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— Montsalvy nous a clairement laissé entendre qu'il souhaitait nous voir nous mêler de ce qui nous regardait, soupira ce dernier, moyennant quoi nous continuerions à entretenir les meilleures relations. Il est bien certain que, seuls, sans quelqu'un d'autorisé nous étions sans pouvoir puisque l'abbé Bernard est réduit à l'impuissance. Mais vous êtes là à présent et vous possédez tous les droits légitimes de votre fils.

— Peut-être... Cependant je ne veux pas dresser le fils contre le père. Pas encore tout au moins ! Ne pouvons-nous attendre un peu ?

— Attendre quoi ? riposta âprement Jean de Méallet qui n'avait encore rien dit. Qu'Arnaud s'avise de votre présence ici... et cela ne saurait tarder, croyez- moi ! Qu'il attaque Roquemaurel avec sa bande, le réduise, vous reprenne et vous tue ?

— Même s'il en arrivait là, il ne tuerait pas son fils...

— Et, si vous le permettez, grogna dame Mathilde, je doute qu'il ait raison si aisément de Roquemaurel. Le château est vieux, c'est entendu, mais il en a vu d'autres et, grâce à Dieu, il est encore solide et capable de casser les dents à une bande de routiers ! Bien sûr que Montsalvy saura bientôt où se trouve sa femme, s'il ne le sait déjà !

Mais je ne lui conseille pas de venir ici la réclamer.

— Bien ! reprit Méallet sarcastique. En ce cas, que faisons-nous ?

— Je vous propose d'attendre, dit Catherine. Je désire, je vous l'ai dit, épuiser toutes les chances de conciliation. Ainsi pourquoi ne pas faire appel au comte de Pardiac ? Si quelqu'un est capable de faire entendre raison à mon époux, c'est bien lui !

— Ça aussi nous y avons songé, soupira Renaud. Mais pour trouver Cadet-Bernard il faut maintenant galoper à la queue du cheval du Roi.

— Le Roi combat. C'est normal qu'il soit auprès de lui mais il ne manquera pas de revenir avec l'automne pour passer la mauvaise saison à Carlat auprès de la comtesse Eléonore et des enfants.

— Non, il ne reviendra pas hiverner en Auvergne. Cadet-Bernard a été nommé gouverneur de Monseigneur le Dauphin Louis. Il ne quittera son élève que parvenu à sa majorité. Voulez-vous, dame Catherine, attendre des années ?

Le cœur de Catherine se serra. Allait-elle donc devoir reprendre les grands chemins, retourner vers la Loire pour demander l'aide de ce vieil et puissant ami ? Encore prier, encore demander. Et que pourrait Bernard d'Armagnac ? Il n'allait pas venir sous Montsalvy en traînant après lui l'héritier royal ?

— Soit ! Eh bien il reste encore une carte à jouer. Je vais aller rejoindre l'abbé Bernard. Il faut que je le voie, que je lui parle et Saint-Laurent-d'Olt n'est pas si loin. Sait-on de ses nouvelles ?

Il se remet lentement, bien lentement hélas, dit Fabrefort.

Mon cousin d'Estaing que j'ai rencontré à Curières, la semaine passée aux noces de la fille de Raymond de Mommaton, l'avait vu trois ou quatre jours avant. Il ne se lève pas encore et il est bien éloigné de reprendre la route. Si encore le Lot était navigable !...

Qu'il soit au lit ne l'empêchera pas de m'entendre. Il a toujours été pour moi le meilleur des amis, le plus sûr des conseillers, dit Catherine. Et c'est cela que je veux : son conseil ! Suivant ce qu'il me dira de faire j'agirai. S'il me dit d'attaquer j'attaquerai mais seulement s'il me le dit ! Je partirai demain.

Il n'y a qu'un malheur, fit Renaud en se renversant dans son fauteuil, c'est que vous ne pourrez pas passer. Pour aller à Saint-

Laurent il faut suivre la vallée, si l'on ne veut pas faire un énorme détour par l'Aubrac. Or, Montsalvy a tout de même trouvé des alliés dans la région : ces foutroudasses de Vieillevie tiennent la rivière sous leurs tours et le Diable sait qu'à cet endroit elle est facile à défendre.

Vous pensez bien qu'ils seront prévenus de votre présence dans la région et qu'ils ne vous laisseront pas passer... Ils vous connaissent !

