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En un rien de temps, Catherine et Sara furent pourvues d'un logement dans l'enceinte de la cité royale, d'un personnel adéquat et même de vêtements dont l'une comme l'autre avaient le plus grand besoin. Mme de Gaucourt poussa l'amabilité jusqu'à faire remettre, le soir même, par le trésorier du palais, une bourse d'or à la nouvelle dame d'honneur. En même temps, dépêché par ses soins, un coureur sautait en selle et prenait la route à destination de Châteauvillain, muni d'une lettre de Catherine pour Ermengarde. La jeune femme mandait à son amie, aux soins de qui elle avait confié la plus grande partie de ses bijoux et de sa fortune liquide, de vouloir bien lui adresser le tout sous bonne escorte, à moins qu'elle ne préférât les lui apporter elle-même.

La maison que l'on avait attribuée à Catherine était plutôt petite et ne comportait que quatre pièces, mais elle était décorée de neuf et aussi agréable que possible. Elle appartenait à un ancien gouverneur du château qui ne l'habitait plus depuis que sa femme y était morte folle. On y logeait ordinairement les hôtes de passage. Deux valets en assuraient le service et, quand elle en prit possession, Catherine pensa qu'elle lui convenait parfaitement. Située à mi-chemin entre le collégiale Saint-Ours et le formidable donjon rectangulaire qui gardait l'éperon sud de la cité royale, elle ouvrait ses fenêtres étroites sur la vallée de l'Indre et les vergers étendus au soleil. » Tandis que Sara descendait à la cuisine pour s'occuper du dîner, Catherine procéda à une soigneuse toilette et changea de robe pour recevoir Mme de Gaucourt qui devait revenir dans la soirée.

Elle vint, en effet, après l'Angélus, toujours pressée, toujours affolée mais elle n'était pas seule. Une splendide créature, vêtue avec la plus grande richesse, l'accompagnait et Catherine, en les voyant entrer, pensa qu'elle n'avait jamais vu plus belle rousse. Le teint éclatant, la bouche rouge et sensuelle, la nouvelle venue portait une lourde robe de brocart de Venise vert et or dont la nuance s'assortissait à ses yeux pers et dont le décolleté généreux dévoilait audacieusement sa gorge parfaite. Ses cheveux de flamme sombre étaient presque entièrement cachés par un fantastique hennin de même tissu que la robe, si haut qu'il mettait le visage de la dame à mi-chemin de ses pieds et l'obligeait à se courber pour franchir les portes. Son visage, abondamment maquillé, se serait aisément passé de cette surcharge car il était lisse et plein mais sa forme triangulaire l'apparentait vaguement à une belle chatte et Catherine, amusée, songea qu'elle faisait avec Mme de Gaucourt une curieuse paire : la chatte et la souris.

Cependant, la belle rousse se jetait à son cou avec toutes les marques d'une joie désordonnée et l'embrassait chaleureusement

— Ma chère ! Quelle joie de vous voir ici ! Depuis de si longs mois où nul ne savait plus ce que vous étiez devenue ! Mon époux et moi-même nous tourmentions fort de vous ! On dit le duc Philippe inconsolable !...

Catherine fit la grimace. Entendre parler de Philippe à Loches était certainement la dernière chose qu'elle souhaitât. Mais Mme de Gaucourt, rouge jusqu'aux oreilles, toussota et vint à son secours.

— Il est vrai, dit-elle, que Madame de La Trémoille et notre Grand Chambellan ont bien souvent parlé de vous !

— Voyons, c'était tout normal : la rose de Bourgogne, la reine de Bruges la Fastueuse avait disparu. Il n'était pas une cour policée en Europe qui ne s'interrogeât sur ce qu'elle était devenue !

La belle Mme de La Trémoille se jeta sur un haut fauteuil garni de coussins rouges et se mit à bavarder à tort et à travers tandis que Catherine, un peu remise de sa surprise, l'examinait entre ses yeux mi-clos, un sourire de commande sur les lèvres. Elle avait déjà rencontré, à la Cour de Philippe, le gros Georges de La Trémoille, mais c'était la première fois qu'elle voyait son épouse. Ce n'était pourtant pas faute d'en avoir entendu parler car la dame avait eu l'existence la plus orageuse qui fût ! Ainsi, c'était là cette fameuse Catherine de l'Isle-Bouchard ? Son histoire valait un roman, en vérité !

