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L'idée était bien d'un fou. Je fus surpris comme j'essayais d'escalader le mur d'un jardin, saisi, chargé de chaînes et traîné devant le bey. Il voulait me faire trancher la tête sur l'heure mais le comte Jean, averti, intervint. Non sans peine, il obtint grâce pour ma vie ! Mais je n'en fus pas moins livré au bourreau pour expier l'offense dont je m'étais rendu coupable. Lorsque je sortis d'entre ses mains j'étais vivant, mais j'avais cessé d'être un homme !

On soigna ma blessure suivant le mode barbare usité pour les futurs gardiens de harems : on m'enterra dans le sable jusqu'au cou pendant plusieurs jours.

Je faillis en mourir... mais mon heure n'était pas venue. Je rentrai en France, retrouvai les miens... et laissai Marie de La Chesnel en épouser un autre...

Muette maintenant, les yeux agrandis d'horreur, Catherine regardait son mari comme si elle le voyait pour la première fois. Il n'y avait plus trace de colère en elle, rien qu'une immense pitié qui montait du plus profond de son cœur pour s'en aller rejoindre cet homme dont, cette fois, elle comprenait le calvaire. Un lourd silence vint remplacer, au fond du caveau, la voix étrangement calme et lente de Garin. Seule, une goutte d'eau tombant de la voûte suintante vint le troubler. La gorge serrée, oppressée, Catherine cherchait en vain des mots qui ne fussent pas stupides ou offensants car elle devinait en Garin une sensibilité d'écorché vif. Pourtant, ce fut elle qui parla la première, d'une voix contenue, teintée d'un inconscient respect :

— Et... le duc connaissait votre blessure quand il vous a ordonné de m'épouser ?

— Bien entendu ! riposta Garin avec un sourire amer. Seul, le duc Jean connaissait ma honte et m'avait juré le secret. Ce secret, Philippe l'a appris fortuitement, un jour où, dans un engagement, j'avais été blessé auprès de lui. Nous étions seuls, écartés du reste de l'escorte. Il m'a soigné de sa main, ranimé, sauvé en me faisant emporter rapidement. Mais il savait... Lui aussi me promit le secret. Et il a tenu parole... pourtant, j'ai cessé de lui en être reconnaissant le jour où il s'en est souvenu pour vous lier à moi. Je crois que c'est la nuit même de notre mariage que j'ai commencé à le haïr, quand j'ai eu la révélation totale de votre beauté. Vous étiez si merveilleuse !... et vous me demeuriez à jamais interdite... inaccessible ! Et moi, je vous aimais, je vous aimais comme le fou que j'ai failli devenir...

Sa voix s'enrouait, il avait détourné la tête, mais à la lueur tremblante de la torche, Catherine vit une larme, une seule, rouler sur la joue mal rasée et se perdre dans les poils hirsutes. Bouleversée, elle se jeta à genoux auprès de l'homme enchaîné, tira son mouchoir et, doucement, essuya la petite traînée humide.

— Garin, murmura-t-elle... pourquoi ne me l'avez-vous pas dit plus tôt !

Pourquoi ce silence ?

N'aviez-vous pas compris que je pouvais vous aider? Je jure que, si j'avais su cette navrante histoire, jamais le duc ne m'aurait touchée, jamais je ne vous aurais infligé cette honte, ce supplice barbare !

— Et vous auriez eu tort, ma mie ! Vous êtes faite pour l'amour, pour le bonheur et pour donner la vie. Avec moi, votre existence était engagée dans une impasse...

La colère de Catherine changeait de but. C'était à Philippe qu'elle en voulait maintenant, pour ce froid et cruel calcul dont Garin avait été la victime. Comment avait-il osé se servir du lamentable secret que le hasard lui avait fait découvrir ? Par contrecoup, toute rancune s'était abolie en elle envers son mari.

— Je ne peux pas vous laisser mourir, chuchota-t-elle très vite. Il faut faire quelque chose... Cet homme, votre geôlier... il aime l'or. En lui offrant une fortune, il vous laisserait fuir pour peu qu'on lui assure une retraite...

Écoutez : je n'ai pas d'argent mais j'ai tous mes bijoux, tous ceux que vous m'avez donnés et même votre diamant noir. N'importe lequel d'entre eux représente une énorme fortune pour un homme comme celui-là et...

