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— Jean ! Comme je suis heureuse de vous rencontrer. Mais que vous voilà beau !

Instinctivement, elle retrouvait pour lui le ton léger et familier de leurs anciennes relations et cela lui fut salutaire. Elle se ressaisit, retrouva tout son contrôle d'elle-même. Cependant, Saint-Rémy pivotait sur ses talons avec des mines de gravure de mode et terminait par un profond salut.

— Voyez en moi, ma chère amie, le roi d'armes Toison d'Or, élu à l'unanimité par les membres du collège héraldique de Bourgogne. Je suis devenu un grand personnage. Comment me trouvez-vous ?

— Magnifique ! Mais, Jean, c'est le duc que je voudrais voir. Pensez-vous qu'il me recevra ?

Le sourire s'effaça du visage de Saint-Rémy qui se rembrunit.

— Il vous attend ! Mais il n'est pas de bonne humeur, sachez-le. Il y a si longtemps, en fait, qu'il vous attend ! Où étiez-vous passée ? Et comme vous voilà faite ! Oh, vous êtes toujours aussi belle mais vous avez maigri... et puis, vous semblez lasse.

— Je le suis, mon ami. Lasse de tout, croyez- moi !

Le nouveau roi d'armes hocha tristement la tête et prit la bride du cheval de la jeune femme.

— J'espère que Monseigneur Philippe saura ramener le sourire dans vos yeux. Notre Cour a moins d'éclat depuis que vous avez disparu.

— Vous avez une duchesse...

— Elle a beaucoup d'allure, son éducation est parfaite et sa beauté incontestable. Mais elle est un peu statue et je la trouve froide. Venez vite.

Je bavarde, je bavarde et Monseigneur attend. Il est inutile d'augmenter sa colère !

Quelques instants plus tard, Catherine sautait de cheval devant l'entrée de la tente ducale, où veillaient deux soldats de la garde personnelle.

Instinctivement, Catherine chercha le plumet blanc de Jacques de Roussay mais le jeune capitaine n'était visible nulle part. Précédée de Saint-Rémy un peu nerveux tout à coup, elle pénétra dans l'immense pavillon de velours pourpre et de drap d'or. Une seconde après, elle était en face de Philippe le Bon.

En revoyant le duc, Catherine eut l'impression qu'il avait vieilli. Ses traits avaient quelque chose de plus accentué et d'un peu figé. Cela tenait peut-

être aussi aux ombres mouvantes des flambeaux déjà allumés et posés un peu partout. Il se tenait debout, très droit, auprès d'une table qui supportait un gros évangéliaire d'ivoire, une main posée dessus, dans une attitude de hauteur qui devait lui être devenue naturelle mais qui avait quelque chose d'un peu trop pompeux et officiel. Il portait le harnois de guerre avec, autour du cou, un grand collier d'or, où alternaient des briquets et des bouquets de flammes. Le même mouton d'or plié en deux terminait ce joyau, tout comme celui du roi d'armes.

Lentement, mais sans courber la tête, Catherine plia le genou, retrouvant d'instinct le vieux salut féodal en face de celui en qui elle ne voulait voir pour le moment que le suzerain. Le costume masculin qu'elle portait eut d'ailleurs rendu ridicule la révérence. Mais, d'un geste bien féminin, elle fit glisser sur ses épaules le capuchon noir qui enserrait sa tête, livrant aux lumières l'or de sa chevelure tressée. Philippe n'avait même pas cillé. Ses yeux gris demeuraient attachés au visage de Catherine sans qu'aucun sourire vînt en atténuer la dureté. Ce fut lui, pourtant, qui parla le premier.

— Vous voilà tout de même, Madame ? Je n'espérais plus vous revoir jamais. En vérité, je vous ai crue morte et je m'étonne de votre audace. Vous disparaissez deux ans... ou peu s'en faut et, tout soudain, vous revenez et réclamez audience comme si vous vous étiez toujours comportée convenablement et comme si cette faveur vous était due !

En parlant, la voix brève de Philippe s'élevait peu à peu. Catherine eut l'impression qu'il cherchait à monter lui-même sa colère et décida de payer d'audace.

— Pourquoi donc me l'avoir accordée si je n'y avais point droit ?