Veuve en premières noces d'un grand seigneur bourguignon, Hughes de Châlon, elle avait attiré et pris au filet de sa voluptueuse beauté l'inquiétant Pierre de Giac, alors favori de Charles VII, un seigneur forban qui avait, à ce qu'il avoua lui-même au moment de mourir, vendu sa main droite au Diable.

Pour l'amour de la belle Catherine, Giac assassina sa première femme, Jeanne de Naillac, dans d'abominables conditions : après lui avoir fait boire, par force, du poison, il avait jeté la malheureuse, enceinte et presque à terme, sur son cheval qu'il avait lancé au galop à travers la campagne et ne s'était arrêté que lorsque sa victime eut rendu l'âme. Il l'avait enterrée sur place, puis, tranquillement, était revenu épouser sa belle. Mais La Trémoille convoitait aussi l'opulente veuve et n'eut de cesse qu'il se fût débarrassé de Giac. Convaincu de trahison, celui- ci fut arrêté en pleine nuit, par ordre de la reine Yolande, jugé, cousu dans un sac de cuir et jeté à l'Auron. Trois semaines plus tard, Catherine de Giac épousait La Trémoille.

Depuis, le couple menait la vie la plus somptueuse et la plus dissolue qui fût. Le mari, d'une insatiable ambition, avait des goûts de satrape et l'épouse un tempérament de feu. Ils constituaient à eux deux une sorte de curiosité qui n'en était pas moins redoutable pour autant.

Tout le temps que dura la visite de la dame de La Trémoille, Catherine resta sur une souriante réserve. Elle commençait à deviner qu'il pouvait être aussi difficile de naviguer à la Cour de Charles VII qu'à celle de Philippe de Bourgogne. Davantage peut-être car elle n'aurait ici ni l'amour du maître, ni l'amitié à poigne solide d'une Ermengarde de Châteauvillain. La prudence, elle le sentait instinctivement, allait s'imposer. Mais elle n'en accepta pas moins les offres de service que lui fit sa visiteuse.

— Dès demain, fit celle-ci, je vous présenterai moi-même au roi. Si, si, j'y tiens ! Je vous prêterai une robe convenable car, d'ici là, vous n'aurez pas le temps de remonter votre garde-robe.

Catherine remercia poliment et les deux visiteuses se retirèrent peu après, en conseillant à la jeune femme de prendre un repos nécessaire. Mme de Gaucourt, d'ailleurs, semblait avoir hâte de partir et Catherine ne les retint pas.

— A ta place, fit Sara qui était réapparue peu après la sortie des deux dames de la Cour, je me méfierais de cette belle rouquine ! Ses lèvres sourient et ses paroles sont de miel mais ses yeux sont froids, appréciateurs.

Sois assurée que, si cette belle dame ne tire pas de toi ce qu'elle espère en tirer, elle sera pour toi une ennemie sérieuse.

— Et que crois-tu qu'elle veuille tirer de moi ?

— Comment veux-tu que je le sache ? Nous arrivons seulement. Mais je tâcherai d'en apprendre le plus que je pourrai sur les La Trémoille.

Tout en commençant à se dévêtir pour se mettre au lit, Catherine se tourna vers sa fidèle compagne.

— Il y a quelque chose de bien plus important à apprendre pour moi, fit-elle. Arrange-toi pour savoir où loge le capitaine de Montsalvy quand il est à Loches.

Sara n'hésita même pas une seconde.

— Quand il n'est pas de service auprès du roi, il loge en ville, auprès de la porte des Cordeliers, dans une maison qui appartient à un riche tanneur et qui porte une image de saint Crépin au-dessus de la porte.

Puis, comme Catherine, les yeux arrondis de stupeur, la considérait avec un respect nouveau, elle ajouta en riant :

— C'est la première chose dont je me suis inquiétée auprès de nos valets parce que je savais aussi que ce serait la première chose que tu voudrais connaître.

Un peu de rose aux pommettes, Catherine renouait déjà, hâtivement, les lacets de sa robe. Sara s'empara avec autorité desdits lacets et les ôta.

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