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Derrière les hautes murailles solides de la forteresse, si semblables à leur maîtresse par l'impression de sûreté qu'elles donnaient au premier abord, Catherine vécut les jours paisibles dont elle avait le plus grand besoin. La demeure féodale dont les tours grises se miraient dans les eaux calmes de l'Aujon lui offrit un havre de paix et de longues soirées passées à contempler le coucher du soleil par-dessus les frondaisons de la forêt. C'est là qu'un matin d'août, après une dure nuit de combat contre la souffrance, Catherine donna le jour à un petit garçon que le chapelain du château baptisa sur l'heure du nom de Philippe... Ermengarde délirait de joie en regardant la nourrice, choisie par elle entre mille, emmailloter le nouveau-né. Elle était, certes, plus heureuse que Catherine elle-même. Le sentiment maternel ne vibrait pas très haut chez celle-ci. Elle n'avait pas désiré d'enfant de Philippe. L'amour qu'elle pouvait éprouver pour lui était plus de chair que d'esprit. Il l'attirait, il savait faire couler du feu dans ses veines et aussi la rendre profondément heureuse au moment de l'amour mais elle n'avait jamais déliré pour lui, brûlé de lièvre et d'ardeur et de passion, comme elle avait brûlé pour Arnaud. Et son absence ne lui pesait pas autrement.

Pourtant, quand il était venu à Châteauvillain, un mois environ après la naissance de l'enfant, elle en avait éprouvé de la joie. Philippe dégageait un charme magnétique et, auprès de lui, Catherine parvenait à se persuader aisément qu'il suffirait à emplir sa vie. Il s'était jeté à ses pieds pour implorer son pardon de n'être point venu plus tôt, il avait juré qu'il l'aimait plus que jamais et il le lui avait passionnément prouvé la nuit même de son arrivée.

Entre ses bras, Catherine s'était sentie revivre. Les sensations profondes, si ardentes, qu'il avait le don de lui offrir, réveillèrent en elle le goût de la vie, la coquetterie, l'envie d'être belle.

Il ne lui cacha pas, alors, qu'il allait se remarier. Mariage de convenance s'il en fut : il devait, au mois de novembre, épouser la comtesse Bonne d'Artois, beaucoup plus âgée que lui et veuve du propre oncle de Philippe, le comte de Nevers tué à Azincourt. Bonne était douce, timide, effacée et maladive mais son alliance était indispensable à la Bourgogne. Et Philippe se sacrifiait en épousant sa tante.

— Tu n'as pas à en être jalouse, avait-il affirmé à Catherine. Je n'aime et n'aimerai jamais que toi. Et, dès maintenant, tu ne me quitteras plus. Tu seras dame d'honneur de la duchesse, si tu le veux...

Catherine avait refusé, plus par orgueil que par souci des convenances. Elle ne voulait pas servir au grand jour une femme dont elle annexait le mari pendant la nuit. Elle avait obtenu de demeurer encore quelque temps auprès d'Ermengarde. Philippe avait acquiescé. Le 30 novembre 1424, il avait épousé Bonne de Nevers à Moulins-Engilbert mais, quelques jours plus tard, il revenait à francs étriers voler quelques baisers à sa maîtresse, la suppliant de revenir auprès de lui. Une fois encore, elle avait refusé. Elle aimait cette vie de campagne, la société vivifiante d'Ermengarde et aussi la compagnie de l'enfant auquel, à mesure que passait le temps, elle s'attachait enfin. Mais les jours de la nouvelle duchesse de Bourgogne étaient comptés. Avant qu'un an se fût écoulé, le 17 septembre 1425, elle mourait, laissant Philippe veuf une fois de plus, une fois de plus sans enfant légitime. Alors, presque de force, il avait arraché Catherine à sa calme retraite, en avait fait la favorite avouée, l'étoile éblouissante et toute- puissante autour de laquelle gravitait sa Cour, la plus brillante d'Europe.

Il lui avait rendu, et au centuple, tout ce que les hommes de justice lui avaient pris au moment du procès de Garin. Elle fut comtesse de Brazey afin que le petit Philippe eût un titre, elle posséda bientôt un château à Chenôve, au-dessus de Dijon, un petit palais à Bruges, des terres, de nouveaux joyaux, d'éblouissantes toilettes et l'amour de Philippe qui. jamais, ne se démentait.

