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— Eh bien... il me trouvera en rentrant, voilà tout ! Ce sera pour lui une bonne surprise...

— Et pour toi ? La nuit qui t'attend sera-t-elle aussi une bonne surprise ?

Les gros yeux blancs de la négresse fouillaient le regard vacillant de Catherine, scrutaient son visage où montait une rougeur.

— Un peu plus tôt un peu plus tard !... murmura la jeune femme avec un geste évasif.

— Je croyais, dit Fatima lentement, que tu désirais plus que tout gagner Al Hamra ?

A ce nom, le cœur de Catherine manqua un battement, mais elle se força à montrer de la désinvolture.

— À quoi bon rêver ? Qui peut se vanter de réaliser ses rêves ?

— Obéis-moi et, ce rêve-là du moins, tu le réaliseras, et sans tarder. Viens avec moi.

Elle prit le poignet de Catherine, voulut l'entraîner, mais, saisie d'une brusque méfiance, celle-ci résista.

— Où m'emmènes-tu ?

— Vers cette femme que tu vois là, près de la vasque... et vers Al Hamra, si tu le veux toujours. Cette vieille est Morayma. Tout le monde la connaît ici, et la recherche parce qu'elle dirige le harem du Maître. Elle t'avait remarquée, l'autre jour, et c'est pour toi qu'elle est revenue. Suis-la et, au lieu du petit médecin, c'est au Calife que tu appartiendras...

— Au Calife ? fit Catherine d'une voix blanche. Tu me proposes d'entrer au harem.

D'instinct, elle allait repousser avec horreur cette proposition, mais une phrase d'Abou-al-Khayr lui revint en mémoire : « Les appartements de Zobeïda font partie du harem », et une autre encore :

« C'est dans le jardin même de Zobeïda, dans un pavillon séparé, que vit messire Arnaud... » Entrer au harem, c'était approcher d'Arnaud.

Elle ne pouvait rien rêver de mieux en fait d'occasion.

Courageusement, elle ferma son esprit à la voix de la crainte : si elle approchait seulement le captif de Zobeïda, si elle osait lui parler, elle serait livrée aux bourreaux mongols de la princesse. Tant de fois déjà elle avait défié la torture et la mort ! Les bourreaux de Grenade ne devaient pas être pires que ceux d'Amboise. Et puis, une fois reconnue d'Arnaud, ils seraient deux à combattre... deux à mourir s'il le fallait. Car, de toute son âme, Catherine appelait cette mort commune si c'était là le prix qu'il fallait payer pour être à jamais réunie à son époux. Mieux valait, cent fois, mourir avec lui que le laisser à cette femme et, de toute façon, ce serait bien...

Le parti de la jeune femme fut pris. Elle redressa la tête, rencontra le regard soucieux de Fatima, lui sourit.

— Je te suis, dit-elle. Et je te remercie. La seule chose que je demande est que tu t'engages à faire porter, chez le médecin, une lettre que je te donnerai. Il a été bon pour moi.

— Je peux comprendre cela. Abou le médecin aura sa lettre, mais viens, Morayma s'impatiente.

La vieille femme donnait, en effet, des signes d'agitation. Elle avait quitté l'appui de la vasque rose et s'avançait à grands pas, en femme qui n'a plus de temps à perdre. La voyant approcher, Fatima ôta, d'un geste rapide de prestidigitateur, le voile safrané qui enveloppait Catherine, laissant étinceler sous le soleil ses cheveux tressés de fils d'or, dévoilant sa fine silhouette à peine dissimulée par les amples pantalons de mousseline jaune pâle et le court boléro filigrané d'or dont le profond décolleté menaçait, à chaque mouvement, de laisser jaillir sa gorge... Dans l'encadrement mauve et vert du voile, Catherine vit briller les yeux de la vieille qui, d'un geste agacé, rejeta l'étoffe, découvrant la peau jaune, plissée et desséchée, mais aussi le profil rapace d'une vieille Juive couverte de bijoux ; une bouche affaissée par absence de dentition dont le sourire n'était plus qu'une vilaine grimace. Seules, les mains couvertes de bagues voyantes étaient encore belles. Morayma devait en prendre un soin extrême, les enduire quotidiennement d'huiles et de crèmes, car elles dégageaient à chaque geste un parfum pénétrant et leur peau était douce.