— Pour voir si je vous reconnaîtrais ; si vous étiez toujours semblable au souvenir que je gardais de vous. Grâce au ciel, il n'en est rien ! Vous avez beaucoup changé, Madame... et pas à votre avantage !

La brutalité de Philippe, son manque total de la plus élémentaire courtoisie n'impressionnèrent pas Catherine. Il y avait longtemps qu'il avait perdu le pouvoir de lui faire peur. Si même il l'avait jamais possédé ! Tout au contraire, cela l'aida à retrouver la pleine possession d'elle-même et elle se permit un mince sourire.

— Vous ne supposez pas, Monseigneur, que je suis venue jusqu'à vous pour vous prier de remplacer mon miroir ? Ces deux années écoulées vous ont été douces, profitables même. Pour moi, elles ont été deux années de misère et de souffrance.

— Qui donc vous obligeait à tant souffrir ?

Personne ! Et ne vous imaginez pas que je les regrette ! J'ai souffert, oui, mais j'ai du moins cessé de me mépriser.

L'éclair de colère qui brilla dans les yeux de Philippe fit comprendre à Catherine qu'elle avait été trop loin et que, si elle poursuivait sur ce ton, son ambassade serait gravement compromise dès le départ. Or, elle n'avait, tout compte fait, rien à reprocher à Philippe et elle désirait obtenir de lui une faveur insigne. Elle fit aussitôt marche arrière.

— Pardonnez-moi ! Mes paroles ont dépassé ma pensée. Je voulais dire seulement que, puisque vous alliez prendre femme, je n'avais plus rien à faire auprès de vous. J'ai appris que vous étiez marié... heureux, je pense ?

— Très !

— Vous m'en voyez ravie. Les prières que j'ai faites pour votre bonheur ont, du moins, été exaucées...

Un silence pesant tomba entre eux, troublé seulement par le grésillement des chandelles et par le bâillement prolongé d'un grand lévrier couché près de la porte. Catherine ne savait plus comment reprendre le dialogue et cherchait une idée. Mais, brusquement, Philippe quitta sa pose hiératique et, arrachant le large chapeau de feutre noir, orné d'une plume de héron et d'une boucle de rubis qui le coiffait, fit le tour de la table et saisit Catherine par le poignet.

— Assez de faux-fuyants et de paroles officielles ! J'ai droit, je pense, à une explication. Voilà deux ans... deux ans, tu m'entends, que je l'attends.

Pourquoi m'as-tu quitté ?

Le tutoiement ancien fit voler la gêne en éclats. Catherine se sentit sur un terrain solide.

Je te l'ai dit : parce que tu allais te marier. J'ai trop d'orgueil pour accepter une seconde place et je ne voulais pas, après ce que j'avais été pour toi, servir de risée aux gens de ta Cour.

Une surprise sincère se peignit sur la figure de Phi- lippe. -

— De risée ? Étais-je donc, à tes yeux, un si pauvre prince que tu me jugeais incapable de t'assurer un rang conforme à celui que je t'avais donné ? Toi qui pleurais notre fils ?

Catherine refusa de se laisser attendrir par le souvenir de l'enfant.

Oh bien sûr, je pense que tu songeais à me marier... une fois de plus !

Quel mari postiche me destinais-tu cette fois, après ce malheureux Garin dont tu avais si froidement exploité la terrible infirmité ? Saint-Rémy ?

Lannoy, Toulongeon ? Lequel de tes seigneurs était prêt à épouser ta maîtresse pour te plaire... et à fermer soigneusement les yeux ensuite ?

— Aucun ! Je n'ai jamais admis de te partager avec personne. Je t'aurais faite duchesse, princesse indépendante... tu aurais pu choisir celui de mes états qui t'aurait convenu. Comme si tu ne savais pas que je t'aimais plus que tout au monde... comme si je ne t'en avais pas donné assez de preuves ! Et tout récemment encore. Sais-tu ce que c'est que cela ?

Il arrachait d'un geste brutal son grand collier d'or et le mettait sous le nez de la jeune femme.

— Le sais-tu ?

— Mais oui, répondit-elle doucement... La Toison d'Or. L'ordre que tu as créé en l'honneur de ton mariage.

— Mon mariage ? À qui crois-tu que je pensais en lui donnant ce nom ? Qui a jamais étalé, auprès de moi, la plus merveilleuse des toisons d'or ? Qui ai-je jamais appelé ainsi, sinon toi ?

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