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— Aide-moi, voyons !...

— Non !... Si vous voulez me prendre prenez-moi, mais ne comptez pas sur moi pour vous y aider !

Il recula comme si elle l'avait giflé et elle vit les veines de ses tempes se gonfler sous une nouvelle poussée de colère.

— Tu ne veux pas être à moi ? Tu refuses, toi, ma maîtresse. ?

— Je ne suis plus votre maîtresse. Souvenez-vous, Philippe ! A Lille je vous ai bien dit qu'il s'agissait d'un adieu... définitif ! Je n'ai pas l'habitude des adieux successifs.

— Alors il ne fallait pas rester dans mes États, il fallait rentrer chez toi comme tu l'avais annoncé. Je te croyais loin déjà, et au lieu de cela j'apprends que tu es à Bruges, que tu es enceinte... de moi, ce qui est un comble, que l'on t'y garde en otage, comme monnaie d'échange contre leurs damnés privilèges... que je ne leur rendrai jamais ! De qui étais-tu enceinte ?...

C'était bien de lui, à cette minute dramatique, de se préoccuper de ce détail bien masculin.

— Croyez-vous que cela ait beaucoup d'importance ?

— Cela en a pour moi. Après tout, en te donnant à moi, la nuit des Rois, tu espérais peut-être me faire endosser une paternité inavouable

?...

Sans le moindre respect, elle haussa les épaules.

Pour le prince le plus intelligent de la chrétienté, vous dites des pauvretés, monseigneur ! Et je croyais que vous me connaissiez mieux. Si vous voulez tout savoir, j'ai été violée... par je ne sais combien de soudards ivres dans votre bonne ville de Dijon et je voulais arracher cette horreur de mon corps. On m'avait parlé d'une certaine Florentine et c'est elle que j'allais chercher à Bruges. Et puis j'ai dû traverser Lille, je vous ai revu... et j'ai voulu savoir si l'ancien charme d'autrefois pourrait guérir à la fois mon corps et mon cœur.

Vous avez été mon premier amant, Philippe... et jamais femme n'a eu amant plus merveilleux que vous. Cette nuit-là vous m'avez sans le savoir rendue à moi-même, à la vie dont je ne voulais plus... Ne me le reprochez pas, ce serait cruel.

Il revint vers elle, cherchant à l'attirer de nouveau à lui.

— Alors... pourquoi refuses-tu à présent ? Regarde ce lit couvert de fourrures, regarde cette chambre chaude, la belle lumière du feu.

Souviens-toi comme nous avons été heureux, à Lille, souviens-toi de notre joie, de nos caresses... j'en ai tant à te donner et toi, en échange tu me donneras l'apaisement, le calme, l'oubli...

— L'apaisement ? L'oubli ? L'oubli de quoi ? De ce que vous avez fait aujourd'hui ?

— Ce que j'ai fait ? Je t'ai sauvée il me semble ?...

— Oui, vous m'avez sauvée... par-dessus le marché ! Ceux qui m'ont vraiment sauvée ce n'est pas vous : c'est Saint-Rémy, c'est le prieur des Augustins, c'est dame Béatrice, la Grande Dame du Béguinage qui m'a soignée. Quant à ce que vous avez fait, je vais vous le dire : au mépris de la parole donnée vous avez lancé vos hommes d'armes à l'assaut d'une ville qui s'était ouverte devant vous, vous avez fait tirer sur la foule. Des femmes, des enfants sont tombés sous les flèches de vos archers. Ce faisant vous avez déchaîné le désespoir, qui est la pire fureur, et vous avez bien failli mêler votre sang à celui de vos victimes. En fait... ce n'est pas vous qui m'avez sauvée : ce sont mes compagnons qui vous ont ouvert la herse en vous permettant de m'emporter avec vous !

— C'est à moi que tu donnes tort ? A moi, le prince qu'ils ont bafoué, ridiculisé depuis des mois ?...

Oui... et en dépit de leurs torts qui sont grands et nombreux ! Vous voyez que je suis juste. Je vous donne tort parce que vous êtes le grand-duc d'Occident, parce que vous êtes fort, magnifique et supérieurement intelligent. Parce que votre esprit aurait dû vous fournir le moyen de réduire Bruges sans effusion de sang et surtout sans cette duperie mortelle. Quand les enfants sont mal élevés, ce n'est pas à eux que l'on s'en prend en général, c'est aux parents parce qu'ils possèdent la raison, l'expérience. Certes, il faut savoir châtier... mais la miséricorde, monseigneur, c'est un si beau mot ! Il est vrai qu'il n'appartient guère qu'à Dieu !

