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— Comment, vous étiez là ? fit Catherine surprise en s'avançant vers lui.

Elle lui avait souri, mais à mesure qu'elle approchait, son sourire s'effaçait. Jamais encore elle n'avait vu à son époux cette expression de rage.

Tous les traits de son visage en étaient bouleversés. Un tic nerveux relevait spasmodiquement le coin de ses lèvres au-dessous du bandeau noir. Pour la première fois, elle eut peur. Le visage de Garin avait quelque chose de démoniaque.

— D'où venez-vous ? demanda-t-il.

Les paroles sifflaient entre ses dents serrées. Dans les plis de sa robe, Catherine ferma les poings pour lutter contre cette terreur insidieuse qui se glissait dans ses veines.

— Je croyais que vous le saviez, fit-elle d'une voix claire. Je viens de chez le duc.

— De chez le duc, vraiment ?

Catherine, pensant que l'assurance était encore la meilleure méthode pour affronter un homme en colère et forte, par ailleurs, de la vérité de ses paroles, riposta avec un léger haussement d'épaules impatient :

— Demandez-le-lui. Vous verrez bien ce qu'il vous dira...

Elle se dirigeait vers le coffre où l'on rangeait ses coiffures pour y déposer le tambourin de velours qu'elle venait d'ôter de sa tête, tournant le dos à son époux, quand un cri de douleur lui échappa. Garin l'avait saisie par les cheveux et les tirait brutalement en arrière. Catherine tomba lourdement à terre aux pieds de Garin, protégeant instinctivement son visage de son bras replié. Lâchant les cheveux, Garin saisit ce bras qu'il broya, si fort que Catherine cria de nouveau. Il penchait sur elle un visage empourpré de colère. Dans son autre main, Catherine, terrifiée, vit qu'il tenait un fouet à chiens.

— De chez le duc ? Tu viens de chez le duc, petite traînée ! Comme si toute la cour ne t'avait pas vue entrer dans la tente de ce Montsalvy ?

Comme si Luxembourg ne t'avait pas trouvée presque dans ses bras ?...

Crois-tu que j'ignore que ce maudit Armagnac n'est pas rentré cette nuit à Guise ? Dans quel bouge es-tu allée te rouler avec lui, hein ? Tu ne le diras pas, bien sûr, mais moi je vais t'ôter l'envie de mentir, pour toute ta vie.

Il ne se possédait plus. Avant que Catherine, terrorisée, ait pu souffler un seul mot, le fouet s'abattait férocement sur son dos. Elle cria, se laissa choir complètement à terre, cachant sa tête sous ses bras repliés, se ramassant sur elle-même pour offrir moins de surface aux coups. Garin tapait comme un sourd, le fouet sifflait en l'air puis claquait sur le dos, les épaules ou les reins de Catherine. Elle ne criait plus, craignant d'exciter le furieux. Mais ce silence même parut porter la colère de Garin au paroxysme. Se penchant tout à coup sur la jeune femme prostrée, il saisit le haut de la robe, près de la nuque, tira un coup sec. La robe et la chemise se déchirèrent, dévoilant le dos et les reins de Catherine. Et le fouet siffla encore. Cette fois, il mordit la peau tendre si cruellement qu'elle se fendit. Catherine hurla, déchirée d'un trait de feu. Les coups maintenant pleuvaient comme grêle, sans que la colère de Garin tombât.

La jeune femme se traînait à terre, cherchant à s'abriter derrière un meuble, le lit ou un coffre. Mais elle trouvait chaque fois devant elle Garin qui, d'un coup de pied, la rejetait au milieu de la pièce. La robe en lambeaux ne protégeait plus du tout son corps qui se tordait sous le fouet. Elle n'était plus que souffrance aiguë, animale. Comme une bête affolée, elle cherchait éperdument un abri contre cette grêle atroce et déchirante. Est-ce que Garin ne cesserait jamais de taper ? A travers le brouillard rouge flottant devant ses yeux, elle ne voyait plus qu'une forme immense et noire, un bras qui se levait encore et encore... Il soufflait comme un forgeron à son enclume ! Il allait la tuer !... Catherine ne sentait même plus couler son sang. Elle ne criait plus. La vie s'en allait d'elle... les coups ne l'atteignaient plus qu'à travers une sorte d'ouate...