— Non ! coupa brusquement Garin. N'en dites pas plus ! Je vous remercie de cette pensée que vous dictent votre cœur et votre sens de la justice, mais je n'ai plus envie de vivre ! Au fond, en me condamnant à mort, Philippe Mâchefoing et ses échevins m'ont rendu service. Vous ne savez pas à quel point je suis las de la vie...

Les yeux de Catherine se rivèrent aux deux mains de Garin, emprisonnées dans la cangue de bois du cep. Elles donnaient une extraordinaire impression d'abandon et de fragilité.

La liberté ! murmura la jeune femme... la liberté, c'est une si belle chose !

Vous êtes encore jeune, plein de vie, riche si vous le voulez. Avec ce que j'ai sauvé vous referez une fortune, ailleurs... loin d'ici, vous aurez une nouvelle vie...

— Et qu'est-ce que j'en ferai ? Continuer à endurer ce délicieux et infernal supplice de Tantale que vous représentez ? Rester ce Prométhée enchaîné par l'impuissance et dévoré tout vif par le vautour du désir, interminablement, jusqu'à ce que vienne la vieillesse ? Non, Catherine, merci ! J'ai fait ma paix avec vous, du moins, je le crois, je peux mourir et, croyez-moi, je mourrai heureux !

Elle voulut tenter encore de le convaincre, désespérée maintenant de savoir sa fin si proche. Tout cela lui paraissait monstrueusement injuste !

Elle en oubliait de bon cœur que, par sa faute, elle avait connu des tourments plus cruels encore que ceux endurés par lui. Mais des bruits de pas se faisaient entendre dans l'escalier, puis le son de deux voix.

— On vient ! fit Garin qui avait entendu. Le geôlier et, sans doute, le père qui vient m'exhorter ! Il vous faut partir. Adieu, Catherine...

pardonnez-moi de n'avoir pas su vous rendre heureuse. Et pensez quelquefois à moi, dans vos prières. Moi, je mourrai en prononçant votre nom.

Son visage blessé s'était figé comme s'il était devenu de pierre. Des larmes jaillirent des yeux de Catherine. Elle tordit nerveusement ses mains l'une contre l'autre.

— Ne puis-je vraiment rien pour vous... rien ? Moi qui voudrais tellement...

Une lueur s'alluma brusquement dans l'œil unique de Garin.

Peut-être, chuchota-t-il très bas. Ecoutez ! je ne crains ni la potence ni la torture... mais la claie me fait horreur. Etre traîné comme une bête crevée dans la poussière, à la hauteur des pieds de la foule, sous les immondices et les crachats d'une populace imbécile... cela, oui, j'en ai très peur ! Si vous pouvez me l'épargner, je prierai Dieu de vous bénir...

— Mais comment ?

La porte du cachot s'ouvrait, livrant passage à Roussot et à un moine cordelier dont les mains disparaissaient sous les manches de bure brune de la robe, le visage sous le capuchon baissé.

— C'est l'heure ! fit le geôlier à l'adresse de Catherine. Je ne vous ai laissée que trop longtemps. Mais le bon père ne dira rien. Venez...

— Un moment encore ! s'écria Garin.

Puis, levant vers la jeune femme un regard qui suppliait qu'on lût en lui :

— Avant d'en finir avec la vie, je voudrais boire encore une fois une pinte de vin de Beaune... de celui que s'entend si bien à soigner mon sommelier Abou ! Demandez à cet homme de vous permettre de m'en faire parvenir un pot.

Roussot éclata d'un gros rire et se tapa sur les cuisses.

— Sacré Bourguignon, va ! Tu ne veux pas sauter le pas sans avoir bu un dernier coup ? C'est une chose que je comprends moi ! Le vin de Beaune, j'aime ça !

— Mon fils ! fit le moine scandalisé. Une telle préoccupation avant de paraître devant Dieu...

— Appelez cela, plutôt, un dernier adieu à la terre qu'il a faite si belle !

répliqua Garin avec un sourire.

Catherine ne dit rien. Elle avait compris ce que voulait Garin. Elle se dirigea vers la porte, escortée du geôlier, mais, sur le seuil, se retourna. Elle vit que le regard de son mari était toujours rivé à elle et, cette fois, avec une telle expression d'amour et de désespoir qu'un sanglot s'étrangla dans sa gorge.

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