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Tu n'as rien à y faire ce soir ! Il ne rentrera que demain avec le roi. Tu ne vas pas te mettre à courir les rues, dès cette nuit, pour le seul plaisir de contempler une porte close, même ornée de la figure de saint Crépin. Va donc te coucher. Je vais te porter un souper léger et ensuite tu dormiras.

Demain, il faut être belle et fraîche.

Joignant le geste à la parole, Sara dévêtit sa maîtresse en un tournemain, l'affubla d'une longue chemise plissée et la fourra au lit sans plus de cérémonie que si elle était encore une gamine de quinze ans. Après quoi, satisfaite, elle se planta devant elle les poings sur les hanches, goguenarde.

— Va falloir perdre ces habitudes de bohémienne que tu as prises depuis quelque temps, ma belle. Nous sommes maintenant redevenue une dame, une vraie. Et il faudra aussi compter avec Madame la Reine qui ne doit pas aimer beaucoup que ses dames d'honneur courent le guilledou après la nuit tombée.

La robe que la dame de La Trémoille fit porter, dès le matin, chez Catherine était réellement très belle et la jeune femme, à toucher le magnifique tissu, ne put retenir un frisson sensuel. Il y avait bien longtemps que ses doigts n'avaient palpé un véritable , brocart milanais, encore que la couleur ne l'enthousiasmât pas tellement. C'était un somptueux assemblage d'oiseaux fantastiques, des aigles surtout, d'azur et de pourpre sur un fond d'or tissé. Catherine, pour son goût, en trouvait les nuances un peu trop vives mais l'ensemble était gai et fastueux.

— Comment me trouves-tu ? demanda-t-elle à Sara une fois vêtue. Est-ce que je n'ai pas un peu l'air d'une enseigne de teinturier ?

Sourcils froncés, bouche serrée, Sara hocha la tête.

— À toi, tout va. C'est un peu vif mais joli tout de même.

Malgré cet avis favorable, Catherine ajouta à sa toilette une gorgerette de fine mousseline plissée dont le décolleté de la robe, réellement excessif, menaçait à tout moment de libérer complètement ses seins et une voix intérieure soufflait à Catherine que la reine Yolande n'apprécierait peut-être pas un aussi spectaculaire étalage de chair. Le son lointain d'une trompe l'arracha à la contemplation de son miroir. Elle se hâta d'enfoncer sur sa tête le hennin assorti à la robe, piqua les épingles un peu au hasard et se rua vers la porte.

— J'entends le cortège ! cria-t-elle à Sara. Il faut que j'aille au château.

En effet, le son se rapprochait, annonçant le roi, Jehanne et leur nombreuse escorte. Catherine, un peu hors d'haleine, rejoignit le cercle des dames de la reine juste comme les trompettes d'avant-garde franchissaient la porte Royale. Elle alla se placer auprès de Mme de Gaucourt. Consciente de l'effet qu'elle produisait, elle nota le sourire un peu amusé de la reine, les chuchotements des autres dames et le sourire éclatant de la dame de La Trémoille, toute vêtue de satin fauve et blanc. La longue habitude qu'elle avait des cours et de leurs curiosités lui fut d'un grand secours pour faire bonne contenance. Puis, comme la brillante cavalcade mettait pied à terre sur la terrasse du logis royal, elle oublia tout. Elle vit le roi et Jehanne qui chevauchaient côte à côte mais surtout, derrière l'armure blanche de la Pucelle, une autre armure, noire celle-là, et certain casque surmonté d'un épervier qui fit battre son cœur très vite. Arnaud semblait bien intégré à la suite de Jehanne, désormais. Il la suivait de près et, à côté de lui, Catherine reconnut Xaintrailles, La Hire et Jean d'Aulon.

Le roi, bien que son regard se fût attardé pensivement sur elle, n'intéressa Catherine que très peu. Elle fut même déçue de lui trouver si petite mine.