Catherine, néanmoins, frissonna de dégoût quand ces mains se posèrent sur son flanc pour éprouver la douceur de sa propre peau.

— Tu peux être tranquille, commenta Fatima goguenarde. Le grain est lisse et fin, sans défaut.

— Je vois ! fit seulement l'autre qui, tranquillement ouvrit le boléro, libérant les seins de la jeune femme qu'elle pinça à deux doigts pour en éprouver la fermeté.

— Les plus beaux fruits de l'amour ! ajouta Fatima, faisant l'article sans plus de pudeur qu'un marchand de tapis. Quel homme ne les préférerait à sa raison ? Tu peux chercher, Morayma : des contrées glacées du Nord aux sables brûlants du désert, des colonnes d'Hercule aux échelles du Levant, et jusque chez le Grand Khan, tu ne trouveras pas de fleur plus parfaite à offrir au Tout-Puissant Commandeur des Croyants !

Pour toute réponse Morayma hocha la tête d'un air approbateur puis ordonna à Catherine :

— Ouvre la bouche !

— Pour quoi faire ? s'insurgea la jeune femme, oubliant déjà ses bonnes résolutions en se voyant traitée comme un simple cheval.

— Pour m'assurer que ton haleine est saine ! riposta sèchement Morayma. J'espère, femme, que ton caractère est souple et obéissant.

Je ne me soucie pas d'offrir au Calife une fille rebelle ou tout au moins insoumise...

— Pardonne-moi ! fit Catherine en rougissant.

Et, docilement, elle ouvrit la bouche, découvrant un palais rose et d'étincelantes dents blanches, entre lesquelles la vieille engagea un nez prudent. Du coup, la jeune femme dut maîtriser une brusque envie de rire tandis que la vieille coulait vers la grosse Éthiopienne un regard amusé.

— Que lui fais-tu mâcher, vieille sorcière ? Son haleine embaume

! — Fleurs de jasmin et clous de girofle ! grogna Fatima qui n'aimait pas donner ses recettes, mais qui savait bien qu'avec la gardienne du harem, il était inutile de finasser. - Alors, que décides-tu

? — Je l'emmène. Va te préparer, femme, et dépêche- toi ! Je dois rentrer...

Sans plus hésiter, ramassant ses vêtements, Catherine gagna sa chambre en courant. Elle laissait les deux femmes discuter ce qui, pour Fatima, était le plus intéressant : le prix qui devait, obligatoirement, être important.

— Il faut que je dédommage quelque peu le médecin ! entendit-elle, clamé par la grosse Éthiopienne.

— Le Calife a toujours le droit de distinguer une esclave. C'est un honneur pour un de ses sujets de la lui offrir-La porte de sa chambre claquant derrière elle dispensa Catherine d'en entendre davantage. Ce marchandage lui était indifférent. Elle savait très bien que Fatima mettrait dans sa poche la plus grande partie de l'or qu'elle allait recevoir, se réservant justement d'alléguer, pour son client, le cas de force majeure et les droits imprescriptibles du souverain.

Hâtivement, Catherine saisit un morceau de papier de coton ', une plume et griffonna quelques mots pour Abou, l'informant de son départ pour le harem d'Al Hamra : « Je suis heureuse, lui écrivait-elle.

Je vais enfin approcher mon époux. Ne vous tourmentez pas pour moi, mais empêchez Gauthier et Josse de se livrer à des tentatives inconsidérées. J'essaierai de vous faire parvenir des nouvelles, peut-

être par Fatima... à moins que vous ne trouviez le moyen d'entrer au harem... »

1 Les Arabes en ont fait usage bien avant nous.

Un appel venu d'en bas la fit sursauter. La vieille Morayma s'impatientait. Saisissant hâtivement un paquet de vêtements au hasard, elle le fourra sous son bras, prit le voile qu'elle portait tout à l'heure et sortit dans la galerie du patio, juste à temps pour apercevoir Fatima comptant, avec une convoitise béate, une respectable pile de dinars d'or qui étincelaient au soleil. Mais à peine apparut-elle que la main de la gardienne s'abattait sur son bras, en arrachait le paquet de vêtements qu'elle jetait à terre avec mépris.

— Qu'as-tu à faire de cette friperie ? Au palais, je te vêtirai selon les goûts du Maître. Viens maintenant...

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