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Philippe ne devina pas la somme de sacrifice et d'abnégation qu'enfermaient ces simples mots «je te reviendrai » mais ils le tinrent tout de même muet un instant. Finalement, il murmura :

— Non... même à ce prix, pourtant inestimable pour moi, je ne puis accepter. Cette fille a mis la Bourgogne en péril, je ne puis permettre qu'elle retrouve la liberté et continue à nous nuire.

— Promets au moins de ne pas la livrer à l'Anglais ?

— Impossible ! Dans le traité qui me lie à l'Angleterre, une clause stipule que les prisonniers pris en cette guerre lui seront remis afin qu'elle en dispose à son gré. Au surplus... elle est la prisonnière de Luxembourg, pas la mienne ! C'est à lui de décider.

— C'est ton dernier mot ?

— Le dernier ! Aucun autre n'est possible...

— Même... à moi ?

— Même à toi. Si tu étais à ma place, tu comprendrais...

Lentement, la jeune femme se détourna, se dirigea vers les tentures pourpres qui fermaient la tente. La partie, elle le comprenait bien, était perdue irrémédiablement, pour une raison contre laquelle elle ne pouvait rien

! Philippe avait peur... une peur terrible et primitive de cette fille étrange, littéralement tombée du ciel pour arracher de l'ornière le royaume de France.

Et cette peur dominait tous les autres sentiments. Catherine savait qu'il était inutile de lui demander le secret de l'entrevue qu'il avait eue avec la Pucelle parce qu'il aimerait mieux se couper la langue que le confier à qui que ce soit. Sans doute n'y avait-il pas eu le dessus. Mais, si la jeune femme comprenait la frayeur qui tenait le puissant duc de Bourgogne, cela n'empêchait pas, en elle-même, la colère et la déception de faire leur œuvre destructrice. Un goût amer emplissait la bouche et elle avait besoin de le cracher.

Tendant la main pour écarter les tentures de soie, elle se retourna, très droite, si mince dans son vêtement noir, au seuil du fragile palais. Les yeux froids, elle le toisa.

— Te comprendre ? Je suppose que, jadis, un homme qui se nommait Pilate a, lui aussi, demandé qu'on le comprenne. Si tu ne rends pas Jehanne, je ne te pardonnerai jamais ! Adieu !

Elle partit, sans se retourner, sourde même à ce qu'elle crut bien être l'écho de son nom, prononcé du fond de la tente. Cette fois, les ponts étaient bien coupés... jamais plus elle ne reverrait cet homme parce qu'il lui avait refusé la seule chose qui eût une réelle importance à ses yeux. Dehors, elle retrouva son cheval, son escorteur et aussi Saint-Rémy qui accourait à nouveau.

— Alors, Catherine, vous nous revenez ?

Elle secoua la tête, tendit la main au brillant gentilhomme.

— Non, Jean... Pardonnez-moi. Je crois même qu'il vous faudra oublier que vous m'avez jamais connu !

— Comment ? Monseigneur le Duc vous aurait refusé son pardon ? A qui ferez-vous croire une chose pareille ?

— A personne... car c'est moi qui n'en ai pas voulu ! Adieu, Jean... je ne vous oublierai pas. Vous avez toujours été un ami si fidèle...

Le visage long du jeune homme s'empourpra sous la poussée d'une émotion soudaine. Il serra très fort les doigts minces entre les siens.

— Et je le resterai ! J'ignore ce qui vous sépare de Monseigneur et je demeure son humble serviteur. Mais rien ni personne ne m'empêchera de rester votre ami !

Catherine, émue, sentit ses yeux s'embuer. Brusquement, elle se haussa sur la pointe des pieds, posa un baiser rapide sur la joue du roi d'Armes.

— Merci ! Je m'en souviendrai. Maintenant, adieu... Adieu, Seigneur Toison d'Or...

Avant qu'il ait pu la retenir, elle avait sauté en selle, sans l'aide de personne, et piquait des deux en direction du pont. La nuit était complètement venue maintenant mais de nombreuses torches éclairaient le camp et les fantastiques silhouettes de ses machines de guerre au repos. Sur les murs de la ville, des pots à feu flambaient, couronne dansante suspendue dans l'obscurité. Bientôt Catherine et l'écuyer eurent disparu aux yeux de Saint-Rémy qui, très vite, furtivement mais avec une sorte de rage, essuya ses yeux à sa manche somptueuse.

