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— Je ne suis même pas capable de savoir si je vous hais ou si je vous aime, Catherine, fit-il d'une voix rauque où vibrait déjà l'irritation. Que venez- vous me parler d'estime ?

Catherine le suivit des yeux un moment, tandis qu'il s'éloignait vers les appartements royaux. Sa démarche, si ferme habituellement, semblait s'être étrangement alourdie, se faisait hésitante comme s'il s'éloignait à regret et ses larges épaules se courbaient curieusement... Décidée à tout pour lui plaire, Catherine se hâta de rentrer chez elle, arracha plus qu'elle ne l'ôta la robe compromettante tout en racontant l'incident à Sara.

— Je me doutais bien, fit celle-ci, que la rouquine était trop polie pour être honnête. Pour ce soir, tu te contenteras d'une robe de velours noir. C'est ce que nous possédons de plus somptueux pour le moment.

Une robe de bure suffirait et vaudrait encore mieux que ce plumage tapageur, s'écria Catherine avec rage en jetant la robe loin d'elle. Tu feras rap porter tout cela à sa légitime propriétaire. Et tu te dispenseras de remercier...

Une fois prête, Catherine retourna au château. Comme elle regagnait le cercle des dames de la reine, celle-ci l'enveloppa d'un long regard appréciateur.

— Vous avez changé de toilette, Madame de Brazey ? demanda-t-elle doucement.

— En effet, Madame, répondit Catherine plongée dans sa révérence, et je demande pardon à Votre Majesté d'avoir pris la liberté de m'éloigner un moment sans sa permission. Mais... je n'aimais pas la robe que je portais et l'ai fait rendre à sa propriétaire.

Pour toute réponse, Yolande tendit la main à la jeune femme puis, très vite, elle ajouta :

— Moi non plus, je ne l'aimais pas. Merci d'avoir changé ! Venez, maintenant, nous allons ouïr le salut à l'église où Jehanne se trouve déjà.

Comme les dames se formaient en cortège pour escorter la reine jusqu'à la collégiale Saint-Ours, Catherine reçut en plein visage le regard chargé de colère de la dame de La Trémoille. Mais, si Arnaud était content d'elle, il lui était bien égal de s'être fait une ennemie.

Le soir même, un grand banquet avait lieu chez le roi. Toute la Cour y était conviée, mais Catherine obtint la permission de demeurer chez elle. La reine Yolande ne devait faire qu'une brève apparition et n'encourageait guère ses dames à s'y montrer car c'était, en fait, La Trémoille, organisateur ordinaire des plaisirs royaux, qui en avait réglé l'ordonnancement. Sa qualité de nouvelle venue, et aussi le besoin où elle était de monter convenablement sa maison et sa garde-robe, dispensaient momentanément la jeune femme de suivre la vie de Cour. Mais la raison profonde qui lui avait fait dédaigner la fête c'était-qu'Arnaud, pour un motif connu de lui seul, ne devait pas non plus s'y rendre. Quant à la Pucelle, elle avait pris logis, comme elle avait coutume de le faire, chez le notable de la ville dont la femme passait pour la plus vertueuse et, depuis le coucher du soleil, elle était retirée chez elle. Sans doute Arnaud voulait-il imiter celle qu'il considérait maintenant comme son chef direct.

Mais, revenue dans sa maison, Catherine ne put retrouver le calme. Les bruits du château perçaient la nuit. Les éclats de voix, le son des violes et les rires des femmes, tout le joyeux tintamarre d'une fête qui ne trouvait aucun écho dans le cœur de la jeune femme. Elle était restée un long moment à sa fenêtre, regardant la lune se lever sur les toits vernis de Loches. La ville endormie offrait une image de calme et de paix qui contrastait avec les flots de lumière ruisselant du logis royal. Sur la cité, tout était tranquillité. Seul, le cri d'un oiseau nocturne s'élevait, parfois, des rives embrumées de l'Indre...