Le silence qui s'établit quand elle se tut lui parut énorme, écrasant.

Le Duc s'était détourné d'elle et, planté devant la cheminée, il regardait les flammes avec des yeux assombris... des yeux d'où, à nouveau, Catherine vit couler des larmes. Ce n'était plus le déluge de tout à l'heure. C'était une lente glissade silencieuse le long des joues pâles, creusées par la fatigue et ce chagrin qui ne se montrait pas réussit à éveiller sa pitié.

— Pardonnez-moi, dit-elle doucement, mais il fallait que quelqu'un vous dise cela... Vous le savez, je n'ai jamais très bien su mentir, ou seulement cacher mes sentiments.

Il secoua ses épaules comme pour les décharger d'un fardeau puis, toujours sans la regarder :

— Tu ne m'aimes plus... fit-il douloureusement.

— Vous non plus, monseigneur, en dépit de ce que vous pouvez en penser, en dépit de ces chambres que vous avez refaites à l'image de la mienne, en dépit de ces portraits insensés ! Votre amour était d'orgueil, de chair... pas vraiment de cœur, car, voyez-vous, lorsque l'on aime vraiment, on peut tout sacrifier à l'être aimé, tout donner sans regret, sans restriction. Jadis peut-être vous m'avez aimée ainsi...

plus maintenant et c'est très bien comme cela. Au fond, monseigneur, il n'y a guère que ses enfants que l'on peut arriver à aimer de cet amour total... À présent, je vous demande la permission de me retirer.

Je voudrais retrouver mon écuyer et mon page, savoir s'ils sont arrivés ici, comme je l'espère, avec Saint-Rémy et puis... prendre un peu de repos avant de continuer ma route !

— Vous voulez partir déjà ?...

Oui, cela vaut mieux. Il est inutile que l'on me sache auprès de vous...

et puis le chemin est long qui mène à mes montagnes.

Il eut un soupir qui parut venir des extrêmes profondeurs de sa poitrine.

— Eh bien partez, puisque rien ne peut vous retenir ! Je vais donner des ordres pour vous assurer un voyage aussi doux que possible...

Il s'était retourné et à présent il la regardait s'avancer vers lui, se courber, s'agenouiller.

— Adieu, monseigneur...

Il eut un geste de protestation.

— Pourquoi, adieu ? France et Bourgogne sont en paix... Pourquoi devrais-je être condamné à ne plus vous revoir ? Quoi que vous en pensiez... j'en serai toujours infiniment heureux !...

— Alors... à s'il plaît à Dieu !...

Elle baisa la main qui pendait le long du corps du prince puis, se relevant, quitta la chambre sans se retourner, refusant même d'entendre le soupir qui saluait sa sortie. Il fallait que cette page-là soit définitivement tournée.

Bérenger chantait. La voix de l'adolescent avait perdu la fraîcheur fragile de l'enfance mais, encore un peu enrouée par la mue finissante, trouvait déjà des sonorités chaudes qui vibraient agréablement quand il était joyeux comme en ce moment.

Quan vey la lauzeta mover De joy sas alas contra7 rai, Que s'oblida e's laissa cazer Per la doussor qu'ai cor li vay Aï! tan grans enveya m'en ve De cui qu'en vey a jauzion Meravilhas

ay, quar desse La cor de dezirier no 'm fan 1.

1 Quand je vois l'alouette mouvoir de joie ses ailes à contrejour, qui s'oublie et se laisse choir pour la douceur qu'au cœur lui va hélas, je sens monter l'envie pour ceux que je vois heureux. C'est merveille qu'à l'instant le cœur de désir ne me fonde...

La langue d'oc sonore et musicale et surtout le ton de Bérenger prêtaient une gaieté à la célèbre chanson de Bernard de Ventadour dont le texte était plutôt mélancolique mais le page aimait cette chanson et il la lançai ^vigoureusement à tous les échos de ses montagnes natales.

Le long voyage s'achevait. On avait mis un grand mois à revenir des plaines de Flandre pour éviter le nord de Paris où les troupes du connétable de Riche- mont n'avaient pas encore fini de nettoyer le Vexin, les confins de la Picardie et les marches de Champagne des dernières garnisons anglaises et des assauts de Jean de Luxembourg, l'intraitable général bourguignon, le seul de son camp que le traité d'Arras n'eût pas satisfait. C'était dans la gloire d'un soir de juillet plein de chaleur, de bourdonnements d'abeilles et d'odeur de myrtille que Catherine, Gauthier et Bérenger achevaient leur dernière étape.

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