Il vivait, prosterné devant sa beauté qu'il s'entendait si bien à exalter dans les fêtes et les tournois.

Aimée, adulée, adorée, comblée, Catherine eût dû normalement être heureuse. Pourtant, il n'en était rien et, après quatre ans écoulés, quand, dans le silence de certaines nuits solitaires et sous les courtines de brocart de sa chambre, elle interrogeait son cœur, elle ne trouvait que le silence. L'amour dont on l'accablait, car nombre d'hommes s'étaient déjà épris d'elle et, souvent, au point de braver, pour le lui dire, la jalousie de Philippe ; cet amour, elle ne parvenait à le ressentir pour aucun. Certains, dans l'espoir d'un regard, d'un sourire, s'étaient entretués. Elle ne pouvait que les plaindre.

Mais jamais la pitié ne devenait amour. Et, lorsqu'elle était dans les bras de Philippe, l'ennui bien souvent la poursuivait jusque sous ses baisers. Elle ne savait plus vibrer comme au début de leurs amours aux caresses savantes qu'il lui prodiguait toujours avec autant de passion.

Un seul, peut-être, eût réussi à éveiller le cœur endormi de la belle comtesse.

Mais à celui-là, elle s'interdisait de penser. Il était loin, il était marié, inaccessible, perdu pour elle à tout jamais, cet Arnaud dont le seul nom avait le cruel pouvoir d'éveiller un douloureux écho dans son âme...

Jean Van Eyck avait respecté la songerie de la jeune femme. Debout devant la cheminée, elle regardait machinalement les flammes à travers le rubis liquide de son verre. Et la grâce de son attitude était telle que le peintre fut tenté de reprendre ses pinceaux et de commencer une autre toile. Il sourit en lui-même, pensant qu'une « Vierge au verre de vin » recevrait peut-être un curieux accueil. Mais il n'aimait pas sentir Catherine s'évader ainsi de sa présence. C'était, depuis quelque temps, chose trop fréquente.

Il allait parler quand un serviteur, portant la livrée violette et argent que Catherine avait conservée, entra. Glissant silencieusement sur le carrelage chatoyant où alternaient les étoiles jaunes et les chimères bleues, il vint jusqu'à la jeune femme et lui apprit que messire de Saint-Rémy souhaitait être reçu. Catherine sursauta, comme si la voix mesurée du valet l'avait éveillée brusquement d'un songe, et ordonna d'introduire le visiteur. Van Eyck soupira :

— Nous en avons pour une bonne heure à entendre les derniers potins de la Cour. Je déteste cet incurable bavard et j'ai bien envie de m'en aller.

— Non, restez ! pria Catherine. Quand il y a quelqu'un, il n'ose pas me faire la cour.

— Lui aussi ! soupira le peintre. Je me demande, ma chère, s'il y a un seul homme digne de ce nom dans tout le territoire des Flandres et de la Bourgogne qui ne soit pas plus ou moins amoureux de vous. C'est bon, je reste !

D'ailleurs, Saint-Rémy entrait, élégant, somptueux à son habitude, et le visage éclairé d'un large sourire. Pour cette visite, l'arbitre des élégances bourguignonnes s'était vêtu aux couleurs de l'automne. Le velours feuille morte de la robe mi-longue et fendue en plusieurs endroits qui le vêtait montrait, à l'envers des fantastiques manches découpées, les reflets d'un brocart à feuilles dorées et pourprées. Les chausses collantes étaient d'un joyeux écarlate et le chapeau de velours assorti au costume se piquait de feuilles d'or fin semblables à celles qui ornaient la poignée de la dague passée à la ceinture, très basse, du gentilhomme. D'immenses poulaines écarlates prolongeaient les chaussures de Saint-Rémy et lui conféraient une curieuse démarche, assez proche de celle du canard. Avec lui entra un peu de l'air vif du dehors et la paix douillette de la grande pièce harmonieuse vola en éclats.

Saint-Rémy se récria sur la beauté de Catherine, admira sans réserve le tableau commencé, examina en connaisseur les pièces d'orfèvrerie des dressoirs, s'agita, tourbillonna et finalement s'installa dans un fauteuil, acceptant la coupe de vin que lui offrait son hôtesse. Il enveloppa Van Eyck d'un regard plein de sympathie.

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