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— Un moment encore, pria Catherine. Laisse-moi dire adieu à Fatima.

— Tu la reverras. Il arrive que l'on fasse appel à ses soins au harem. Elle connaît des secrets de beauté et d'amour qui font merveille.

Mais, Fatima, qui avait entendu, faisait glisser son or dans un sac en peau de chèvre et rejoignait les deux femmes. Avec des gestes presque maternels, la grosse négresse arrangea le voile de Catherine qui en profita pour lui glisser subrepticement le message pour Abou.

Puis, lui souriant d'un air encourageant :

— Va vers ton destin, Lumière de l'Aurore. Mais, quand tu seras la bien-aimée, le joyau précieux du Calife, souviens-toi de Fatima...

— Sois tranquille, promit Catherine jouant le jeu jusqu'au bout. Je ne t'oublierai jamais...

Elle était sincère en disant ces mots. Il n'était pas possible d'oublier les jours bizarres, mais, à tout prendre amusants, qu'elle avait passés chez l'Éthiopienne. Et puis, Fatima avait été bonne pour elle, même si elle l'avait fait par intérêt.

On amena deux mules blanches, harnachées de cuir rouge et toutes bruissantes de sonnailles et de grelots sur lesquelles Catherine et son nouveau mentor prirent place. Puis, d'une ruelle voisine où ils attendaient, quatre Nubiens maigres, vêtus de blanc jusqu'aux yeux, apparurent, appelés par un sec claquement de mains de Morayma. Ils encadrèrent les deux femmes après avoir tiré de leurs fourreaux leurs cimeterres à large lame courbe. Et le cortège se mit en route.

La chaleur était maintenant écrasante. L'air brûlant vibrait et, là-haut, dans le ciel presque blanc, les rayons de l'impitoyable soleil incendiaient les toits de la ville. Mais Catherine ne s'apercevait même pas de la température. Au comble de l'excitation, elle pensait seulement à ce palais dont, enfin, elle allait franchir le seuil. La distance qui la séparait d'Arnaud se rétrécissait encore. Tout à l'heure, elle l'avait vu. Maintenant, elle allait essayer de lui parler, de l'entraîner avec elle sur le chemin du retour au pays.

Ce chemin du retour, elle ne cherchait même pas à l'imaginer.

Pourtant, que de difficultés n'allait-il pas présenter ? En admettant qu'ils parviennent à fuir le palais, il faudrait encore atteindre la frontière du royaume. Et, même cette frontière une fois franchie, seraient-ils sauvés de la vengeance de Zobeïda, à l'abri de ses coups ?

Certes pas. Il faudrait mettre des lieues entre eux et leurs poursuivants

; les rapides cavaliers de Muhammad ignorant trop souvent les limites du royaume de Castille pour s'en soucier cette fois-là.

Ensuite, il faudrait refaire tout le dangereux chemin à travers les Castilles, retrouver peut-être des embûches plus mortelles que celles rencontrées à l'aller... Puis, passer les Pyrénées et leurs bandes de brigands, et... Non. Tout cela n'avait que peu d'importance : une seule chose comptait : reconquérir l'amour d'Arnaud ! Ce qui pouvait venir après n'intéressait pas Catherine.

En franchissant, derrière Morayma, l'arc rouge de Bab-el-Ajuar, Catherine ne put réprimer un frisson de joie. Les Nubiens de garde n'avaient pas paru s'intéresser à leur passage...

On suivit ensuite un sentier qui serpentait à travers un vallon rafraîchi d'eaux courantes, ombragé d'oliviers au feuillage argenté, et grimpant assez raide vers une haute porte dont l'arc outrepassé se découpait au plein d'une grosse tour carrée sans créneaux. Cet imposant portail, ouvert dans la deuxième enceinte de murailles, constituait l'entrée proprement dite des palais. En approchant, Catherine remarqua, sculptée à la clef du fer à cheval de brique, sur une plaque de marbre blanc, une main levée droit vers le ciel.

— C'est la Porte de la Justice ! La main symbolise les cinq préceptes du Coran ! commenta Morayma. Et ces tours que tu vois, non loin d'ici, sont celles des prisons.