Mais moi ils ne me connaissent pas, coupa Gauthier.

Dame Catherine n'a pas besoin de se déranger et de parcourir encore un long chemin, d'affronter d'autres dangers. Qu'elle me donne une lettre pour l'abbé et je lui ramènerai une réponse. C'est là le rôle d'un bon écuyer.

Vous ne connaissez pas du tout le pays, dit Renaud...

Moi tu ne diras pas que je ne le connais pas ? intervint Bérenger. Je lui servirai de guide et crois- moi, Gauthier, je saurai bien te faire passer le barrage de Vieillevie...

En dépit de ses inquiétudes Catherine retint un sourire. Le page avait laissé ses amours dans la vallée du Lot. Combien de fois, l'an passé, avait-il disparu de Montsalvy pour descendre jusqu'au fond de la gorge, passer la rivière à la nage et s'en aller conter fleurette à sa jolie cousine Hauvette de Montarnal ? Ces amours avaient été difficiles, traversées de mille dangers car c'étaient des amours défendues : Montarnal et Vieillevie en effet c'était tout un et les deux frères aînés eussent sans doute joyeusement assommé leur cadet s'ils avaient seulement imaginé quelle image il cachait dans son cœur... Certes, Bérenger connaissait parfaitement la vallée, ses gués et ses passages et il serait pour Gauthier le meilleur des guides. Mais saurait-il résister à l'envie de revoir Hauvette à présent qu'il devenait tout doucement un homme ? Catherine ne se sentit pas le courage de le lui interdire mais se promit de lui recommander la plus extrême prudence : il fallait que sa lettre parvînt à l'abbé Bernard.

Le banquet qui suivit le colloque manqua d'enthousiasme.

Visiblement la plupart des participants étaient déçus, car la joyeuse fête guerrière qu'ils se promettaient semblait bien remise aux calendes grecques. Les deux Roquemaurel étaient franchement moroses.

— Ils pensent qu'en cas de besoin ils auront peut- être plus de mal à rameuter tout ce monde, commenta dame Mathilde. Ils craignent que la belle occasion soit perdue...

— Et vous, dame Mathilde, pensez-vous de même ?

La grosse châtelaine lui sourit du haut de sa taille imposante.

— Que non pas ! Qui donc peut être assez fou pour souhaiter brûler sa maison avant d'y rentrer ? Un homme peut-être, mais une femme, jamais !... Vous avez parlé sagement, mon amie. Mais n'était-ce pas tentant ?

Catherine haussa les épaules et s'approcha d'une fenêtre pour regarder sans bien le voir le prodigieux paysage d'alentours, si bleu, si calme en cette fin de journée.

— Tentant ? Oui certes... Lorsque je suis arrivée chez vous l'autre midi j'aurais voulu abattre Arnaud de mes propres mains, incendier ma maison profanée par la présence d'une gueuse... Personne ne saura jamais avec quelle ardeur je l'ai souhaité ! Mais... en admettant que j'aie pu faire tout cela, commettre ces irréparables folies, me laisser emporter par le vin violent de la vengeance, que me serait-il resté ensuite sinon des cendres, des regrets et des larmes plus amères encore... Voyez-vous, dame Mathilde, ce dont j'ai le plus besoin à présent, c'est de paix. Mais comment trouver cette paix si, d'abord, je ne l'obtiens pas de moi-même ?...

Affectueusement, Mathilde glissa son bras sous celui de Catherine, l'embrassa puis l'entraîna avec elle.

— Allons rejoindre vos petits ! dit-elle avec une douceur dont elle semblait bien incapable. Eux vous diront que vous avez fait le meilleur choix...

Cette nuit-là, deux heures avant le lever du soleil, Gauthier et Bérenger quittèrent Roquemaurel à pied, vêtus comme des pèlerins de Saint-Jacques dont les chemins sillonnaient tout le pays et, par les difficiles sentiers à chèvres que le page connaissait si bien, s'enfoncèrent dans les profondeurs vertigineuses de la gorge.

En quittant les deux garçons, en les laissant partir seuls pour la première fois vers une aventure peut-être dangereuse et dont elle ne prendrait pas sa part, le cœur manqua à Catherine qui, au dernier moment, tenta de les retenir.

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