Mince, pâle et grêle avec un visage morose aux lignes tout en longueur, un nez tombant et des yeux globuleux, sans éclat et quasi sans vie, il semblait porter sur ses épaules étroites le poids d'une éternelle inquiétude. Ses robes de velours paraissaient trop grandes pour lui et le grand chapeau de feutre aux bords retroussés qu'il portait l'écrasait quelque peu. Derrière lui venait un énorme seigneur, incroyablement cousu d'or et de pourpre, sous un fantastique chaperon plus compliqué qu'un turban et que Catherine prit pour un musulman. Avec sa barbe brune, son large visage et ses gestes onctueux, avec surtout le luxe étourdissant qu'il affichait, celui-là ressemblait à un sultan. En voyant la dame de La Trémoille se jeter dans ses bras courts, Catherine comprit que c'était là son seigneur et maître, Georges de La Trémoille. Mais il avait tellement grossi, depuis qu'elle l'avait vu à la Cour de Philippe, qu'elle ne l'aurait pas reconnu ! Il semblait d'ailleurs plus vaniteux et plus inquiétant que jamais : le digne matou soyeux de la belle chatte rousse !

Tandis que la société entrait au château pour la collation, Catherine sentit une main la tirer en arrière, se retourna et se trouva en face d'Arnaud qui la regardait sévèrement.

— D'où tenez-vous cette robe ? fit-il brutalement sans même prendre la peine de la saluer tandis que son doigt, accusateur, désignait la toilette de la jeune femme.

— J'aimerais savoir en quoi cela peut vous intéresser ! répliqua-t-elle vivement. Est-ce parce que vous servez une femme que vous vous intéressez à la toilette ?

Puis, avec un sourire moqueur, elle ajouta :

— Vous ne me ferez pas croire que l'on parle tellement chiffons dans l'entourage de Jehanne !

Arnaud haussa les épaules, rougit légèrement.

— Je n'ai que faire de vos appréciations. Répondez ! D'où vient cette robe?

Catherine avait bonne envie de l'envoyer promener. Pourtant, il y avait dans le ton agressif du capitaine quelque chose d'inhabituel qu'elle ne put définir mais qui la poussa à lui obéir.

— Madame de La Trémoille me l'a fait porter ce matin pour me permettre de figurer convenablement à l'entrée du roi. Tout ce que je possède actuellement ne dépasse guère la toilette bourgeoise...

— Qui eût cent fois mieux valu en l'occurrence ! Toute la Cour connaît cette robe que Madame de La Trémoille a portée plusieurs fois et qui est faite à ses couleurs. Vous obliger à vous en affubler, c'est vous enrôler, aux yeux de tous, parmi les clients des La Trémoille. Ma parole, c'est presque une livrée dont on vous a accoutrée ! Et je me demande ce qu'en pense la reine Yolande. Ignorez-vous que La Trémoille est son pire ennemi et qu'il n'est pas un seul parmi les vrais amis du roi qui ne souhaiterait l'étouffer dans sa graisse pour les mauvais conseils qu'il donne à notre Sire ? Il est, en outre, l'ennemi mortel du connétable de Richemont1 et j'ajoute qu'il est, bien entendu, celui de Jehanne par-dessus le marché. Vous voilà fixée.

Catherine se sentit rougir, furieuse d'être tombée sans le savoir dans ce panneau stupide qui, une fois de plus, la rendait suspecte aux yeux d'Arnaud.

— J'ignorais tout cela ! fit-elle sincèrement. Comment aurais-je su ? Je ne suis arrivée qu'hier et ne connais rien de cette Cour...

— Alors, vous constaterez vite qu'elle est exactement semblable à celle de votre grand ami, le duc

1. Bien que beau-frère de Philippe le Bon, Arthur de Richemont, par loyalisme, était devenu connétable de France en 1425 et servait Charles VII.

Philippe. Mêmes intrigues, mêmes mensonges, même rapacité et mêmes coups de griffes cachés sous les sourires. Allez ôter cette robe si vous tenez à l'estime de la reine Yolande.

Il tournait déjà les talons pour rejoindre Xaintrailles quand Catherine le retint d'une main timidement posée sur son bras.

— Arnaud, murmura-t-elle en levant sur lui son beau regard lumineux de tendresse. C'est votre estime seule qui compte à mes yeux. Êtes-vous donc décidé à me haïr toute votre vie... ?

Pour la toute première fois dans l'histoire tumultueuse de leurs relations, il ne se fâcha pas mais détourna la tête, peut-être pour échapper à la trop douce magie des yeux qui l'imploraient. Sans brutalité, il détacha la main posée sur son bras.

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