Passée la porte de la ville, Catherine trouva Xaintrailles qui l'attendait avec une troupe tout armée. Les garçons qui la composaient ouvrirent des yeux ronds sous leurs chapeaux de fer en constatant que le messager de tout à l'heure était une femme comme l'attestaient les longs cheveux flottant sur son dos mais le capitaine leur imposa silence d'un geste sec. Saisissant le cheval au mors, il aida Catherine à descendre, nota sa rougeur.

— L'affaire a dû être chaude, marmotta-t-il. Vous avez l'air de sortir d'une dure bataille.

— Plus chaude encore que vous ne croyez. J'admets que vous aviez raison, messire Xaintrailles... mais j'ai échoué.

— Sans espoir ?

— Sans le moindre espoir. Il a peur...

Tenant toujours le cheval par la bride, Xaintrailles passa sa main libre sous le bras de Catherine et l'entraîna. Ils marchèrent un moment, en silence, puis le capitaine dit entre ses dents.

— J'aurais dû m'en douter ! Pour rien au monde il ne nous la rendrait. Le

Te Deumque Bedford a fait chanter à Paris donne la mesure de la peur qu'ils ont eue, tous tant qu'ils sont ! Il faudra trouver autre chose...

Mais Catherine, constatant qu'il lui faisait tourner le dos à l'abbaye Saint-Corneille et se dirigeait plutôt vers le vieux château de Charles V dont la masse triangulaire se découpait dans la nuit, s'arrêta net.

— Où me conduisez-vous ? Je veux retourner auprès d'Arnaud...

— C'est inutile. Il est inconscient. Et vous ne pouvez demeurer dans un couvent de bénédictins. Je vous ai fait préparer une chambre dans la maison d'une riche veuve où votre servante vous attend déjà. Demain matin vous pourrez venir aux nouvelles avant de repartir pour Bourges...

— Repartir pour Bourges ? Est-ce que vous êtes fou ? Pourquoi croyez-vous que je suis venue jusqu'ici ? Pour le plaisir contestable de me brouiller à mort avec Philippe de Bourgogne ? Tant qu'Arnaud y sera, j'y serai et aucune force humaine ne pourra m'en arracher, vous m'entendez ? Ni vous, ni personne...

— C'est bon ! fit-il conciliant avec un demi-sourire, ne criez pas si fort, vous allez ameuter tout le quartier ! Vous resterez, puisque vous y tenez, mais promettez-moi de n'aller au couvent qu'avec moi, sous ma garde. Je n'ai aucune envie que vous y fassiez du scandale. Au surplus, le siège va se durcir et je n'ai pas trop de tous mes hommes. Vous donner une escorte m'eût gêné. Allons, Catherine, cessez donc de me regarder avec cette mine furieuse. Vous n'avez pas encore compris, depuis le temps, que je suis votre allié ? Tenez, voici votre maison. Entrez et allez vous reposer, vous en avez le plus grand besoin.

— Mais... Arnaud ?

— Arnaud ne mourra pas cette nuit ! Le père prieur qui le soigne commence à reprendre espoir. Il dit qu'il devrait être mort depuis longtemps et que cette survie obstinée est bon signe. Il va essayer un nouveau traitement sur la nature duquel il reste muet comme une carpe...

Mal convaincue, Catherine enveloppa Xaintrailles d'un regard soupçonneux mais l'Auvergnat roux semblait curieusement détendu, ce soir. Il n'avait plus entre ses épais sourcils la barre soucieuse qu'il avait traînée tout le long de la route. Docile, déjà un peu rassurée, Catherine entra dans la maison dont il lui ouvrait la porte. Dans l'escalier, elle trouva Sara souriante.

— Viens, fit la tzingara, on t'a préparé un bon lit. Rien de comparable avec ces affreuses couchettes de moine ! Là-dedans, tu dormiras bien...

Il est certain que, le lendemain, Arnaud sans être encore vraiment mieux, avait perdu cet aspect cadavérique si terrifiant. Il était toujours pâle mais sa peau n'avait plus son reflet verdâtre et ses mains avaient enfin cessé leur tragique va-et-vient. Il écouta sans broncher le récit que lui fit Catherine de son entrevue avec Philippe de Bourgogne, indifférent en apparence, si lointain que la jeune femme se crut, une fois de plus, condamnée par lui.

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