contenter.

Le lendemain, ce fut Ermengarde qui fit son entrée. Une entrée piaffante et tumultueuse comme à son habitude. Elle embrassa sans cérémonie Catherine et sa mère, complimenta l'oncle Mathieu sur la tenue de sa maison et sur sa bonne mine, visita les caves en connaisseuse, goûta le vin doux à la sortie du pressoir dans un tâte-vin grand comme une soupière et s'invita à dîner sans cérémonie.

Mais, tandis que l'oncle Mathieu et Jacquette, rouges d'orgueil d'héberger une dame de cette qualité, couraient faire préparer un festin digne d'elle, Ermengarde s'établit auprès de Catherine, sous la tonnelle couverte de vigne du jardin, et entreprit de la chapitrer :

Votre retraite champêtre est charmante, lui dit- elle, mais vous faites une sottise. Vous ne paraissez pas imaginer que, depuis votre départ, la vie au Palais Ducal est devenue intenable. Le duc ne décolère pas...

— Je vous arrête tout de suite, coupa Catherine. C'est lui qui vous envoie

? — Pour qui me prenez-vous ? On ne m'envoie pas. Je m'envoie moi-même quand j'estime la chose nécessaire. Voulez-vous me dire ce que vous faites ici ? C'est charmant, les vendanges, mais cela n'a qu'un temps... Vous ne songez pas, je pense, à passer votre hiver à la campagne ?

— Pourquoi pas ? Je m'y plais mieux qu'en ville.

Ermengarde poussa un soupir à faire crouler les

murs. Elle avait rarement rencontré quelqu'un d'aussi têtu.

— J'ai cru, tout d'abord, à une manœuvre de coquetterie. Rien de plus amusant, n'est-ce pas, que faire attendre un homme, surtout quand cet homme est prince ? Mais il ne faut rien exagérer. La patience n'est pas la vertu dominante de Monseigneur.

— Mais qu'il perde donc patience, c'est tout ce que je demande. Et qu'il m'oublie, qu'il m'oublie vite !

— Vous ne savez pas ce que vous dites. Quand nous avons quitté Arras, vous étiez tout près de lui céder. Et maintenant vous ne voulez plus le voir.

Que s'est-il passé ? Pourquoi ne voulez-vous pas me le dire ? A moi ?

— Parce que c'est tellement stupide... j'ai peur que vous ne compreniez pas.

— D'une femme, fit Ermengarde péremptoire, je peux tout comprendre.

Surtout les pires folies. Y aurait-il encore du Montsalvy là-dessous ?

Catherine lui adressa un pauvre sourire et, pour cacher son embarras, se mit à tirailler une vrille verte qui pendait au-dessus de sa tête.

— Vous devinez toujours tout, mon amie. Il est perdu pour moi, à tout jamais... il se marie !

Le ton de la jeune femme était douloureux, presque. Tragique, et pourtant Ermengarde partit d'un véritable fou rire qui mit un bon moment à se calmer. Sous l'œil indigné de Catherine, la Grande Maîtresse aussi rouge que sa robe, les joues inondées de larmes, se tenait les côtes et s'étouffait à moitié.

— Ermengarde ! s'écria Catherine froissée. Vous rendez-vous compte que vous êtes en train de vous moquer de moi ?

— Je m'en rends parfaitement compte, ma chère ! fit celle-ci quand elle eut réussi à retrouver sa respiration. Mais c'est qu'aussi la chose est trop drôle ! C'est le mariage de notre héros qui vous a envoyée aux champs avec cette mine de petite nonne, qui vous fait ces yeux battus, ces joues pâles ?

Ah çà, mais vous êtes folle ! Est-ce qu'il n'est pas normal qu'un garçon de son rang et de son nom se marie ? Il doit, à lui-même et aux siens, de continuer sa race. Il lui faut des fils, une descendance. Et qui voulez- vous qui la lui donne sinon une femme ?

— Mais moi je l'aime ! Moi je me gardais pour lui, je ne voulais que lui !

s'écria Catherine, fondant déjà en larmes qui n'émurent aucunement Ermengarde.

Ce en quoi vous aviez grand tort ! Une femme comme vous est faite pour l'amour, je me tue à vous le dire depuis des mois. Votre Arnaud se marie ?

La belle affaire ! Vous le prendrez comme amant quand cette guerre stupide sera enfin finie... et vous n'en serez pas plus malheureuse. Qu'espériez-vous donc ? L'épouser vous-même. Mais votre mari, ma mignonne, est bien vivant et certainement pas décidé à défunter avant de nombreuses années. Laissez donc le jeune Montsalvy épouser quelque petite oie blanche bien riche et bien titrée qui lui fabriquera des moutards à longueur d'années... et soyez celle qui dispense les délices des amours défendues... tellement plus excitantes que le pot-au-feu conjugal !

Cette étrange leçon de morale avait laissé Catherine pantoise mais à moitié consolée. La terrible Ermengarde avait une manière réaliste de voir les choses qui non seulement ne manquait pas de charme, mais encore s'avérait étrangement efficace. Elle concluait d'ailleurs son sermon en disant

: — Ne vous condamnez pas à une vie stupide à cause d'un dadais qui prend femme, si beau soit-il. Philippe vous aime, il vous veut et il vous aura, croyez-m'en. Pourquoi ne pas essayer de prendre quelque plaisir à la chose ?

Il est jeune, il est beau à sa manière, il est charmant quand il veut, il est puissant en tout cas... et aucune de ses maîtresses ne s'est jamais plainte de lui, bien au contraire. Il a toujours toutes les peines du monde à s'en débarrasser ! C'est d'ailleurs un peu pour cela que je suis venue vous voir...

Ainsi donc, dame Ermengarde avait un but. Catherine réprima un sourire moqueur. L'art avec lequel elle avait glissé négligemment sur les derniers mots était à lui seul un chef-d'œuvre diplomatique. Sans beaucoup de peine, maintenant, Catherine parvint à savoir le fin mot de l'histoire. En fait, Ermengarde, qui « ne s'envoyait qu'elle-même », venait en messagère de la duchesse Marguerite inquiète d'avoir vu réapparaître à Dijon la dame de Presles, la maîtresse en titre de Philippe, dont elle n'ignorait pas l'ambition.

Vous vous souvenez, je pense, de cette créature blonde qui avait si bien décoré de son écharpe ce niais de Lionel de Vendôme... précisa Ermengarde.

C'est d'elle qu'il s'agit. Et la duchesse-douairière se tourmente. Cette femme s'est mis en tête d'être duchesse. Elle est intrigante, habile... et elle connaît son Philippe sur le bout du doigt. Dieu sait ce qu'elle est capable d'obtenir si vous lui laissez le champ libre ! Que cette femme, tout acquise à l'Anglais, parvienne à ses fins et nous en viendrons aux pires catastrophes. Jamais France et Bourgogne ne se rejoindront. En résumé...

La comtesse se leva, dominant son amie de toute la moitié supérieure de son corps. Grave, soudain, elle posa sa belle main blanche sur l'épaule de la jeune femme et acheva, avec une douceur inaccoutumée :

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