Литмир - Электронная Библиотека

— Arnaud !... Arnaud, mon amour...

Et ce fut le miracle. Catherine crut tout de bon que la peur l'avait rendue folle quand elle vit qu'il était là, sa haute silhouette écartelant le clair de lune, surgi des ombres du jardin comme le bon génie des contes orientaux. D'un regard, il embrassa la forme terrifiée de Catherine blottie dans l'angle le plus éloigné de son lit et le reptile qui, déjà, redressait sa tête plate. D'une main, il arracha la dague de sa ceinture, empoigna de l'autre une robe qui traînait sur un tabouret, en fit un tampon, et de tout son poids se laissa tomber sur le cobra.

La mort du serpent fut instantanée. Maniée avec force et précision, la dague le frappa à la base de la tête, la détachant presque du corps qui demeura inerte. Arnaud se releva sur un genou, regarda sa femme.

Le rayon de lune l'avait atteinte, accusant sa pâleur tragique. Ses mains crispées retenaient toujours la couverture contre elle, mais elle s'était mise à trembler comme une feuille dans la tempête. Pour la rassurer, il murmura, doucement :

— N'aie plus peur ! C'est fini... Je l'ai tué !

Mais elle l'entendait à peine. Envahie, jusqu'aux fibres les plus profondes, par la peur atroce qu'elle avait dû supporter, elle restait là, les yeux exorbités, claquant des dents et incapable de répondre.

Inquiet, Arnaud se glissa près d'elle sur le lit.

— Catherine ! je t'en prie, réponds-moi... Tu n'as rien ?

Elle ouvrit la bouche, mais les mots ne pouvaient franchir ses lèvres qui tremblaient convulsivement. Elle avait envie de pleurer, mais elle ne pouvait pas et leva sur son époux un regard encore habité par l'épouvante et si pathétique qu'Arnaud ne résista pas au geste instinctif qui lui venait : celui de la prendre dans ses bras.

Une profonde pitié se leva en lui en constatant qu'elle se blottissait étroitement contre sa poitrine comme si, à la manière des enfants terrifiés, elle cherchait à se faire aussi petite que possible. Il la serra plus fort, cherchant à lui communiquer sa chaleur d'homme pour faire cesser ce tremblement terrifiant. Doucement, il caressa la tête blonde nichée contre son épaule.

— Pauvrette ! Tu as eu si peur... si peur ! Cette misérable femme !

Je la savais capable de tout... et c'est pour cela que je veillais, mais d'une chose aussi lâche !... Calme-toi je suis là !... je te défendrai !...

Nous fuirons ensemble, nous retournerons chez nous. Je t'aime...

Le mot était venu de lui-même, tout naturellement, mais Arnaud ne s'en étonna pas. Sa rancune, sa jalousie avaient craqué d'un seul coup ; tout à l'heure quand, rôdant à travers le jardin parce qu'une sourde inquiétude le ramenait constamment vers cette partie du palais, il avait entendu le faible gémissement de Catherine, son nom à peine prononcé, mais chargé d'angoisse et quand, du seuil, il avait vu le long corps noir glissant sur le marbre vers le lit de sa femme, la peur atroce qu'il avait eue lui avait rendu la mesure exacte de son amour pour elle.

Et maintenant qu'elle était dans ses bras, tremblant comme un oiseau malade, il comprenait que rien ni personne ne pourrait jamais se glisser vraiment entre elle et lui, qu'un amour comme le leur pouvait supporter bien des choses, endurer bien des souffrances hormis la déchirure totale. Ils n'avaient qu'un seul cœur en deux corps distincts et Arnaud savait bien qu'il ne pourrait jamais trouver le courage de repousser Catherine loin de lui. Le caprice, né de l'ennui et aussi du profond sentiment de joie qu'il avait éprouvé en apprenant qu'il n'était pas lépreux, ce caprice qui l'avait poussé vers Zobeïda était devenu une sorte d'habitude nécessaire à son équilibre physique, mais c'était une sensation bien pauvre auprès du seul bonheur de tenir Catherine contre lui.

Elle s'agrippait à lui maintenant, de ses deux mains crispées, balbutiant des mots sans suite contre son cou et, un instant, il eut peur que la terreur ne l'eût rendue folle.

— Écoute-moi ! supplia-t-il... Regarde-moi ! tu me reconnais, dis ?