Elle fit un dernier effort en voyant vaguement, devant elle, l'entrebâillement de la porte. L'atteindre !... Se couler derrière !... Échapper à la torture... Mais quelque chose vint tout à coup boucher l'orifice sauveur...

quelque chose de rouge qui bougeait. Avec un petit gémissement plaintif, Catherine s'abattit sur les pieds d'Ermengarde qui entrait...

Le cri d'horreur que poussa la Grande Maîtresse atteignit la malheureuse dans sa semi-inconscience. Elle devina un secours, se cramponna aux pieds solides.

— Par les tripes du Pape ! hurla Ermengarde, qui a jamais vu chose pareille ?

Dégageant ses pieds des mains crispées de Catherine, la grosse dame lança ses deux cents livres à l'assaut de Garin. La colère et l'indignation décuplaient ses forces. D'une irrésistible poussée, elle le rejeta au fond de la chambre, arracha de ses mains le fouet taché de sang, le lança loin d'elle, puis empoignant Garin par le col de son pourpoint, elle se mit à le secouer vigoureusement en déversant sur lui une bordée d'injures que n'eût pas désavouée un soudard. Mais il n'opposait aucune résistance et se laissait entraîner, presque porter, vers le palier, comme un mannequin de son. Sa colère furieuse de tout à l'heure semblait l'avoir vidé de ses forces.

Ermengarde le jeta dehors, hurla :

— Hors d'ici !... et que je ne vous y reprenne plus ! puis referma la porte.

Après quoi, elle revint s'agenouiller auprès de Catherine inerte, son large visage bouleversé de compassion. La malheureuse était dans un état pitoyable. Son corps saignant, rayé de longues traînées bleues ou noires, était à peu près nu à l'exception des quelques lambeaux de velours noir qu'elle serrait encore contre sa poitrine. Ses longs cheveux emmêlés collaient à son visage où la sueur et les larmes se mêlaient. La main blanche d'Ermengarde les rejeta doucement en arrière. Elle pleurait presque.

— Dans quel état, doux Jésus !... dans quel état il vous a mise cette brute, mon pauvre agneau !... Je vais vous porter sur le lit, accrochez-vous à mon cou...

Catherine leva les bras pour les nouer au cou de la comtesse mais son épaule déchirée lui fit si mal que, cette fois, avec un dernier cri, elle s'évanouit tout à fait.

Quand elle reprit connaissance, elle était couchée, incapable de bouger tant elle était empaquetée de pansements, et la nuit était venue. En ouvrant les yeux, elle vit Sara, assise au coin de la cheminée en train de faire cuire quelque chose dans une petite marmite. Cette vision la ramena plusieurs années en arrière. Combien de fois, en s'éveillant dans la masure de Barnabé, à la Cour des Miracles, avait-elle trouvé Sara assise ainsi au coin du feu avec cette expression attentive sur son beau visage ? Le souvenir d'enfance qui revenait ainsi lui fit du bien. Elle voulut remuer un bras pour repousser les couvertures remontées jusqu'à ses yeux. Son bras pesait comme du plomb et son épaule lui fit si mal qu'elle ne put retenir un gémissement. Aussitôt, la masse imposante d'Ermengarde se glissa entre le lit et le feu. La comtesse se pencha sur le lit, posa une main fraîche, étrangement douce, sur le front brûlant.

— Vous souffrez, mon petit ?

Catherine se força à sourire, mais cela aussi fut douloureux. Il n'y avait pas un muscle, en elle, pas une fibre de chair, si minime fût-elle, qui ne lui fît un mal affreux.

— J'ai chaud, soupira-t-elle, et tout mon corps me fait mal. C'est comme si j'étais couchée sur des épines. Tout me brûle !...

Ermengarde hocha la tête, s'écarta pour faire place à Sara qui approchait et se penchait à son tour sur le lit. Le visage de la tzigane avait une expression farouche et sévère.

— Cette brute t'aurait tuée, mon ange, si dame Ermengarde n'était arrivée à temps ! Je me doutais bien que quelque chose se préparait quand je l'ai vu arriver, ce matin. Il avait un visage terrible...

— Où étais-tu quand je suis rentrée ? demanda Catherine d'une voix faible.

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