Elle n'en dit pas plus. Catherine apprécia cependant le renseignement à sa juste valeur. Cela ressemblait trop à une mise en garde, presque une menace. Menace aussi cette formidable porte à deux battants, doublée de fer et armée de clous énormes, trouant l'obscurité du profond porche et gardée de cavaliers vêtus de mailles luisantes sous un burnous pourpre, le casque à longue pointe enfoncé jusqu'à leurs yeux farouches. Quand un ordre du Seigneur en fermait l'issue, il devait être impossible de franchir ces épaisses murailles. Le palais rose, et aussi la ville en réduction qu'enserraient ses remparts -

on distinguait maintenant des maisons, des moulins et les sept coupoles dorées, fléchées d'un immense et fragile minaret, d'une imposante mosquée - devaient savoir se refermer comme un piège qui ne lâchait pas facilement prise... à moins, peut-être, de découvrir cette mystérieuse porte par laquelle entraient les amants d'une nuit de Zobeïda ! Mais n'était-ce pas autre chose qu'une légende ? Les cadavres trouvés dans les fossés pouvaient fort bien avoir été précipités du haut des tours. Sans que l'on ait eu besoin d'employer le légendaire escalier des amants.

Les yeux aigus de Catherine cherchaient déjà, preuve que son âme se sentait moins sereine qu'elle ne voulait bien l'admettre, une issue plus secrète à ce palais superbe et menaçant, attirant et dangereux comme une fleur vénéneuse. Elle baissa cependant les paupières pour ne pas voir les têtes sanglantes, certaines encore fraîches, plantées sinistrement à des crochets fichés dans la muraille. Mais, au moment de franchir le seuil de ce monde inconnu, la jeune femme sentit une main de glace étreindre son cœur. Elle chercha sa respiration jusqu'au fond de ses entrailles, serra les dents, fixant le dos voûté de Morayma sous ses absurdes fleurs vertes. Il ne fallait pas flancher... plus maintenant et surtout pas pour quelque chose d'aussi vil qu'une peur animale ! Elle avait trop voulu cet instant...

Et puis, miraculeusement, quelque part dans l'épaisseur odorante des jardins encore invisibles, un rossignol chanta, lançant vers le ciel incandescent quelques notes pures comme une source de montagne.

Un rossignol à cette heure du jour, au fort de cette lourde chaleur ?...

Le cœur pesant de Catherine s'allégea. Elle y vit un présage heureux et, talonnant sa mule, elle rejoignit Morayma qui avait pris un peu d'avance.

La fraîcheur brutale d'un tunnel, un coude, un chemin montant accablé de soleil, puis, au tournant, la grâce orientale de deux hautes portes, en équerre. Morayma, qui avait attendu Catherine en haut du chemin, lui désigna celle qui s'ouvrait de front.

— La porte Royale. Elle ouvre sur le Sérail, le palais du Calife.

Nous prendrons plutôt celle-ci, la Porte du Vin, pour gagner directement le harem en traversant la ville haute, la cité administrative d'Al Hamra.

Mais, comme le regard de Catherine s'attardait à la muraille, reliant trois donjons pourpres, qui s'élevait sur la gauche, la vieille eut un mince sourire.

Tu ne viendras jamais dans cette partie-ci. C'est l'Alcazaba, la forteresse qui fait Al Hamra imprenable. Vois cette énorme tour qui, là-bas, domine le ravin ! Admire en elle la puissance de ton futur maître. C'est le Ghafar, la pièce maîtresse de notre défense. Bien souvent, la nuit, tu entendras sonner la cloche qui le surmonte. Ne t'en effraye pas, Lumière de l'Aurore. Cela ne signifie pas un danger, mais seulement le temps d'irrigation de la plaine que la cloche règle pendant la nuit... Allons vite maintenant, la chaleur se fait intolérable et je veux que tu sois fraîche pour les yeux du Maître...

Catherine frémit. Apparemment, on ne lui laisserait pas beaucoup le temps de respirer avant de la présenter au Calife. Mais, en cette matière comme en quelques autres, elle était décidée à laisser les événements jouer leur rôle et à les exploiter simplement au mieux.

La longue piscine aux mosaïques d'azur et d'or du harem baignait dans une atmosphère brumeuse et parfumée lorsque Catherine, poussée par Morayma, y pénétra, les yeux encore lourds de sommeil.

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