Elle fit signe que oui et il se sentit un peu moins inquiet, se remit à caresser ses cheveux.

— Ma mie !... murmura-t-il... calme-toi, n'aie plus peur... Qu'est-ce que je peux faire pour te rassurer ?

Il se sentait affreusement maladroit, désarmé en face de cet être aux abois qui s'accrochait à lui... Et puis, brusquement, Catherine éclata en sanglots. Il comprit qu'elle était sauvée, que le spectre de la folie s'éloignait et, tendrement, il se mit à la bercer comme un tout petit enfant.

— Pleure ! dit-il doucement, pleure tant que tu voudras, cela te fera du bien...

Les nuages noirs de la peur crevaient en véritables cataractes.

Jamais Catherine n'avait pleuré comme à cet instant. C'étaient des mois de souffrance, d'angoisse, de désespoir qui s'en allaient à cet instant, noyés dans ses larmes. Elle pleurait de bonheur, de soulagement, de joie, d'espoir, d'amour et même de reconnaissance dans le cher refuge enfin reconquis. Tout s'abolissait, du passé et du présent. Seule demeurait cette douce chaleur de l'homme adoré qui l'envahissait, cette merveilleuse sécurité qu'il savait lui donner. Les sanglots peu à peu faisaient place à un délicieux bien-être. Lentement, Catherine se calma.

Les sanglots s'espacèrent, se ralentirent et Catherine, finalement, garda le silence. Sa respiration retrouva un rythme normal. Les larmes séchèrent sur ses joues et, un long moment, elle demeura sans bouger, savourant le bonheur délicieux de rester blottie contre son époux à écouter battre son cœur, à regarder le jardin sous la lune. Elle était seulement consciente de la main qui, doucement, caressait sa tête comme tant de fois, jadis, elle l'avait fait. C'était si bon de sentir Arnaud tout contre elle, de respirer son odeur d'homme sain après l'avoir cru, durant si longtemps, à jamais perdu pour elle !

Une griserie légère se glissait peu à peu dans les veines de la jeune femme. Il y avait tant de bonheur en elle qu'il fallait bien qu'il débordât et, redressant la tête, elle colla ses lèvres encore humides contre le cou d'Arnaud. Il tressaillit sous ce baiser, inquiet de sentir brusquement s'éveiller son désir. Catherine en eut conscience, instinctivement, prolongea la caresse remontant insensiblement vers le visage et vers les lèvres. Il ne lui laissa pas faire tout le chemin.

Avec une avidité d'affamé, sa bouche emprisonna celle qui s'offrait, s'y attacha en un baiser qui ne finissait plus et qui ne tarda pas à mettre en feu leur sang à tous deux. En même temps, les mains d'Arnaud, glissant sur les épaules et le dos de Catherine, prirent conscience de sa nudité. Doucement, il écarta les couvertures de soie demeurées entre eux. Elle ne résista pas, l'aida au contraire, avide de s'offrir complètement à lui. Repoussé par ses pieds impatients, le dernier drap tomba, recouvrant le cadavre du serpent dont elle avait failli mourir, mais Catherine l'avait déjà oublié : la vie bouillonnait de nouveau en elle, la chaleur d'amour la bouleversait jusqu'aux entrailles. S'écartant d'Arnaud, elle se laissa glisser sur le dos, dans la lumière froide de la lune pour qu'il pût mieux la voir.

— Dis-moi si je suis toujours belle ? murmura-t-elle, sûre d'avance de la réponse. Dis-moi si tu m'aimes toujours ?

— Tu es plus belle que jamais, diablesse !... et tu le sais bien !

Quant à t'aimer...

— Dis-le-moi ! Tu m'aimes, je le sais, je le vois... Est-ce que j'ai honte, moi, d'avouer que je t'adore ? Je t'aime, mon beau seigneur... Je t'aime plus que tout au monde !

— Catherine !

De nouveau, elle revenait vers lui, pour vaincre cette dernière résistance qu'elle sentait, l'entourait de ses bras doux, l'affolait du contact de sa chair. Elle était un trop merveilleux sortilège et il n'était qu'un homme. Sans s'expliquer par quel miracle la pitoyable créature de tout à l'heure s'était muée d'un seul coup en cette affolante sirène, il s'avoua vaincu, la reprit dans ses bras.

79
{"b":"155289","o":1}