Le regard de Catherine tourna, chercha les tours qui gardaient la porte des Cordeliers. Quelque chose l'attirait irrésistiblement de ce côté. La nuit était si douce ! Jamais elle ne pourrait dormir... Elle n'ignorait pas les discussions âpres qui s'étaient tenues au château entre Jehanne et Yolande, d'une part, le Roi, La Trémoille et le chancelier Regnault de Chartres, archevêque de Reims, d'autre part, au sujet du sacre de Charles. Jehanne et la reine voulaient que l'on courût droit sur la cité du sacre. L'entourage du roi alléguait le danger représenté par les campagnes encore occupées qu'il faudrait traverser. Si Jehanne l'emportait, ce que Catherine souhaitait, Arnaud, une fois de plus, s'éloignerait. Dans ces conditions, pourquoi perdre le temps précieux où elle l'avait encore à portée de la main ?

Sans même appeler Sara qui s'était endormie dans un coin de la chambre, épuisée par une journée entière d'installation et de grand ménage, elle alla tirer une cape sombre d'un coffre, s'en enveloppa et sortit. Tandis qu'elle s'engageait dans les ruelles menant à la porte Royale puis, de là, aux artères de la cité marchande, Catherine ne cherchait même pas à préparer ce qu'elle dirait une fois en présence d'Arnaud. A quoi bon chercher ? Son cœur saurait bien, le moment venu, lui dicter les mots nécessaires. Elle était habitée tout entière par le désir, presque douloureux, de l'avoir en face d'elle.

Les ruelles de Loches et, singulièrement, la rampe qui joignait la porte Royale à celle des Cordeliers étaient rigoureusement désertes. On y entendait encore les échos du festin avec, en surimpression, le pas pesant des archers veillant aux murailles de l'enceinte royale. Catherine vola plus qu'elle ne descendit la rue en pente, aimantée par la maison à l'effigie de saint Crépin dont, dans la journée, elle avait appris longuement à reconnaître le toit en fer de lance. Le logis du tanneur chez qui Arnaud habitait se blottissait dans l'ombre de l'épaisse tour quadrangulaire sous laquelle s'ouvrait la porte. Une faible lueur apparaissait sous l'arche ronde : la lanterne du corps de garde. Au-delà le murmure de l'eau courante indiquait la rivière.

Le quartier était très tranquille mais, de l'autre côté de la porte, sur le même alignement et doublant le rempart, une auberge rougeoyait dans la nuit de tous ses feux. On paraissait y mener aussi joyeuse vie qu'au château et Catherine prit bien garde de ne point passer dans les flaques de lumière que ses fenêtres basses répandaient sur les pavés inégaux. Elle se tapit dans l'ombre d'un contrefort de la tour, cherchant à deviner ce qui se passait derrière les fenêtres closes de la maison d'Arnaud. Un peu de lumière se montrait à l'étage et cette lumière attirait la jeune femme, irrésistiblement.

Lentement, elle s'approcha de la porte où brillait un gros anneau de bronze qui servait de heurtoir. Mais, comme elle tendait la main pour le saisir, elle se rejeta aussitôt en arrière, s'aplatit contre le mur... On parlait derrière cette porte qui, aussitôt, s'ouvrit. Il y eut un froufrou de soie, puis, une voix de femme.

— Je reviendrai demain, ne te tourmente pas..., chuchota une voix féminine que Catherine crut bien reconnaître.

Une autre voix, masculine celle-là, murmura quelque chose que la jeune femme ne comprit pas. Mais le reflet d'une chandelle éclaira la forme d'une femme grande et élégante dans une mante de soie couleur prune. La curiosité chez Catherine fut plus forte que la prudence. Avançant la tête avec précaution, elle put apercevoir le visage de la femme. Un masque de même couleur que sa mante le couvrait à demi mais le capuchon, glissant un peu en arrière, avait découvert une partie des cheveux roux de la visiteuse. Et ses lèvres rouges, au dessin sensuel, que le masque laissait à découvert, étaient bien celles de Catherine de La Trémoille.

Retenant une exclamation de colère et de dépit, Catherine se rejeta en arrière, comprimant sous sa main les battements désordonnés de son cœur.

Une douleur aiguë, insupportable, la traversait, si cruellement que jamais elle n'en avait connu de semblable. Pour la première fois elle découvrait en elle cette amère jalousie qui lui donnait envie de hurler et de mordre, tout en même temps !

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